Rencontre avec Abd Al Malik, réalisateur du film Qu’Allah Bénisse la France. Il parle de sa démarche et de son film adapté de son propre livre.
En novembre dernier, en pleine session de travail autour de la bande-originale du film Qu’Allah Bénisse la France d’Abd Al Malik, le Cerveau a pu rencontrer le jeune réalisateur. En plein travail, Abd Al Malik a ouvert la porte de son studio d’enregistrement a une poignée de supports média dont Brain Damaged.
Abd Al Malick s’est fait d’abord connaître en tant que rappeur et slameur avant d’écrire et de publier des livres. En 2004, il a sorti Qu’Allah Bénisse la France, un livre autobiographique qui retrace sa vie dans la banlieue de Strasbourg.
Un artiste passionné
Abd Al Malik est un artiste multi-cartes. Il se sent littéraire, musicien et cinéaste. Cette année, il est passé derrière la caméra en adaptant son livre Qu’Allah bénisse la France. Dix ans pour acquérir une certaine maturité entre le moment de son écriture puis son passage sur le grand écran. Et le réalisateur parle de son impulsion, ce qui lui a donné le déclic : “Je suis un passionné de cinéma au même titre que je suis passionné de musique et de littérature donc ça faisait sens mais il a fallu le temps de vivre les choses, d’avoir plus d’expérience, notamment au niveau de la technique, etc. Et en fait ce qu’il s’est passé, c’est qu’il a quelqu’un qui m’a motivé et qui m’a dit que je pouvais le faire, c’est Matthieu Kassovitz. Finalement j’ai décidé de me lancer et de le faire véritablement,” dit-il. Il avait l’intention de le faire mais ne pensait pas le faire aussi tôt.
Toutes ses démarches partent d’une grande passion : “Je suis un grand lecteur au départ, Très vite, les grands auteurs m’ont donné envie d’écrire. Je suis un grand spectateur de films et les grands cinéastes m’ont donné envie de réaliser et je suis un MC, un rappeur et les grands rappeurs m’ont donné envie de rapper. C’est toujours lié à une passion de départ. Donc j’ai pas le sentiment de m’être dit un jour “ah tiens je vais faire ça” ça ne s’est passé comme ça. Après c’est de vous montrer sur pièce que je suis cinéaste.”
L’artiste est assez sûr de lui, il sait ce qu’il veut et pense être légitime en tant que réalisateur. On sent une confiance en lui qui est loin d’être de l’arrogance. Il dévoile que le livre a presque été écrit dans l’optique d’un film mais qu’il n’était pas prêt à passer à l’acte. Comme il le dit lui-même, “il a fallu le temps de vivre” avant de réaliser son film. “Je me suis rendu compte que j’étais le plus apte à le faire”. Il a reçu beaucoup de propositions pour adapter son livre mais : “C’est tellement personnel. J’ai mis 38 ans pour faire ce film en fait. Ce qui m’intéressait c’était de faire un acte de cinéma et pas que me raconter, c’était de faire un acte de cinéma fort qui devait symboliser mon existence, mon entrée réelle dans le fait que je m’assume en tant que cinéaste. A partir du moment où je me suis senti capable de pouvoir le faire, je l’ai fait.”
Le travail d’adaptation
En ce qui concerne l’adaptation en elle-même, Abd Al Malik dit avoir beaucoup de recul sur lui-même : “J’ai jamais considéré que j’étais important. Le plus important, c’est l’histoire que je raconte parce que dans mon histoire, il a plein de gens qui peuvent se reconnaître, qui viennent de mon milieu et c’est ça qui est important. C’est à quel moment une histoire singulière devient universelle. C’est mon questionnement. A partir de là, s’il a fallu adapter, couper là, arranger ça, j’ai pas d’états d’âmes, ce qui compte c’est la cohérence de l’histoire, que lorqu’on voit un film, on est en train de voir un vrai film, on est pas en train de voir un truc décousu où je veux absolument le raccrocher au livre parce que le livre c’est quelque chose et le film c’est autre chose.”
