Le 2 décembre 2015 sort au cinéma le nouveau film d’animation de Roger Allers, Le Prophète. Une adaptation de l’œuvre de Khalil Gibran toute en poésie.

« J’espère que le film leur fera du bien et leur rappellera toutes ces choses simples qu’on sait mais qu’on a tendance à oublier. » Salma Hayek-Pinault ignore encore lorsqu’elle écrit ces lignes que, quelques semaines plus tard, la haine va s’abattre sur la vie et ses représentants lors d’un sombre vendredi 13. Au moment de la projection, les spectateurs sont silencieux. L’un des employés de la salle de cinéma nous remercie d’être venu malgré les récents événements. Nous sommes mardi 17 novembre et ce soir-là, c’est un pari gagné pour Salma Hayek-Pinault.

C’est un Cerveau apaisé et rempli d’espoir qui vous parle aujourd’hui du film d’animation Le Prophète, inspiré du chef d’œuvre de la littérature libanaise de Khalil Gibran.

Gibran en héritage

Le Prophète_LongueLe Prophète, c’est avant tout un film tiré d’un livre, plus précisément, d’un recueil de plusieurs essais philosophiques inspirants. Transporté dans une poésie en prose saisissante, on ressort grandi une fois la dernière page tournée. Héros littéraire pour certains, dissident politique pour d’autres, Khalil Gibran a su marquer le 20ème siècle de son empreinte poétique novatrice. Une puissance lyrique que l’on retrouve dès les premières minutes du film.

Fidèle au terreau d’origine, celui-ci raconte l’histoire de Kamila et de sa fille Almitra, une enfant rebelle de 8 ans qui ne parle plus depuis le décès de son père. Elle va faire la rencontre de Mustafa, un prisonnier politique assigné à résidence à cause de ses écrits « révolutionnaires ». Lorsqu’il est libéré, Mustafa va traverser un village de l’île d’Orphalese pour rejoindre un bateau sensé le ramener chez lui. Sur le chemin, il part à la rencontre des habitants pour leur transmettre ses poèmes et sa vision de la vie tandis qu’Almitra le suit discrètement.

Un film porté par la passion

Le Prophète est un film d’animation 2D réalisé par Roger Allers et produit par Salma Hayek-Pinault, Clark Peterson, José Tamez et Ron Senkowski. Cette suite de noms peut paraître indigeste, mais ceux sont ici les noms d’une équipe de personnes passionnées, motivées par l’envie de porter à l’écran l’œuvre de Khalil Gibran.

Le Prophète_Kamila et Almitra

Le projet Le Prophète est bien moins récent qu’on ne pourrait le supposé. En effet, né il y a une dizaine d’années, il aura fallu 8 ans au producteur délégué Steve Hanson pour obtenir les droits du best-seller libanais. Informée de la création du projet, l’actrice et réalisatrice Salma Hayek-Pinault, que l’on a retenue dans From Dusk Till Dawn de Quentin Tarantino et dans Frida de Julie Taymor, y voit l’occasion de rendre hommage à ses origines en participant à la production et en prêtant sa voix au personnage de Kamila. Voulant donner de l’ampleur au film en y instaurant une trame narrative unique pour établir le lien entre les différents « chapitres » du livre, l’équipe de production se tourne vers Roger Allers, réalisateur du Roi Lion. Se joint alors à l’aventure un autre passionné, ce dernier étant tombé amoureux des livres de Gibran lors de ses études universitaires.

Une véritable poésie visuelle

Le Prophète_TombeAfin de figurer le lyrisme de l’œuvre de Khalil Gibran, l’équipe du film a choisi de faire travailler plusieurs animateurs internationaux pour donner vie à la prose du roman, tout en conservant une animation homogène pour la trame principale de l’histoire.

Nous avons au total huit passages, tous conçu par un animateur différent, qui ponctuent l’avancée de Mustafa dans le village au gré de ses rencontres avec les habitants. Avec l’idée de faire travailler plusieurs animateurs du monde entier sur un même film dans lequel le partage est une notion clef, Le Prophète s’impose par la beauté de ces passages. On pourrait s’attendre à ce que certains soient fatalement moins puissants que d’autres.

Pourtant, à chaque nouvelle animation, on plonge dans une esthétique et un univers nouveau et envoûtant. Mention spéciale au passage Sur la Liberté, réalisé par Michal Socha, un animateur originaire de Pologne qui s’est récemment fait remarquer à Annecy pour son court métrage Chick ; et au passage Sur la Mort, réalisé par les frères Paul et Gaëtan Brizzi qui ont notamment contribué à plusieurs succès d’animation Disney comme Tarzan ou Fantasia 2000. On notera par ailleurs la participation Joann Sfar et de Bill Plimpton, pour lequel le Cerveau ne vous cache pas son immense admiration.

Au détriment de la narration

Cependant, cette avalanche de passages animés plus beaux les uns que les autres a pour effet pervers de rendre l’animation de la trame narrative très fade. En effet, si elle reste maîtrisée avec des jeux de lumière très réussis et des décors enlevés, elle n’en reste pas moins éclipsée par les visuels poétiques du reste du film. Contrairement au film le Petit Prince, qui use du même ressort scénaristique en opposant cette fois une trame narrative en 3D, proche de celle que proposent les studios Pixar, et une animation en stop motion en papier découpé, la trame narrative du Prophète n’est pas à la hauteur.

Le Prophète_sur la mort

Des mots pour soigner nos maux

Si elle n’est visuellement pas mémorable, la trame narrative n’en reste pas moins intéressante d’un point de vue scénaristique. Très inspirée du matériel d’origine, le récit principal est une succession de rencontres, de partages et de poésie. Mais à côté de cela, Le Prophète se permet aussi d’aborder en toile de fond les relations mères-filles au travers des personnages de Kamila et d’Almitra, l’acceptation du deuil chez un enfant, de questionner sur la censure et de donner raison à la libre pensée. Concernant ce dernier point, le dénouement du film est très intéressant, laissant le spectateur face à une situation où la liberté peut être interprétée sous deux aspects différents.

Bien qu’il soit dommage que la trame principale du récit ne soit pas vraiment à la hauteur des passages poétiques, Le Prophète est un très beau film, aussi bien visuellement que narrativement. On ne peut rester indifférent devant un tel propos universel. Le Cerveau s’est laissé porté par cette ode au lyrisme et à la liberté, et vous le recommande chaudement. Salma Hayek-Pinault espérait que ce film nous mette « du baume au cœur », et l’expression n’a jamais été si bien employée. Le Prophète est un pansement de poésie bienvenu sur nos plaies, un remède efficace contre notre grise époque.

Bande-annonce


Crédit photos : ©Pathé