Zero Dark Thirty un « docu-fiction » au coeur de la CIA avec ses images crues et ses faux airs de Démineurs 2.0 : la critique mitigée. 

S’il y a bien un film qui a du mal à faire l’unanimité, c’est bien Zero Dark Thirty, nommé dans 5 catégories aux Oscars, un Golden Globe pour son actrice principale : Jessica Chastain, un casting solide et Kathryn Bigelow derrière la caméra. Zero Dark Thirty est un film où le spectateur est invité à suivre l’évolution d’une des plus grandes et plus longues investigations de l’agence la plus secrète des USA, des épisodes de tortures à la traque finale, en passant par les opérations avortées et les erreurs humaines. On débriefe.

L’apologie de la torture ?

Ce qui choque dans ce long métrage revisitant dix ans d’Histoire, c’est la violence proposée à l’écran à travers des images de tortures que nous avons tous vues, qui font échos aux atrocités qu’ont subies les prisonniers terroristes entre 2006 et 2010,  dans les prisons d’Abu Ghraib ou Guantanamo. Des prisonniers sous Convention de Genève à qui l’Amérique a fait subir des tortures dignes de l’obscurantisme, d’ordre sexuel, humiliantes  et surtout sans limite. Des pratiques que plusieurs rapports ont déclaré être encouragées par de hauts décisionnaires de l’Etat, afin de faire avancer les investigations en cours. Dans Zero Dark  Thirty, cette torture est mise à vif à l’écran dans une froideur qui non seulement génère le mal-être mais surtout le questionnement. Quand il y a torture à l’écran de ce gabarit, illustration de faits réels, le spectateur s’attend  à une condamnation d’ordre verbale ou physique. Mais la condamnation est absente. Zero Dark thirty c’est l’objectivité de ce qui s’est passé sans empathie.

Pour ce film, Kathryn Bigelow a choisi le camp de la neutralité. Une neutralité qui dérange, car Zero Dark Thirty reste de la fiction où l’objectivité n’a pas sa place même si basée sur des faits réels, surtout quand on voit la nature de certains actes. Le sentiment flagrant qui se dégage de toutes ces scènes plus ou moins supportables, est que  la torture est apparue pour la CIA comme un moyen nécessaire, efficace et inévitable pour soutirer des informations. Qu’elle soit non seulement physique ou mentale (menacer d’envoyer un musulman en terre israélite est une torture d’ordre mental). Toutes ces scènes de tortures présentées dans le film ont débouché sur des informations qui ont permis de faire avancer la traque contre Ben Laden. Et même si la réalisatrice se défend  dans une lettre ouverte publiée dans le Los Angeles Times, en assurant être «une pacifiste invétérée, je soutiens toutes les condamnations de l’usage de la torture, et globalement des traitements inhumains en tout genre», il est très dur de ne pas garder cet arrière-goût d’horreur indispensable.

Ce sentiment amer et cru d’apologie de la torture, dans un but précis, est dur à effacer lorsqu’on regarde Zero Dark Thirty.  On n’ira pas jusqu’à dire que Bigelow défend ces méthodes barbares  mais la réalisatrice a oublié que son long métrage n’est pas un reportage sur le terrain mais bien une fiction à prendre comme une fiction, qui forcément va délivrer un message au spectateur. Le message ici étant neutre, l’interprétation d’une non-défense de ces actes est plus difficile à déceler. Une erreur que Bigelow n’aurait pas dû commettre.

Jessica Chastain, traqueuse de terroriste

Dès les premières scènes le ton est donné. Zero Dark Thirty revient sur les grands axes de la traque d’un des plus grands, si ce n’est le plus grand terroriste du 21e siècle. Une traque que beaucoup ont suivie depuis près d’une dizaine d’années, à la finalité improbable. Dans Zero Dark Thirty, cette traque est incarnée par un seul personnage, celui de Maya, jeune recrue de l’agence, dans la peau de Jessica Chastain. Une femme acariâtre et déterminée, insensible au climat politique qui l’entoure, ni même celui de son pays, dont le seul but est de trouver un moyen de capturer Ben Laden. Une Jessica Chastain comme jamais vue dans un rôle aux antipodes de ceux qu’elle a pu endosser. A elle seule, l’actrice incarne tout ce qu’il a de plus américain quand on touche au travail, au dévouement et à l’implication de certains dans une tâche précise, même aux dépens de sa vie privée, sociale, voire physique. Work is work.

A défaut d’être le film d’action de l’année, Zero Dark Thirty a le mérite d’être un film extrêmement bien documenté, même si incarné par des personnages fictifs. A la limite du docu-fiction avec sa réalisation sobre et sans fioritures, similaire à l’esthétique visuelle de Démineurs, les informations de ce long métrage ont même généré le questionnement de la CIA et du Sénat au vu de la précision de certaines scènes, notamment celles de l’exécution de Ben Laden.

Une fiction au plus proche de la réalité

Malgré tout, Zero Dark Thirty, c’est un peu un double voire triple épisode d‘Homeland, sans l’action qui monte crescendo ni le suspens à l’américaine. Pour ceux qui s’attendent à une revisite de la traque de Ben Laden façon Cellule Anti Terroriste avec un Jack Bauer 2.0 féminin, la déception sera au rendez-vous. Zero Dark Thirty, avec sa réalisation sobre est un film sur le dévouement de ceux qui se sont dédiés à retrouver le plus grand criminel du 21ème Siècle. A l’instar de Démineurs, la réalisatrice et le scénariste Mark Boal ont privilégié l’intégrité de l’information aux dépens de la fiction ou construction des personnages au cœur de l’intrigue,  pour vraiment se focaliser sur le processus de traque. L’antipathie exacerbée du jeu de Jessica Chastain, anti-héros par excellence, souligne l’importance du processus plus que celui du « character build » pour la réalisatrice et son collaborateur de toujours. Une histoire qui veut être élevée à un autre niveau, soutenue par l’exactitude des faits appuyés par des informations d’Agents de la CIA sous le couvert d’anonymat.

Avec sa réalisation très sobre, Zero Dark Thirty a plus des allures de documentaire informatif que de la fiction politique. Aux antipodes d’Argo, lui aussi basé sur un pan de l’histoire politique du Moyen Orient documenté et réel, Zero Dark Thirty se veut comme le relevé factuel de la traque de Ben Laden, avec plus ou moins de neutralité dans sa narration. Car quand on choisit de focaliser son intrigue que sur un seul des partis, la neutralité ne peut être au rendez-vous. On regrette la froideur avec laquelle la torture est présentée et la longueur du film, mais dans la globalité, Zero Dark Thirty est un bon film. Quant à justifier de ses nominations…

Zero Dark Thirty Bande annonce VOST

 

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