Il a donc fallu faire des choix et couper dans le livre. “Ce n’est pas un film de fans, ce n’est pas un film sur la musique, ce n’est pas un film sur le rap spécifiquement ou sur l’Islam ou sur les cités, c’était tout ça en même temps. Donc il ne fallait pas avoir peur de faire des choix.” il ajoute : “On est une famille de huit et il fallait transformer ça en trois par exemple. Et puis il y avait d’autres trucs comme est-ce que je racontais l’histoire de Wallen aussi mais l’histoire de Wallen c’est un film en soit donc j’ai arrangé son histoire.” Ce qui l’a poussé, c’est de créer de l’émotion, plus qu’on ne le peut dans un livre, selon lui.
Un regard intérieur
Pour Abd Al Malik le plus important, c’est l’histoire avant tout : “Objectivement, ce qui m’intéressait, c’était de montrer le réel. Un regard de l’intérieur, un regard de la cité, des choses qui soient réelles. C’est facile de dire les mecs c’est des délinquants, on est pas juste un fait divers ou un pourcentage ou un truc, on est des êtres humains.” Il voulait parler de toutes ces problématiques. Parler de l’Islam de l’intérieur et de la cité de l’intérieur. Il déclare : “Même notre propre souffrance on refuse de la montrer nous-même. Même nos souffrances doivent rentrer dans un cadre donc c’est des regards extérieurs. Donc l’idée c’était de nous raconter par nous-même. Mais pas dans le sens de nous guettoïser mais de dire voilà le regard que nous on porte sur nous-même et voilà qui nous sommes. C’est pour ça que j’ai voulu tourner vraiment dans ma cité, là où les choses se sont vraiment passées, c’est pour ça que j’ai voulu travailler avec des acteurs qui sont à majorité des amateurs de mon quartier, c’est pour ça qu’à la régie c’était des gens de mon quartier et en partie en production. C’était de faire en sorte que pour une fois, on puisse se rapproprier ce langage mais pas pour se fermer, c’est pour dire que nous aussi on peut exprimer un regard sur nous-mêmes. Vous, ensuite vous penser ce que vous voulez mais voilà qui nous sommes.”
En ce qui concerne le choix du noir et blanc, c’est un hommage au cinéma. “C’est comme rendre hommage à un cinéma fondamental, avec toutes les références et le cinéma que j’aime. C’est amener une signature de cinéma singulière. Pour moi, c’était véritablement important donc j’étais obligé de faire mon premier film en noir et blanc.”
Une musique propre à sa région
La musique du film a été en grande partie composée par son frère Billal, un personnage qui est d’ailleurs présent dans le film. Abd Al Malik s’est aussi entouré de son épouse, la chanteuse Wallen mais aussi du DJ Laurent Garnier. La présence de Laurent Garnier donne un son particulier au film, un son électro qui rappelle leur culture frontalière avec l’Allemagne : “Très vite on était dans la culture de l’électro, on a connu ça très tôt chez nous, avant que ça arrive sur Paris, on était déjà dans cette musique. Donc en fait on voulait donner une musique singulière qui montre qu’on est ni à Marseille, ni à Paris mais qu’on est ailleurs. Billal a fait toutes ses musiques au départ mais il m’a dit, “on peut ajouter un élément, y’a quelqu’un qui peut faire en sorte qu’on aille encore plus loin dedans” Il faisait référence à Laurent Garnier. Abd Al Malik connaissait le DJ puisqu’il avait fait des concerts ensemble à Montreux. Ils sont ensuite aller le voir. “Billal a fait tout le travail de pré-production et Laurent à fait le reste du travail pour donner cette atmosphère vraiment électro pour singulariser le film. L’autre étape musicale c’était que Wallen puisse voir le film, voit le scénario et écrire une musique qui soit inspirée du film. C’est-à-dire qu’est-ce que ça évoque pour elle, et donc elle a fait un album avec son point de vue de femme.”
Qu’allah Bénisse la France sort le 10 décembre prochain.
Qu’allah Bénisse la France – Bande-annonce
©Brain Damaged 2014 ©Ad Vitam
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