Petit retour en arrière sur l’évolution des séries et leur impact en France, genre trop souvent « découvert » par le commun des mortels quand une série devient culte.
Contrairement à ce que les médias généralistes tentent de nous faire croire, les séries télévisées ne sont pas un genre nouveau. La passion du public pour ses programmes, non plus. Si on aime les séries, c’est presque depuis leur arrivée à la télévision, il y a près de 50 ans. Mais à chaque nouveau phénomène de mode série (comprendre : depuis que Game Of Thrones fracasse tout), chacun y va de son émission ou article pour expliquer pourquoi, de nos jours, les séries marchent aussi bien.
France Inter y revenait encore récemment lors d’une émission consacrée à « l’immense succès des séries ». C’est le sujet à la mode, ou plutôt qui revient à la mode dès que les médias culturels moins spécialistes ont besoin de parler des séries télévisées.
Si c’est Game of Thrones ou House of Cards en ce moment, c’était Prison Break, Mentalist et Docteur House ou Lost, il y a 5 ans . Sex & The City, Buffy au début des années 2000. Friends et X-Files au milieu des années 90. Les séries AB Productions, accompagnées de 21 jump street et autres sitcoms familiales à la même époque. Il faut aussi citer Dallas au début des années 80 ou les Feux de l’Amour. Sans trop de couverture médiatique pour l’époque, Thierry La Fronde, Les Cinq Dernières Minutes, Zorro et Belphégor ou encore La Quatrième Dimension, restaient des rendez-vous immanquables des années 60.
Alors pourquoi à chaque nouveau culte de série, imagine-t-on que c’est nouveau ? Pourquoi s’étonne-t-on de l’engouement du public quand on a déjà connu cela des dizaines de fois par le passé ?
Séries méprisées, séries bien-aimées
Outre que le Français a souvent la mémoire courte, la série télévisée a eu la particularité d’être longtemps considérée comme sous-culture, méprisée par l’intelligensia et les décideurs de la Culture avec un grand C (dont, soit dit en passant, on sait toujours pas qui c’est). Les séries, c’est juste du commercial, dit-on. Elles seraient même dangereuses pour le cinéma. Et suite à chaque phénomène qui pousse les divers médias à s’y intéresser et à se dire que peut-être, il y a quelques choses à en tirer, la série retombe dans l’oubli médiatique, avec le mépris auquel elle est si familière, cantonnée à la couverture des magazines télévisées et autres magazines people, eux-mêmes vilains petits canards de la presse.
Un mépris peu mérité et incompréhensible quand on réalise l’impact qu’une série peut avoir sur la société. On pense toujours à 24 et son président noir ou encore Star Trek et son premier baiser inter-racial et autres idées progressistes des années 60. Mais les séries ont rarement eu besoin de secouer les choses pour être suivies chaque semaine par des millions de personnes.
Dallas, ton succès impitoyable
Dans les phénomènes populaires liés aux séries télévisées, un des meilleurs exemples reste Dallas dans les années 80. Une série qui a eu le rare honneur de figurer à la une du très honorable Time Magazine. Une série qui est devenue pour le public un rendez-vous à ne pas manquer, et dont les intrigues étaient discutées le lendemain au bureau, avec les collègues et dans les repas de familles. Twitter et Tumblr n’existant pas à l’époque, difficile d’atteindre un cercle plus étendu.
L’impact va même jusqu’à des instances bien plus importantes. Durant les élections présidentielles américaines de 1980, les républicains distribuent un pins où on peut lire “Un démocrate a tué J.R.”. Même la très digne Reine Elizabeth a tenté de savoir qui a tué J.R. Elle l’a demandé, de manière détournée, elle-même à l’acteur quand elle a reçu Larry Hagman. Ce dernier a refusé de lui répondre. Et non Obama n’est pas le premier à tenter de dénicher des spoilers à la source grâce à son statut de Président. Tout de suite, ça fait moins “cool”.
