Entre body horror et tragicomédie, Amanda Nell Eu change les règles du genre.

Puberté rime souvent avec monstruosité dans le cinéma de genre. Ils entretiennent même depuis toujours un lien organique. Les changements corporels et les angoisses que provoquent ces perturbations du corps adolescent trament des récits, hantés par les mutations.

Les règles animales

Dans cette mesure, Tiger Stripes s’impose comme le petit cousin malaisien de Carrie de Brian De Palma et du Règne animal de Thomas Cailley. Car à l’évidence, ce premier film, qui nous vient des antipodes, partage beaucoup de ce rapport à l’horreur et à la nature.

Zaffan, collégienne de 12 ans, est d’emblée présentée comme une anomalie. Trop remuante, trop libre aussi, aux yeux du corps enseignant, elle expose les prémices de sa féminité à ses camarades, pétries d’une jalousie larvée.

La survenue de ses premières règles conduit à son ostracisation. Rejetée, moquée et harcelée par ses camarades, elle se retrouve avec un corps qui échappe à son contrôle et change sous yeux. Et la voici qui devient littéralement tigresse.

Entre rébellion et désir d’émancipation, elle trouve dans la nature environnante, sensuelle et mystérieuse, un écrin où s’abandonner à son destin mutant. Mais où commence le rêve, où s’achève l’horreur ?

Un film hybride

Amanda Nell Eu s’amuse à jouer avec les codes du cinéma de genre qu’elle hybride avec le coming of age movie, ou un récit de passage à l’âge adulte. Son film redonne aux corps juvéniles une liberté que l’uniforme intégral, imposé aux écolières, entrave. La réalisatrice stigmatise par touches impressionnistes et avec beaucoup de finesse, le poids de la famille et du patriarcat.

Dans cette mesure, l’entrée en scène d’un charlatan, chargé d’exorciser les ados puis Zaffan, donne lieu à des scènes de comédie, mâtinées d’angoisse. On retiendra ces moments d’hystérie collective, aussi drôles que flippants car ils nous parlent directement d’une société coercitive, toujours encline à voir, chez les jeunes filles pubères, des sorcières en puissance.

Zaffan en est peut-être une. Mais ce qui est sûr, c’est qu’elle bouscule les assignations sociales. Film féministe ? Oui et qui trouve dans le genre, un terreau fécond où faire éclore une réflexion sur l’impur.

Le film d’Amanda Nell Eu l’est lui aussi, à bien des égards, avec ses effets spéciaux bricolés, volontairement fauchés et artisanaux. Ils apportent au récit une vraie poésie et embarquent le spectateur dans une odyssée sensorielle et organique, où le paysage agit comme un personnage.

Etat de nature

Les séquences qui se déroulent dans la forêt verdoyante comptent parmi les plus réussies du film. La réalisatrice capte cette nature vibrante qu’elle fait résonner avec les corps, eux-mêmes rendus à leur état de nature. Les baignades, dans ce sens, forment des parenthèses sensuelles et apaisées, à l’intérieur d’une trajectoire adolescente chaotique.

Le surnaturel s’invite dans les arbres, comme en témoignent les apparitions récurrentes d’une sorcière qui semble épier tout ce petit monde depuis son piédestal. On notera, au passage, le clin d’œil à Apichtapong Weerasethakul. La réalisatrice reprend son gimmick des yeux, qui brillent soudain d’un éclat artificiel. Tropical Malady n’est pas loin, d’autant plus qu’on y rencontrait un tigre dans une jungle bien étrange.

Bien que multipliant les citations, Amanda Nell Eu parvient à livrer un film personnel, axé sur sa propre adolescence en Malaisie. Elle enracine de surcroît son histoire dans le contemporain, en incluant les réseaux sociaux à son récit. Ce qui pourrait sembler gadget de prime abord, mais qui renforce ce jeu subtil de ruptures, de changements de régimes d’images et de tonalités qui font de Tiger Stripes, ce film qu’on n’attendait plus, dans l’univers codifié du teen movie horrifique.

Tiger Stripes : Bande Annonce

Crédits photos : ©Jour2Fête