Découvrez la critique du Cerveau conquis par le Joker, avec un Joaquin Phoenix habité pour un film qui réinvente complétement le personnage et le genre.

Encore un nouveau visage pour le Joker. Un visage qui succède à Jared Leto dans Suicide Squad, au majestueux Heath Ledger et Jack Nicholson. Celui de Joaquin Phoenix qui se lance dans le super-héros, loin de ce que l’on connait de l’acteur maintes fois nommés aux oscars.

Un acteur de renom et visage qui a rassuré les sceptiques concernant l’origin-story de l’un des vilains les plus charismatiques et iconiques de l’univers DC. Un visage qui offre au personnage un talent inédit pour une histoire aux antipodes de ce qu’on peut attendre d’un film de super-héros. Une tâche complexe réussie avec brio, pour un film qui n’est pas du tout un blockbuster, bien qu’il soit bien parti pour briser des records.

Film noir

Réalisé par Todd Phillips, pourtant connu pour ses comédies, notamment la saga culte Very Bad Trip, Joker est un film noir, intense, aux antipodes de ce qu’a pu proposer Suicide Squad dernièrement concernant ce personnage.

S’il a beaucoup fait parler de lui depuis son Lion D’or à Venise, le film est certes violent, non pas pour ses séquences, mais pour le mal-être qu’il génère. Un mal-être semblable à celui que pourrait vivre l’homme qui deviendra le Joker – à moindre mesure – et qui ne laissera personne insensible en salle.

Chef d’oeuvre

Un film aux influences Scorcesiennes marquées qui va sans conteste laisser une trace dans l’histoire du cinéma, pour son approche plus terre à terre et intime du personnage. Un film qui offre un véritable parti pris tant dans son écriture qu’avec sa caméra.

Entre récit initiatique, origin-story, tranche de vie, drame et plongée dans le psyché d’un homme atteint de maladie mentale, le film n’est pas loin du chef d’œuvre. Un chef d’œuvre dû notamment à la prestation habitée de l’acteur dans la peau du vilain mythique, mais pas que…

Nouvelle perspective et ambivalence

L’une des prouesses du film Joker, au-delà d’offrir une nouvelle perspective et ambivalence à un personnage que nous connaissons déjà, est de proposer plusieurs niveaux de lectures. Des niveaux loin des autres adaptations DC des studios Warner, souvent terre à terre, tape à l’œil ou peu recherchée (on pense notamment à Justice League ou Aquaman).

Là où Marvel continue à servir ses mêmes super-héros lisses et souvent sans demi-teintes, Joker prouve que DC peut s’adapter avec intelligence au cinéma sans trop en faire, pour une véritable expérience autour d’un personnage inspiré de comics.

Mal-être, handicap social, recherche du soi

Entre lutte des classes et handicap, Joker est un film sur le mal-être. Le mal-être d’un homme atteint d’une maladie qu’on ne comprend pas et ingérable, d’un homme rejeté par la société, pourtant en pleine tentative d’insertion sociale. D’un fils qui souhaite rendre sa mère heureuse, d’un homme rejeté par ses congénères, esseulé et incompris.

Un homme qui vit entre fantasmes et obligations – celle de cacher sa maladie, ainsi que subvenir aux besoins de sa mère malade – à la poursuite de ses rêves, comme devenir comique et offrir de la joie aux autres. Un homme qui veut juste être et rendre heureux, aimer et être aimé. Une description du personnage inédite, qui offre une nouvelle perspective et un nouveau rapport avec ce dernier pour le spectateur.

Empathie exacerbée

Ainsi, on est très vite pris d’affection et compassion pour Arthur. Une compassion décuplée par le jeu de Phoenix, entre monologues et séquences solitaires, visiblement habité par le personnage, transmettant à travers son jeu des émotions sans pareilles. Un jeu qui génère une empathie exacerbée pour cet homme dès les premières séquences du film. Même si l’on connait le destin du Joker ainsi que ses actes futurs – que ce soit en comics ou au cinéma – le spectateur ne peut être insensible face aux états de cet anti-héros qui n’a pas été épargné par la vie, ce dès son enfance.

Si la prestation de Joaquin Phoenix est l’un des atouts principaux du film, puisque l’acteur offre une interprétation du personnage d’Arthur Fleck qui mérite d’être acclamée, sa mise en scène est tout aussi impressionnante et inédite. Sur fond d’appel à la rébellion et rejet des élites, Joker propose une réalisation qui détonne avec ce que nous connaissons des blockbusters DC chez Warner. Une réalisation en décors naturels urbains et pittoresques dignes des comics qui l’inspirent, loin des fonds verts et autres effets spéciaux, apanage du genre.

Lutte des classes et rejet des élites

Aux antipodes de ce que nous avons pu voir précédemment, ce récit d’un Gotham aux allures de New York de fin des années 60, ses plans dignes du film noir, est un peu un miroir de notre propre actualité. Un reflet d’une société mise à mal par ses élites, incarnées ici par les parents du futur Batman, anciens employeurs de la mère d’Arthur.

Si ces derniers sont déconnectés de la réalité et difficultés des habitants qui se saignent dans une ville qu’ils ne connaissent pas, insalubre, noire et dure, où tout à chacun survit, à l’image de celui qui deviendra le Joker, les Waynes, ainsi que le petit Bruce (malgré lui) deviennent dans la vision de Todd Phillips, les vilains détestables de cet univers.

Malaise

Ces vilains qui ignorent la misère et la détresse de ceux qui contribuent à leur enrichissement. Comme un baromètre de notre société au bord de la révolte, Joker s’inscrit dans un contexte universel avec un réalisme déconcertant et malaisant.

Un malaise nourri par la volonté de traiter de thèmes comme rarement jusque là dans ces univers de super-héros : comme le handicap, la maladie, la pauvreté, la solitude et la dépression. Si le récit du Joker porté par Joaquin Phoenix sous l’œil de Todd Phillips est le récit d’une déchéance, de la chute d’un homme fragile dans les confins de l’horreur, il est surtout un film sur les conséquences d’une société qui s’effondre sur un individu fragilisé par la vie.

Déstabilisé

Un film dur à regarder pour les émotions qu’il procure pendant et après la séance. On se demande longtemps après ce qu’on vient de voir, déstabilisé par l’originalité de ce long-métrage, de l’image à la mise en scène en passant par le jeu, jusqu’à la musique – avec les violons saturés ou mélancoliques sous le manche de la compositrice et violoniste Islandaise Hildur Guðnadóttir – et ce jusqu’à la dernière séquence du film, d’une beauté cinématographique assez folle.

Une originalité qui déstabilise puisque l’on s’attend à une origin-story de blockbuster, comme on peut le voir chez d’autres distributeurs habitués aux mondes de super-héros. C’est pour cette raison que le Joker est une réussite de bout en bout, car le cinéma, qu’il soit de super-héros ou de genre, se doit d’être une expérience chargée en émotions pour le spectateur en salle.

Une expérience qui va assurément marquer les amateurs de genre, les cinéphiles et les fans du personnage. Un bijou rare, qui réinvente le cinéma de super-héros. A l’heure des multiverses interminables sur le petit et grand écran, on ne peut qu’en être ravi. Foi de Cervelle endommagée.

Joker : Bande Annonce

Crédit photos : ©Warner