De manière un peu plus anecdotique : une cinquantaine de Sue-Ellen sont nées en France au début des années 80. Une centaine de Brandon ont vu le jour aussi au début des années 90, grâce à (ou à cause de) Beverly Hills. A titre de comparaison, en ce moment, nous ne sommes qu’à deux Khaleesi.
Même les journaux télévisés français parlent de la fin de Dallas à l’époque. Bizarrement, David Pujadas n’est pas revenu sur la fin de Breaking Bad ou de Dexter cette année, mais quand X-Files ou Star Trek revient au cinéma, là par contre….
Sacro Saint 7ème Art
La difficulté de la reconnaissance des séries vient aussi de l’éternelle comparaison avec le cinéma. Si les deux industries se mêlent et se mélangent depuis des décennies grâce aux spin-offs de films comme Dead Zone, Stargate, ou Hannibal, Bates Motel, préquelle anachronique à Psychose, ou Fargo, elles sont aussi adaptées au cinéma, pas toujours avec brio, comme Chapeau Melon et bottes de cuir, X-Files, Star Trek, ou 21 Jump Street, pour ne citer que ceux là.
En France, on aime voir les deux arts comme hiérarchisés, le rapport entre ces deux industries, une fois de plus, comme un phénomène nouveau. Surtout depuis l’arrivée de noms de cinéma dans l’univers séries, avec notamment True Detective : Fincher, David Lynch, bientôt les Wachowski, qui présentent des programmes de grande qualité mais bien loin des codes du cinéma.
C’est comme au cinéma, mais…
Certains pensent même que le public a changé de comportement, que les sériephiles ne consomment que des séries tv, rien que ça, alors que les cinéphiles, eux, découvrent un intérêt soudain pour les séries avec l’arrivée de ces grands noms du 7ème Art. Ce qui est bien loin de la réalité de la consommation de deux formes d’arts audiovisuels, attirant autant les amateurs de séries et de feuilletons, que les cinéphiles en salles. Deux arts qui se conjuguent ensemble, mais qui n’ont absolument pas les mêmes terminaisons.
Et c’est souvent là que le bât blesse, en France, pour les séries. On aime en parler quand elles sont de qualités ou attirent vraiment l’attention de la majorité du public, et surtout la fameuse ménagère de moins de 50 ans. Mais attention, non pas la qualité série qu’on reconnaîtra aux Rois Maudits, Le Prisonnier, Les Mystères de l’Ouest, ou encore The X-Files. Non. Une qualité qui doit être digne du cinéma. Twin Peaks de David Lynch est l’une des premières à sortir du lot. Et même à l’époque, beaucoup ont considéré qu’il s’abaissait à faire de la télévision. Un média qui ne convient pas aux grands cinéastes, n’est ce pas ? Une méprise qui oublie, trop souvent, qu’Alfred Hithcock lui-même a proposé sa série d’anthologie dès 1955.
Les années 90 : l’Age d’or des Séries
Les magazines télés ne se sont pas fait attendre pour s’emparer des Séries, presse spécialisée la plus vendu en France, avec un nombre de couvertures consacrées aux séries télévisées assez impressionnant qui commence très tôt dans leur histoire. Même Yves Montant est de la partie, en dévoilant les secrets de la télé américaine à Télé 7 jours en 1960. Une télé américaine qui sert déjà des dizaines de séries à ses téléspectateurs.
Si les médias n’ont pas attendu les années 90 pour prouver leur intérêt de couvrir et de vendre des papiers consacrés à ces produits feuilletonnant, américains ou français, les chaînes de télévision ont attendu les années 90 pour eux aussi dédier magazines, reportages et autres émissions au genre. Ainsi on découvre Alain Carrazé et Jean-Pierre Dionnet dans l’émission Destination Séries en 1992 sur Canal Jimmy, Stephane Evanno et Karine le Marchand dans Télé Série sur une grande chaine : M6.
