Le Jeu de la dame : De l’échec prédestiné d’une vie, au jeu salvateur

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Disponible sur Netflix, la mini-série Le Jeu de la dame nous plonge dans le monde des échecs . Si l’intellectuel prône, les réalisateurs Scott Frank et Allan Scott ont laissé place à un peu d’ivresse et de glamour.

Passer d’orpheline à championne du monde des échecs ? C’est possible, en tout cas ça l’est pour Beth Harmon incarnée par l’actrice Anya Taylor-Joy. Adaptée du roman éponyme de Walter Tevis par Scott Frank et Allan Scott, Le Jeu de la Dame retrace l’histoire d’une héroïne qui se prend de passion pour les échecs au sein de l’orphelinat catholique dans lequel elle est accueillie.

Elle n’a que 9 ans lorsqu’elle découvre ce jeu par le biais du concierge de l’établissement. L’homme habitué à jouer contre lui-même, est captivé par la capacité de la petite fille à mener la danse et va faire d’elle l’enfant prodige. Beth Harmon ne vit que pour ces pions blancs et noirs. De victoire en victoire, on la voit grandir et devenir la première femme à se faire une place dans ce monde réservé aux hommes. Plus rien ne peut l’arrêter si ce n’est le redoutable maître des échecs Vasily Borgov (Marcin Doroconski).

L’ascension d’une jeune femme

Paris 1967, « Mademoiselle, vous êtes là ? », Beth Harmon, dans sa baignoire endormie est prise d’un vent de panique. Pilule verte, fiole d’alcool, elle court à travers les couloirs de l’hôtel. La caméra la suit dans cette course contre la montre, dans cette course pour affronter le champion du monde des échecs Vasily Borgov. Face à face, le bruit des pendules retentit, la musique se met à jouer reflétant l’air nostalgique de la jeune femme. On ne voit plus que son visage empli d’inquiétude, puis ses yeux avant de remonter le temps pour laisser place à cette petite fille qu’elle était.

Le Jeu de la Dame nous ramène au point de départ :  l’accident de voiture avec sa mère… puis l’orphelinat. Des éléments-clés pour expliquer aux spectateurs comment cette femme a réussi à faire trembler les hommes à chaque partie d’échecs. La série va au-delà d’un destin voué à l’échec, à la pauvreté, et la solitude. Les échecs seront le sauvetage d’une jeune fille qui n’a pas grand choses qui la raccroche à la vie. Une vie qui malgré tout sera nourrie de dépendance et d’addictions, à l’image de l’addiction de cette jeune femme à un jeu. Un jeu intellectuel, mais un jeu avant tout.

L’échec de l’emprise

Une dépendance qui débute dès son entrée à l’orphelinat. Tous les jours, les petites filles ont l’obligation d’avaler une pilule rouge et une pilule verte. Si le vert est considéré comme la couleur de l’espoir, elle est ici celle de l’enfer. Un tranquillisant dont Beth ne pourra plus se passer. Il sera pour elle son seul moyen de pouvoir visualiser son jeu qui se dessine sur le plafond.

À chaque dose, le spectateur est embarqué avec la jeune femme dans ses hallucinations. Les 64 cases prennent forme et nous naviguons avec elle à travers les pions, accompagnés de ce bruit assourdissant de leur glissement sur ce tapis imaginaire. Beth grandit et ajoute à ce cocktail l’alcool dans lequel elle plonge avec sa mère adoptive qui l’assiste à chacun de ses déplacements.

Le Mat du jeu

Ainsi le récit du Jeu de la dame devient, au fil des épisodes, l’histoire d’une jeune femme qui doit faire face aux obstacles de la vie, son incapacité à se connecter aux autres si ce n’est à sa mère adoptive et sa sœur d’orphelinat  – seules figures familiales au cours de sa vie.

À travers les sept épisodes, la jeune femme tentera de lutter tant bien que mal jusqu’à la libération toujours par le jeu. Elle résiste, puis replonge par faiblesse, mais aussi par ce sentiment d’abandon. Sans les échecs, la jeune femme aurait surement eu un autre destin. Ainsi, ce jeu qui la fascinait devient un point d’ancrage, une bouée de sauvetage, un refuge mais aussi un moteur.

La femme indomptable

La série est rythmée par des flash-backs, des souvenirs de son enfance aux côtés de sa mère. Un abandon soudain dans des circonstances violentes, que Beth tente de comprendre bien qu’elle n’en connaitra jamais les raisons. C’est aussi l’image de cet homme inconnu qu’elle voit dans chacune de ses pensées. Un homme qui est peut-être la cause de ses relations.

Cette absence de figure masculine aura fait d’elle une femme indépendante. Une femme forcée à être suffisante à elle-même voire détachée des hommes qu’elle fascine et qui la soutienne. Beth ne s’attache pas, ils ne sont que des pions d’un soir, pas de sentiment. Son seul et unique amant reste l’échiquier pour qui elle se donnerait corps et âme.

Série indéniablement féministe, Le Jeu de la Dame montre toute la difficulté et force d’être femme. Une femme durant les années 60, où sa place dans la société américaine n’est réduite qu’à son rôle d’épouse et de femme au foyer.

Récit émancipatoire, Le Jeu de la Dame montre toutes les ressources qu’une femme peut avoir. Avec une force égale voire supérieure à celle de ses pairs. Et bien que Beth Harmon soit avant tout considérée comme une femme à travers les journaux, cette dernière sait jouer des autres et de ses pairs comme aucun de ses adversaires. Être femme est peut-être son plus grand avantage, comme le suggère la série.

La gagne, ensemble

Une femme qui ne veut pas être réduite à son genre et qui souhaite être vue comme une gagnante à part entière. Elle s’impose, forge son identité. Les hommes la voient alors, après les première moquerie, comme un adversaire qu’il faut affronter. Elle fait peur et en même temps ils tombent tous sous le charme de son jeu, sous le charme de cette personnalité féroce.

Ils l’aiment et se battent pour elle, non pas pour la séduire, mais pour qu’elle se sente entourée. Des concurrents les plus simples aux plus prétentieux, ils deviendront tous sa nouvelle famille pour décrocher ensemble la victoire.

Captivant

Si le titre Le Jeu de la Dame peut amener au doute pour son double sens, il n’en est rien. Chaque partie est un tourbillon de rebondissements et laisse transparaître toute la complexité de ce personnage. Une richesse portée par Anya Taylor-Joy, réevélée pour le film Morgane mais aussi X-men, jeune actrice au talent indéniable, qui élève Beth au plus haut point dans un charisme saisissant.

L’actrice arrive à nous captiver même sans un mot juste avec son regard dans lequel elle invite le spectateur à ressentir toutes les émotions qui s’émanent de la jeune femme : doute quand elle ne sait pas comment va se terminer la partie, joie quand elle sait qu’elle va gagner, mais aussi un regard taquin ou plein d’humour quand il en faut, enseveli dans d’autres séquences par les larmes.

 

Une interprétation qui arrive à rendre une activité que certains pourraient qualifier d’élitiste ou ringarde. Le tout servi par une réalisation, des costumes et décors de cachet. Le jeu de la dame réussi la prouesse grâce à son héroïne de rendre les échecs sexy et passionnants, ouvrant la voix peut-être à de nouvelles vocations, chez les spectateurs de la série qui ont apprécié ce drame en 8 épisodes. Une série immanquable pour une intrigue comme rarement vu sur le petit écran.

Crédit photos : ©Netflix

Mathilde Dandeu & Asma El mardi

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