Dune pourrait bien être le film chef d’œuvre de Denis Villeneuve pour le roman légendaire pourtant réputé inadaptable. La critique

C’est une saga réputée inadaptable. Inadaptable pour sa grandeur, sa complexité, son aura sur la littérature et le genre, ainsi que son impact et inspiration pour les artistes depuis sa publication en 1965.  Une saga complexe, qui est inscrite depuis plusieurs décennies au panthéon de la SF : Dune de Frank Herbert.

Une œuvre à part, qui a érigé la SF comme genre à part entière, entre tragédie, space-opéra, mysticisme et discours engagé. Une œuvre psychologique et militante à la résonance particulière, pour ses thèmes : la préservation de la nature, la course au profit et la dénonciation de l’agriculture de masse, la politique, le népotisme menant à la dictature, le despotisme religieux, la foi…

Challenge relevé

Des thèmes complexes à transposer dans un univers inédit futuriste, réputé non seulement difficile mais cher à l’écran. Pourtant, pour le québécois Denis Villeneuve (Blade Runner 2049, Premier Contact), Dune a toujours été une évidence. Une évidence qu’il porte depuis ses 14 ans, âge de la découverte des œuvres d’Herbert, comme tout bon fan des romans Dune.

Voici donc la vision Villeneuve d’un Dune comme on ne l’aurait jamais imaginé sur grand écran. Pour une œuvre réputée inadaptable (malgré un film de David Lynch et une série diffusée sur Syfy), Villeneuve relève l’exploit, non sans heurts, dans un film qui réinvente le blockbuster et le space-opera, à l’heure des franchises et autres reboots ou suites.

Epopée mystico-écologiste

Récit épique, Dune raconte l’histoire de Paul Atreides, jeune homme aussi doué que brillant, voué à connaître un destin hors du commun qui le dépasse totalement. Car s’il veut préserver l’avenir de sa famille et son peuple, il devra se rendre sur la planète la plus dangereuse de l’univers – la seule à même de fournir la ressource la plus précieuse au monde, capable de décupler la puissance de l’humanité. Tandis que des forces adverses se disputent le contrôle de cette planète, seuls ceux qui parviennent à dominer leur peur pourront survivre…

La première chose à retenir du film de Villeneuve est avant tout sa grandeur. Comme pour célébrer une œuvre d’un niveau aussi haut, le cinéaste a vu les choses en grand pour son blockbuster, des décors en passant par les costumes, les effets spéciaux, la photographie ou la musique étonnamment inspirée de Hans Zimmer. Le réalisateur rabat et redistribue les cartes du space-opera, fait rare au cinéma.

Une production à l’échelle de Dune

Chaque élément de production de ce film de 2h35 est non seulement bien choisi pour respecter et honorer une œuvre qui n’a pas d’illustration attachée (au contraire de Tolkien par exemple, dont l’imagerie est marquée par son illustrateur Alan Lee).

Car oui, même si l’on connait le talent et le style Villeneuve, à savoir des décors futuristes majoritairement minimalistes, épurés et souvent dans des palettes de couleurs sombres ou chaudes et contrastées, le réalisateur canadien réussi dans Dune à transposer ces mondes imaginaires sur grand écran avec réalisme, mais surtout beaucoup de justesse.

Jamais durant le visionnage on ne remet en question ce que l’on voit, en perspective avec ce qu’on a pu lire. Des dunes au vers de sable, à l’épice, en passant par la demeure Atréides ou la chaleur d’Arrakis, tout est cohérent avec le matériel originel, de quoi faire jubiler les puristes. Les décors réels en Jordanie offrent à Villeneuve un réalisme inattendu pour la planète Arrakis comme on ne l’aurait jamais imaginé.

Visuellement grandiose

Accompagné de son directeur de la photographie habituel, Villeneuve et Greg Frasier proposent des mondes d’un réalisme assez époustouflant, qui embarquent le spectateur sans concessions. Chaque séquence, qu’elle soit d’exposition narrative ou d’action, est d’une beauté incontestée et incontestable.

Une beauté inspirée par Frank Herbert mais assurément signée Villeneuve, puisque le film dans son intégralité propose une vision personnelle, tant dans le design des mondes, que celui des vaisseaux. Une vision qui a ses propres marqueurs, qu’on peut facilement reconnaitre et qu’on retrouve dans les œuvres précédentes du réalisateur.