Une chaîne dédiée entièrement au genre naît sur le câble en 1993 : Série Club. Puis vint le temps des Samedis Fantastiques instaurés grâce au succès de X-Files, en 1995 pour ensuite se transformer en trilogie du samedi en 1997, soirée entièrement consacrée aux séries plébiscitées par le public, comme Le Caméléon, Buffy contre les vampires, Charmed, Smallville, Stargate SG-1. On se décide enfin à offrir en prime les séries de tout genre, par plusieurs épisodes certes, mais en lieu et place, un samedi d’une émission de variété ou divertissement.
Bien avant #GoT
Si l’on parle d’engouement naissant, chose bien évidemment fausse, le phénomène du genre dans les années 90 est bien celui de la passion assumée et affichée. Les séries sur le devant de la scène et à l’honneur à la télévision, bien qu’essentiellement américaines, génèrent une nouvelle audience et un cœur de fans qui s’affiche. Cela, on le doit essentiellement au boom marquant et marqué de la série X-Files, dont la couverture médiatique était comparable à l’overdose Game of Thrones.
Une réponse fréquente à l’appétence du public par les médias est couverture de certains phénomènes autour de séries plébiscités. Fans Club, reportages autours des fans, la France découvre le phénomène du fan loin de celui de Johnny ou de Sylvie Vartan. 15 ans plus tard, même discours sur l’engouement Game of Thrones, on pense encore et toujours que cette frénésie est un évènement novateur et pourtant, rien n’a changé dans le traitement ou le relais médias, si ce n’est une course à la surexposition plus marquée depuis l’arrivée du web. S’il y a plus de médias existants, il y aura forcement plus de couverture médiatique.
Les évènements autour de certaines séries, ou les festivals sur le genre, comme Séries Mania ou Comic Con France, semble “inédits”. Pourtant, Le Festival de la Télévision de Monaco dédié aux production télévisuelles célèbre chaque année les séries TV depuis 1961. X-Files avait eu son avant-première et reportage de fans, bien avant son film, Lost sa journée au Grand Rex, bien avant le culte Game of Thrones.
Cyberviewer & Cyberfans
Les années 90 ayant ouvert le pas, la décennie qui suit, avec la démocratisation de l’internet ADSL dans tous les foyers à moindre coût, n’aide pas le phénomène de « nouveauté » vis à vis des séries. Les nouvelles formes de consommation et de partage sur le web non plus.
En France comme aux USA, dans les années 80, 90 ou 2010, les séries se produisent en suivant le même système de sélection, production et diffusion, avec un cycle de vie variant de 1, 2, 3 saisons, voire plus, en fonction de la qualité de l’audience américaine qui les regarde. Seule véritable innovation de notre temps côté américain : l’arrivée des studios Netflix qui bousculent la production, se calant sur les nouveaux modes de consommation de séries streaming et VOD.
L’arrivée du câble et de Netflix, Amazon, Hulu, Canalplay, OCS… est d’ailleurs plus dommageable qu’autre chose pour les séries. L’audience ne se multiplie pas, elle se divise. Aucune fin de série n’arrivera à atteindre les 106 millions de téléspectateurs que M.A.S.H. avait réalisé en 1983. Plus proche de nous, Friends en 2004 s’est terminé avec 51,1 millions de téléspectateurs aux USA. La série la plus regardée en ce moment aux Etats-Unis est NCIS qui peine à atteindre les 20 millions d’individus.
Une réalité qu’on voit aussi en France. Quand le record de X-Files est de 4,5 millions de téléspectateurs sur M6 en 1996 un samedi soir, la chaîne hurle aujourd’hui au triomphe quand elle arrive à dépasser les 5 millions avec des programmes à cible plus large tel que L’amour est dans le pré, où elle bat d’ailleurs TF1 et France 2 qui elles, diffusaient des séries.
