Lovecraft Country : L’horreur américaine, loin des monstres de Lovecraft

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4.5

Lovecraft Country arrive ce 17 Août sur OCS en France. Une série fantastique militante, où l’horreur ne réside pas réellement dans ses créatures monstrueuses et fantastiques. La critique.

Produite par JJ Abrams et surtout Jordan Peele, l’une des figures d’Hollywood les plus engagées aujourd’hui, Lovecraft Country est l’adaptation du roman éponyme de Matt Ruff publié en 2016. Un roman qui revient sur la condition afro-américaine dans un récit essentiellement fantastique, fait rare, puisque le genre met rarement des minorités ethniques au centre de l’intrigue. La série a été créée par Misha Green, scénariste afro-américaine habituée au fantastique puisqu’elle a prêté sa plume sur des séries comme Heroes ou Helix. En qualité de showrunner, elle pousse le curseur du genre bien plus loin, pour lever le voile sur une réalité de l’Amérique encore absente des cours d’histoires aujourd’hui.

Lovecraft Country raconte l’histoire d’Atticus Freeman (Jonathan Majors) qui, accompagné de son amie Letitia (Jurnee Smollett-Bell) et de son oncle George (Courtney B. Vance), va se lancer dans un road-trip à travers l’Amérique ségrégationniste des années 1950, à la recherche de son père disparu (Michael Kenneth Williams). Alors que ce dernier vient tout juste de revenir de la guerre de Corée, une lutte s’engage à la fois pour survivre et surmonter les terreurs racistes de l’Amérique blanche ainsi que les monstres terrifiants dignes des nouvelles de Lovecraft, héritage d’un secret familial bien gardé. Un secret mystique, que Ticus va devoir percer à jour au fil des épisodes…

Correction

Rares sont les œuvres audiovisuelles qui reviennent sur ces épisodes sombres de l’Histoire Américaine : ceux de la ségrégation et des rixes blanches, des portes fermées pour toute une ethnie pourtant plus américaine que jamais à cause de la ségrégation, des arrestations gratuites et de la maltraitance quotidienne en raison de sa simple couleur de peau.

La série est un peu comme une œuvre qui corrige les oeuvres de H.P Lovecraft, dont l’imaginaire sans fin évoquait l’homme comme une infime créature parmi tant d’autres dans l’univers. Lui qui était raciste et prônait l’eugénisme de la race blanche, Lovecraft Country s’inspire de l’univers de ce dernier avec des noirs au centre de l’intrigue. Des noirs soumis au racisme ordinaire, ce qui fera frissonner ceux qui sont encore aujourd’hui victimes du racisme, qu’ils soient américains ou non. Elle fera aussi questionner ceux qui n’en n’ont qu’une vague idée, grâce à l’empathie exacerbée pour les protagonistes de la série, auquel le spectateur s’attache très vite.

Histoire cachée

Dans la lignée de Watchmen qui a fait découvrir au monde le massacre de Tulsa – tragédie absente des manuels scolaires d’histoire américaine – cette nouvelle création originale de HBO est essentiellement politique avant d’être fantastique. L’œuvre originelle, tout comme son adaptation en série, souhaite avant tout s’attaquer aux sujet du racisme avec intelligence, mais aussi violence.

Comme pour corriger la sous-représentation des noirs à la télévision, notamment dans les récits des années où ces derniers étaient souhaités comme invisibles dans le paysage américain, et donc absent de plusieurs œuvres d’époque, mais surtout questionner les fondements du racisme, un sujet encore tabou aujourd’hui.

Série militante

Ainsi, Lovecraft Country est avant tout une série militante. Militante car elle dépeint une histoire américaine violente héritée de l’esclavage que beaucoup refusent de voir en face. Militante surtout car elle a une résonance assez folle avec l’actualité, puisque la question raciale reste l’un des sujets majeurs de la vie américaine actuelle.

