Nouvelle réalisation d’Alejandro González Iñárritu, Birdman ou la surprenante vertu de l’ignorance a tout ce qu’il faut pour être qualifié de chef d’oeuvre et marquer l’Histoire du cinéma.

On utilise souvent à tort et à travers certaines expressions pour parler de films. Longs métrages, cinéma d’auteur, film référence… Il est cependant certain que la majorité des réalisations auxquelles on attribue ces qualificatifs les méritent. Seulement, en tant que cinéphile, chacun se pose la question de savoir ce qui définit l’essence même d’une oeuvre cinématographique. Son ambiance ? Ses thèmes ? Son scénario ? Ses acteurs ? Tant de questions que beaucoup se poseront mais auxquels un seul a su répondre à ce jour : Alejandro González Iñárritu à travers Birdman ou la surprenante vertu de l’ignorance.

Tête de linotte

Birdman illus1Riggan Thomson (Michael Keaton) était au sommet. Durant les années 90, il incarnait un super héros au grand écran, Birdman, et générait des millions de bénéfices. Mais de nos jours, il est tombé en désuétude et cherche à se refaire une gloire sur Broadway en se transformant en metteur en scène de théâtre. Seulement rien ne va comme il faut et il lui faudra tout le soutien de ses proches, sa fille Sam (Emma Stone), son meilleur ami et avocat Jake (Zach Galifianakis), son acteur phare Mike (Edward Norton) et le reste de sa troupe loufoque pour maintenir la baraque à flot. Sans parler de son passé qui vient le hanter sous les traits de Birdman. A moins qu’il s’agisse moins d’un rôle que de sa vraie nature ? Dans tous les cas, il va tout faire pour que sa renaissance tel un phénix ne se transforme pas en chant du cygne.

A single shot

Si le cinéma était un Pokémon, Birdman serait sans nul doute son évolution. Non pas que celui-ci révolutionne le 7ème art, mais il le pousse jusque dans ses retranchements les plus extrêmes. Le film entier est un exercice de style mené de A à Z d’un main de maître par le réalisateur. Absolument rien n’est laissé au hasard et chaque détail fait sens dans la globalité du métrage. Du plan séquence simulé de 2h au jeu des acteurs, en passant par les textes, la musique, les thèmes sous-jacents… Ne serait-ce que dans le choix de Michael Keaton dans le rôle de l’acteur ancien super héros voulant faire son retour, alors que lui-même l’a été dans les deux Batman de Tim Burton. Chaque acteur n’est pas là pour jouer un rôle mais son rôle. Sans compter l’illusion du film tourné sans coupure, qui vient dynamiser le tout et inclure le spectateur directement dans ce drame aux faux airs de documentaire… Du pur génie.

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D’Icare au Phénix

Mais toute cette précision n’aurait aucun intérêt si elle ne venait pas servir un fond aux interprétations quasi-infinies. La métaphore de l’acteur hollywoodien, tel un démiurge volant au dessus de la masse, au risque de se brûler les ailes face au soleil de la célébrité, s’oppose à l’image du dramaturge fait de chair et de sang, réellement lui-même que lorsqu’il est face à un public qui n’attend que sa souffrance dans le plus simple appareil…

Coïncidence rigolote, le spectateur averti fera sûrement le parallèle avec le personnage du Hibou de Watchmen. Ce dernier ne peut se sentir viril que lorsqu’il porte son costume de super héros à forme d’oiseau. Syndrome dont Norton semble souffrir littéralement et que Keaton rejette sans cesse avant de l’embrasser pour devenir celui qu’il voulait être. Thématique dont Birdman boucle la boucle en soutenantun discours assassin envers les productions super héroïques actuelles.

Hollywood if it could

_MG_1102.CR2Et ce n’est pas la seule critique acerbe que Birdman assène. Les critiques et les buzzs éphèmères d’internet se retrouvent aussi sur le banc des accusés. Exemple mis à partie pour illustrer et dénoncer la violence exigée par l’industrie. Le succès que Keaton recherche et qu’il obtient temporairement en se mettant à nu, mais aussi celle plus durable en se donnant corps et âme aux planches afin de conquérir son public ne sont que deux exemples de la violence que Birdman dépeint au sein du show business américain. Un thème déjà abordé en long en large et en travers dans Le Prestige de Christopher Nolan : les sacrifices que les gens du spectacle sont prêt à endurer pour divertir le public et obtenir son amour.

Il faudrait encore des pages et des pages d’analyses de scènes pour expliquer à quel point Birdman atteint un niveau de perfection vertigineux. Le Cerveau n’a pas pu citer le talent immense d’Emma Stone, la musique se résumant principalement à une batterie quand Keaton s’énerve, l’ambivalence du Birdman, la mise en abîme du théâtre avec le parallèle entre le film et la pièce… Birdman fait partie de ces films à visionner obligatoirement, qu’on soit amateur ou professionnel du cinéma. Une chose est sûre, que Keaton vole réellement ou pas, le film lui, s’est rapidement hissé dans les hautes sphères des films préférés du Cerveau et survole les autres d’une bonne altitude. Juste assez pour ne pas se brûler les ailes. Ce n’est pas pour rien qu’il est reparti hier soir avec la statuette du Meilleur Film à la 87ème cérémonie des Oscars, et 3 autres récompenses.

Birdman : Bande-annonce

Crédits : ©20th Century Fox