#SPOILER best. episode. EVA ! #RT
Ce qui nourrit ce faux sentiment de « nouveauté » chez les néophytes c’est bien le partage sur les réseaux sociaux. Youtube, Facebook Tumblr et Twitter aux premiers plans. On tweete les spoilers, on partage son choc face à l’image, on se filme devant l’écran, on discute séries bien plus publiquement qu’avant, suite au visionnage d’un épisode. Episode que le téléspectateur regarde sans plus attendre la programmation d’une chaîne de diffusion.
Des échanges aux allures nouvelles, à plus grandes échelles, similaires à ceux qui se produisaient sur les forums de discussion dédiés aux fans de séries des années 95-2007, qui ont eu la part belle avant l’arrivée de Facebook. L’acte d’inscription dans un forum particulier dédié à une seule série, fermé au public n’étant plus nécessaire, tout le monde parle plus facilement de ce qu’il regarde avec d’autres.
Séribésité
Les nouveaux modes de consommation des séries jouent aussi en faveur de ce sentiment. Avec de nouveaux mots barbares intégrés au langage commun, maniés à la perfection chez un public averti depuis des années – accro aux marathons ou “binge watching” de leurs séries TV (les termes anglosaxons, c’est toujours plus “classe”) grâce aux intégrales DVD, aux spoilers partagés sur les forums – la consommation de la séries en quasi simultané avec les USA, en VO, fait croire à un renouveau du genre.
Et pourtant, la diffusion simultanée entre les USA et la France n’a rien de nouveau. Certes exceptionnelle, l’expérience avait déjà eu lieu avec l’épisode d’Urgences en direct et sur France 2 et sur NBC en septembre 1997. Diffusé à 4h du matin en France, il a attiré pas moins de 105 000 téléspectateurs en direct et plus de 220 000 avaient programmé leur magnétoscope. Et non Canal + n’a rien inventé en diffusant 24 LAD en même temps que les USA.
L’engrenage français
Un semblant d’engouement dont les responsables sont aussi les chaînes de télévision françaises. Ayant longtemps donné la part belle à la production cinéma en défaveur des séries considérées comme un sous genre, malgré les célèbres Gens de Mogador, Les Thibault, Les rois maudits, Les brigades du Tigre, Arsène Lupin ou même l’île Mystérieuse dans les années 60-70.
Quand on pense séries françaises, on a la mémoire courte, très courte… proche du vide intersidéral. Surtout après le culte Dallas, quand la programmation française pouvait se résumer à des jeux télévisés, emissions de divertissement, téléfilms ou feuilletons de 90 minutes du type Navarro ou Julie Lescaut répondant aux mêmes mécaniques scénaristiques. Des séries anesthésiant une bonne partie des ménages Français, notamment grâce aux pastiches d’autres séries policières américaines comme RIS, ou les sitcoms d’AB productions.
Les séries françaises se sont, cette dernière décennie, offert un nouveau visage avec l’arrivée d’oeuvres de grandes qualités, loin de ces codes et mécaniques imposés. Canal + est le meilleur exemple avec Mafiosa, Braquo, ou les Borgias. On peut aussi citer Kaamelott, Hero Corp, Lazy Company, Metal Hurlant Chronicles ou Un village français sur d’autres chaines.
Pour le coup, l’engouement pour les séries Françaises est à souligner, pour son caractère novateur et de grande qualité et surtout loin des codes établis. Mais cela vient du côté des productions et des chaînes, pas des téléspectateurs. Il aura fallu presque 50 ans pour se créer une expertise digne de rivaliser avec la machine infernale américaine en production séries, quant à l’engouement, il reste similaire à celui qu’on pourrait avoir pour tout autre programme feuilletonnant, si tant est que les personnages, la narration et la réalisation plaisent au public.
Les séries télévisées sont là et depuis longtemps. Elles ont envahi la télévision depuis plus de 50 ans. Les amateurs aussi. Le succès n’est pas nouveau et visiblement il n’est pas près de passer, surtout avec les multitudes de nouvelles chaînes et nouveaux médias pour en parler. Et si on arrêtait de se poser toujours la même question sur le fameux et imaginaire “boom” des séries ?
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Crédits photos : Droits Réservés
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