Caïn est de retour le vendredi soir sur France 2. Rencontre avec le co-créateur Bertrand Arthuys et Claude Scasso, un des scénaristes.
A l’occasion de la diffusion des deux premiers épisodes de la saison 3 de la série policière Caïn ce vendredi 3 avril à 20h55 sur France 2 (et déjà disponible sur Pluzz), Le Cerveau est parti à la rencontre de Betrand Arthuys, co-créateur et réalisateur de la série, et Claude Scasso, ancien journaliste devenu scénariste, qui a rejoint l’aventure Caïn en saison 2.
Pour ceux qui ne connaissent pas encore la série de France 2, Caïn (interprété Bruno Debrandt) est flic en chaise roulante. Il a une sérieuse tendance à profiter de son handicap pour passer au dessus des lois et des convenances. Il mène l’enquête en binôme avec Lucie (Julie Delarme) qui doit faire face à son cynisme et son humour très très noir
.
Dans cette brainterview, Bertrand Arthuys et Claude Scasso reviennent entre autre sur la singularité du personnage principal de Caïn, les enjeux de cette nouvelle saison et sa suite, la comparaison avec House et l’avenir de la fiction en France.
Comment est née l’idée de Caïn ? Quelle a été votre inspiration ?
Bertrand Arthyus : J’avais deux personnes très proches de moi qui sont handicapés par accident. J’avais depuis longtemps envie de raconter quelque chose autour de cette idée là et puis l’idée d’en faire un polar est venue dans une discussion avec la productrice de l’époque Linda Chabert.
Claude, qu’est-ce qui vous a attiré dans cette série, en tant qu’auteur ?
Claude Scasso : Ce qui m’a attiré c’est le personnage. Tout ce qu’il portait comme drame en lui et tout ce qu’on pouvait exploiter en profondeur. Je suis arrivé en saison 2 et j’ai aimé son regard sur la vie, sa façon d’aborder le monde et le fait que de part sa situation d’handicap on avait un personnage qui pouvait tout se permettre.
Bertrand Arthyus : C’est ce que j’allais dire, ce qui fait le personnage, ce qu’il est et ce qu’il véhicule, il est dû à son handicap, s’il n’avait pas ce handicap, ce serait un personnage singulier certes mais pas celui qu’il est et celui qu’on a conçu au départ. C’est quelqu’un qui à frôlé la mort et qui donc connait le prix de la vie. Dans cette situation de flic, connaitre le prix de la vie pour enquêter sur des morts ça crée cette possibilité de passer outre toutes les convenances pour ne pas perdre de temps.
Son handicap est plus une force…
Bertrand Arthyus : Il l’a transformé en force. Mais pas d’une manière héroïque à la manière de ces types qui veulent prouver au monde que l’handicap n’est pas un problème et qu’avec des jambes de bois ils peuvent courir aussi vite ou qu’avec des fauteuils roulants ils peuvent sauter des haies… Non, c’est un contre-héroïsme. Il n’est pas dupe de son handicap, au contraire, il le met en avant, il en joue. On ne sait jamais s’il en souffre et c’est ça qui déstabilise les gens en face.
Claude Scasso : Comme a dit Bertrand, il fait tout dans ses enquêtes pour que ça n’apparaisse pas comme la première chose mais si jamais en face de lui il a un interlocuteur qui n’a pas regardé son handicap, il va le lui rappeler. S’il a en face de lui quelqu’un qui voit avant tout son handicap, il va s’en servir pour rappeler avant qu’il est un homme donc il est toujours en port-à-faux. C’est quelqu’un qui met toujours les gens en face de lui, et surtout les suspects, mal à l’aise et donc il s’en sert dans un sens comme dans l’autre.
En préparant cette interview, Le Cerveau a remarqué qu’il y avait pas des comparaisons avec House mais pour le Cerveau, il est clair que les deux personnages n’ont qu’en commun l’handicap. House était, à défaut de trouver un meilleur mot, un « connard » fini mais Caïn lui a une palette émotionnelle beaucoup plus développée et nuancée.
Claude Scasso : Quand Caïn doit être connard, je laisse Bertrand écrire (rires) n’est-ce pas Bertrand ?
Bertrand Arthyus : Non ,faut pas dire ça ! (rires) Caïn n’est jamais connard, il joue au connard. C’est drôle parce qu’en vous écoutant je pense par exemple à la manière dont Gainsbourg a géré son personnage qui a priori se voyait comme un « laid » et il a séduit les plus belles femmes parce qu’il était totalement décomplexé par rapport à ça parce qu’il l’a vraiment vécu en souffrance et il l’a retournée, cette souffrance . Caïn il fait ça en permanence et donc c’est une vraie souffrance, c’est pour ça qu’il n’est jamais connard. Quand le destin lui fait mal il en rigole mais il a mal. C’est toujours en demi-teinte et toujours profond.