Dune est aussi un film signé de la main de Denis Villeneuve, accompagné d’Eric Roth et Jon Spaihts au script. Si l’œuvre était réputée complexe à transposer au cinéma, ce n’est pas seulement pour son esthétique ou la grandeur de ses mondes. C’est aussi pour la grandeur de ses thèmes. Comme dit plus tôt, Dune est un véritable produit de son époque qui reste d’une intemporalité assez folle aujourd’hui.

Message écologique et géopolitique

A l’heure du changement climatique inévitable et du libre-échange, de l’agriculture intensive et de la recherche du bio, Dune est une œuvre avec un message précis. Un message que Villeneuve ne veut absolument pas spolier au profit de l’image.

Ainsi, la mise en place de la destinée Paul Atréide est non seulement respectée et préservée, mais surtout la pierre angulaire autour de laquelle l’intrigue va se construire. Que ce soit la dénonciation des élites à la tête des divers mondes de l’univers Dune ou du capitalisme de masse et le profit pour une toute petite minorité.

Dune est aussi le récit d’un leader érigé sauveur et prophète, produit d’un népotisme d’élite, qui va devenir l’un des plus grand despote de ces mondes. L’histoire d’un homme nourri par une foi aveugle, un mysticisme et une destinée inévitable, persuadé de détenir la vérité concernant son rôle.

Récit initiatique et exposition

Ce premier film Dune, bien que l’on imagine le futur sombre de Paul, est avant tout une aventure tout ce qui a de plus classique, dans un film d’exposition assez long, histoire de bien faire comprendre aux néophytes les enjeux et mondes de Dune.

En choisissant Timothée Chalamet dans le rôle de Paul, ce jeune homme au charisme incontestable et aux traits angéliques, Villeneuve propose non seulement un héros aux antipodes de ce qu’on peut attendre physiquement d’un premier rôle de blockbuster, brisant ainsi certains us hollywoodiens à l’heure des Marvel, mais aussi un héros humain et reconnaissable.

Casting astral

Avec Rebecca Ferguson à ses côtés dans le rôle de sa mère, et Zendaya (que l’on voit que trop peu dans ce film), le réalisateur mise la carte de personnages crédibles avant de créer des hommes et femmes qui seront à la fois héros et anti-héros.

Quant aux antagonistes, les Harkonnens, dans Dune de Villeneuve, ces derniers sont aussi vils, détestables et noirs qu’on n’aurait pu l’imaginer. Le Baron incarne toujours cette grandiloquence putride, l’appétit gargantuesque et insatiable de la richesse sans fin, ainsi que le prix de l’autocratisme. A l’heure où 1% de notre planète se partage ses richesses, le film ne pouvait pas être plus pertinent.

Tel des grands récits de tragédie, Dune de Villeneuve réussi l’exploit de transposer les thèmes et motifs du roman sans fausse note et avec beaucoup de cohérence, malgré la difficulté et multiplicité des lieux ou personnages du roman.

Cependant, le film malgré sa réussite, n’est pas exempt de quelques défauts : Dune, un peu comme Blade Runner 2049 est une œuvre artistiquement personnelle et éblouissante, au défaut parfois d’une certaine émotion, face aux scènes aseptisées et stylistiques.

Une expérience filmique avant tout

Bien que certaines séquences avec Rebecca Ferguson et Timothée Chalamet proposent de la nuance et quelques émotions, Dune est parfois plus axé sur l’expérience filmique, visuelle et auditive, au détriment de l’affect et loin du frisson d’un épopée classique.

Le rythme, typique des œuvres de Villeneuve, est souvent contemplatif et linéaire, entrecoupé de scènes de rêves prophétiques. Des choix assumés – histoire d’offrir des repères aux néophytes – mais qui pourraient ennuyer certains en salles, surtout les fans de la saga qui en connaissent déjà les enjeux.

Pour conclure, cette première partie de l’adaptation du roman Dune est une belle réussite de Denis Villeneuve. Très attendu par beaucoup pour l’audace d’adapter ce qui était réputé inadaptable, le réalisateur signe une œuvre qui sera sans aucun doute l’un des marqueurs de cette nouvelle décennie du 7ème art.

Dune : Bande Annonce

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