Ainsi on découvre les lois de certains états du sud qui chassaient les noirs à la tombée de la nuit – ou la simple douleur de se voir refuser le service dans un Diner à cause de sa couleur de peau, ou quand un travail de vendeuse n’est point envisageable car une noire a déjà été embauchée et à fait fuir certaines de ses collègues blanches… Lovecraft Country adresse le racisme dans ses effets les plus directs à cette époque, de quoi générer horreur et dégoût face à ce qui était considéré comme une normalité en ce temps.

Violente

Si la série est bien gore et sanguinolente, vu les 5 épisodes que le Cerveau a pu voir, la véritable violence dans Lovecraft Country réside dans l’expérience du racisme offerte au spectateur. A croire que l’intrigue principale de la série, sur fond de conspiration et de secte imitant le Ku Klux Klan version mystique, passe au second plan.

Ce qui nous importe, au-delà du destin des héros de Lovecraft Country, c’est cette peinture de la violence vis-à-vis des afro-américains, pourtant libérés de l’esclavage dans les états du nord, notamment à Chicago, où la majorité de l’intrigue se déroule.

Si le premier épisode montrait la ségrégation dès ses premières scènes, la suite, dans un état où les Jim Crow Laws n’ont jamais existé, dépeint une Amérique qui se veut essentiellement blanche et fermée aux noirs, où ces derniers restent parqués dans les quartiers pauvres qu’on leur réserve. S’ils osaient ou avaient le malheur de s’installer dans des quartiers résidentiels, les conséquences étaient plus que dures. L’un des épisodes d’ailleurs montre bien cette réalité, qui est toujours d’actualité dans beaucoup de villes américaines.

Monstrueuse Amérique

Côté SF, bien que la série propose quelques chose d’assez classique pour du fantastique, avec des manifestations de monstres en tout genre, ou des transformations à la « Freaky Friday » dans l’épisode 4, permettant toujours de critiquer l’expérience raciale américaine, les diverses intrigues de Lovecraft Country sont parfois déjà vu – surtout pour les habitués du surnaturel et fantastique – avec des résolutions parfois devinables ou somme toutes assez traditionnelles, sans pour autant être désagréables : ordre mystique, sorts divers, invisibilité, fantômes…

A mi-chemin entre une série fantastique d’anthologie à la X-Files ou Quatrième dimension, Lovecraft Country se sert du fantastique pour mieux dénoncer la réalité de la condition des noirs aux USA, ainsi que ses répercussions. Ici, la véritable monstruosité réside dans les rapports interhumains, notamment des blancs vis-à-vis des noirs (ou tout autre communauté victime du racisme).

Production léchée

Drame social, analyse de l’Amérique actuelle qui résulte directement de son passé, thriller fantastique inspiré par l’imaginaire du père de Cthulu, hommage à la pop culture, Lovecraft Country est une série essentiellement politique certes, mais qui ne manque pas d’immerger le spectateur dans son monde. Une série de très bonne facture au-delà de son intrigue principale, qu’elle soit fantastique ou politique.

Avec une réalisation soignée et calculée pour faire voyager le spectateur dans une Amérique d’époque, une production sans faille qu’elle soit côté décors, costumes ou effets spéciaux, une musique qui oscille entre hits de pop urbaine contemporains et des mélodies typiques des films de genres des années 50, Lovecraft Country s’annonce comme l’une des séries immanquable de cet été 2020. Une série inattendue avec une résonance flagrante avec  une Amérique plus divisée que jamais, toujours actuellement en pleines manifestations Black Lives Matter.

Une série qui dénonce les ravages du racisme et sa violence sans jamais sombrer dans le misérabilisme ou la victimisation. Un récit qui veut être sincère sur une histoire américaine dominée par les blancs sur fond de créatures imaginaires et effrayantes. Et c’est ce qui fait sa réussite.

Lovecraft Country est à voir tous les lundis sur OCS et OCS Go à la demande.

Crédits : ©HBO

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