Exactement, Il a un champs émotionnel très vaste.
Bertrand Arthyus : C’est Bruno Debrandt qui porte ça d’une manière formidable et qui donne cette envol absolu au personnage
Claude Scasso : Lorsque vous parlez de House,il faut bien voir que justement le monde de la télé est venu très vite. Quand la série est arrivé il y a un peu plus de trois ans, c’est sur que House faisait référence comme étant la série qui avait choqué parce qu’on avait un personnage négatif donc on a mis « handicap + personnage négatif » et du coup on a regardé un petit peu mal la première série en collant ce docteur House à Caïn. Caïn n’est pas un personnage négatif. C’est un personnage ambigu.
Bertrand Arthyus : la référence à House elle n’était pas là à la création de la série et du personnage de Caïn.
Elle était dans la force que House a de dire la vérité à des gens. Dans une séquence où il y a une petite gamine de 17 ans et que House s’approche d’elle en lui disant « écoute, voilà, tu as un cancer , j’t’explique : ou je t’opère pas et tu meurs à peu près dans 4 jours ou je t’opère et tu meurs à peu près dans 4 mois, qu’est ce que tu préfères ? » Waw ! C’était ça la force de House ! C’était une manière absolument incroyable de dire la vérité les yeux dans les yeux aux gens. Une vérité qu’on n’a pas forcément envie d’entendre et moi je trouve que c’est ça la force qu’a Caïn. Il peut dire des vérités comme ça. Des vérités qui font mal mais qui sont des vérités et ça c’est un truc que House a développé et qui était très nouveau dans la série. Je pense que ça a beaucoup contribué au succès de la série parce qu’il est légitime à lui. C’est pas pour faire mal ou pour faire chier.
Quelle direction avez-vous choisi pour cette nouvelle saison de Caïn ? Est-ce que ça va être plus noir, plus sombre ? Une saison 4 a déjà été commandée, avez-vous écrit cette saison 3 en pensant déjà à la saison 4 ou de façon indépendante ?
Claude Scasso : non indépendamment, soyons honnête. Ce ne sera pas plus noir, il faut que Caïn ait un ton, c’est un rendez-vous.
La grosse nouveauté sur toute cette saison c’est l’apport d’un feuilletonnant. On a eu du mal avec la chaine à se caler pour savoir si on mettait ou non un feuilletonnant. On a eu le feu vert pour en mettre, on le souhaitait depuis le début et donc ce qui va traverser cette série c’est que outre tout le travail comme d’habitude sur les criminel, sur les affrontements, sur les intrigues policière et sur ce qu’elles peuvent révéler mais c’est aussi surtout ce fil rouge qui va s’étirer et qui apportera vraiment à chaque fois des humeurs aux personnages. Et selon leurs humeurs, leur état d’esprit, ils n’abordent pas toujours les intrigues de la même manière.
Est-ce qu’on va découvrir d’autres facettes des personnages en avançant dans l’intrigue ?
Claude Scasso : énormément ! Cette série est vraiment faite pour ça. Je pense que dans cette série tous les personnages évoluent.
Bertrand Arthyus : dans les saisons précédentes, Caïn s’implique dans les histoires et ici, pour la première fois, C’est luiqui est impliqué. Il ne peut pas faire autrement que de gérer un certain nombre d’histoires personnelles qui arrivent par devers lui et du coup il subit des choses qui le touchent personnellement via le feuilletonnant.
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Claude, vous avez été journaliste à l’écran fantastique avant de devenir scénariste. Comment voyez vous l’évolution de la fiction française, d’un point de vue journalistique ?
Claude Scasso : Je l’ai espéré depuis tellement de temps cette évolution. Je voyais que les idées étaient là et on arrivait pas à les faire déboucher et qu’en même temps la presse nous tapait dessus.
Je la trouvais terriblement injuste en disant « y a pas de scénaristes en France » alors que c’était faux. On était bridé et on se bridait nous-même parce qu’il fallait bien vivre. Ca été surtout le discours sur la distribution à l’étranger qui a fait bouger un petit peu les producteurs et les chaines et enfin on a pu simplement être nous-même
On n’a jamais cessé d’être bon. Avant on faisait de la dramatique télé et puis on a vu des séries américaines on s’est dit « tiens, si on essayait » et maintenant on se rend compte que les codes ont les a naturellement.
Le savoir faire on l’a, il suffit simplement de l’organiser économiquement.
Est-ce que pour vous, les alternatives à la télévision « classique », Netflix et ses fictions originales ou des webseries créées grâce au crowdfunding, change votre façon de voir et de concevoir la fiction française ?
Claude Scasso : je n’ai pas beaucoup de vision sur ça parce que c’est encore loin de nous. C’est un mode de diffusion qui n’est pas encore sur les séries françaises.
Mais il va y avoir des productions françaises comme l’annoncée « Marseille ».
Claude Scasso : oui il va y en avoir mais laissons- leur le temps d’arriver. Pour l’instant ça concerne tellement peu d’auteurs et de gens que ça ne rentre pas encore dans nos habitudes. C’est exactement comme il y a trois ans quand on nous parlait de la fiction de Canal. Ceux qui faisait de la fiction à Canal avaient l’habitude, les autres étaient encore un petit peu en retard sur la fiction française.
Bertrand Arthyus : j’ai l’impression qu’il y a une sorte d’internationalisation des choses et que tout le monde s’enrichit, se cherche et que tous les formats enrichissent les autres et font bouger. Nous on regarde plein de séries de tous les modes qui nous donne envie , qui nous donne du courage pour avancer des idées plus originales. Non ?
Claude Scasso : oui. Et pour revenir à cette saison de Caïn, quand on écrit sur toute la partie feuilleton,on l’écrit comme une globalité donc ca serait diffusé à la Netflix avec des gens qui regardent les huit épisodes d’un coup on se dit « très bien » parce que tout notre feuilletonnant est parfaitement cohérant. Mais pour l’instant dans notre écriture on pense « soirée », on pense mode de diffusion français qui est de deux épisodes donc on sait que si on a une noirceur très forte dans un épisode on va essayer de le disposer en deuxièmement épisode de soirée. Le découpage de la diffusion implique des choses dans l’écriture. Si demain Netflix arrive et nous dit on va tout diffuser d’un bloc alors oui forcement notre réflexion changera légèrement. Maintenant dans le fond et l’originalité, ca ne va pas changer grand-chose.
Fleur Pellerin, la ministre de la Culture, a récemment déclaré qu’elle souhaitait que la fiction française prenne plus de risque et se rapproche plus de ce que fais la BBC.
Est-ce que à l’heure actuelle, c’est possible ou au contraire, la fiction française doit avoir sa propre identité ?
Claude Scasso : il y a un accélérateur qui est donné. Après, entre le moment où on propose un projet à une chaine et le moment ou il aboutit il se passe déjà au moins un an et demi, deux ans. Donc on assiste a quelque chose qui donne comme un coup de booster comme la diffusion de Les Témoins. C’était totalement improbable à priori que France 2 fasse ce projet et qu’il reporte un tel succès public. Oui forcement ça va changer des choses dans le sens qu’attend Fleur Pellerin.On va pouvoir oser de plus en plus. La prise de risque qu’on a continuellement avec Caïn c’est qu’on doit garder cet aspect quand même rassurant du polar du vendredi soir qui est quand même que c’est un flic positif, qui aboutit ses enquêtes, qui va jusqu’au bout.
Bertrand Arthyus : d’ailleurs Les Témoins n’est pas diffusé le vendredi soir. C’est une autre case. La fiction française répond encore à des cases et notamment sur France Télévision. Peut-être que la BBC fabrique moins pour des cases.
Claude Scasso : Dans ces cases peut-être qu’il y a des choses qui bougent légèrement. C’est vrai que par exemple dans Caïn on est contraint à une chose qui est dans l’ADN de la série policière, du procédural. Donc on rentre dans toute une lignée de polar américain. L’an dernier, on a essayé pour la première fois un double épisode qui était Abel et Caïn qui faisait une soirée entière pour une seul enquête et ça a super bien marché au niveau des audiences. La chaine a souhaité de renouveler cette expérience cette année avec le dernier épisode qui est un double épisode et où on prend le risque avec ça qui est que ce double épisode est à la fois la réponse à tout le feuilletonnant de la saison et qui en même touche de plein fouet les personnages.
En parlant de fiction étrangère, est-ce que certaines vous inspirent ? D’autres où vous vous dites « j’aimerais bien travailler dessus » ? Pourquoi ?
Claude Scasso : je suis resté très Dexter. C’est la grande série qui m’a scotché, qui m’a plu dans tout son déroulement, dans toute son avancée à part la dernière saison un petit peu décevante comme pour tout le monde.
Dans toutes les séries c’est peut-être LOST que j’aurais aimé écrire. Qu’est ce que j’aimerais bien encore aller fouiller ces mystères et ses personnages d’une richesse incroyable.
Bertrand Arthyus : moi à chaque fois que je regarde une série, je pense a ce que je peux voler pour ramener chez Caïn (rires)
Crédits photo : © François Lefebvre , NBC, DR
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