Les femmes dans les jeux vidéo : La combinaison impossible ?

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Tentative de réponse de la part du Cerveau sur la question des femmes dans les jeux vidéo.

Avis aux machos accros des gachettes et aux féministes convaincues. Vous occupez le devant de la scène depuis suffisamment longtemps désormais pour peut être laisser des avis plus nuancés s’exprimer. Un énième plaidoyer vomissant haine et clichés ? Séduisant, mais peu original. Un message de paix et d’amour entre les communautés ? Ce n’est pas le genre de la maison. Tenter une analyse qui propose une approche pragmatique en se basant sur les spécificités du médium ? Voila qui semble déjà plus intéressant.

Les femmes dans les jeux vidéo… Voila un débat qui fait couler encre, sang et salive. Beaucoup de choses ont été dites, d’un côté comme de l’autre. Et pourtant, le mystère reste entier. Comment faire pour défendre le médium face à ces accusations ? Le peut-on seulement ? Le Cerveau tentera, en distinguant avant tout deux critères selon lesquels juger ces accusations :  l’esthétisme, comprenant des codes plus traditionnels comme ceux du cinéma, et les mécaniques, les codes propres au jeu vidéo.

D’un côté le scénario, la mise en scène et plus largement le symbolisme et les interprétations possible, et de l’autre, les interactions mais aussi expériences de jeu et de metrics. Il est a noter que l’esthétique ferait plus référence à l’avis du fameux “grand public” et donc au ressenti “profane” et l’approche mécanique serait plus technique avec des notions de game design notamment. La distinction est faite ici pour bien comprendre les problématiques face auxquelles les développeurs font face, le jeu vidéo étant un MULTImédia, marketing et communication mis à part.

Autant de paramètres à prendre en compte pour peut être apporter un nouvel élément de réponse et, qui sait , soyons fous, montrer que parmi la fange des titres étiquetés sexistes se cachent de bons élèves qu’il est nécessaire de mettre en avant. Changer les mentalités, ça commence par là aussi.

devil may cry gif

Baaaaaad reputation

On n’y coupera pas. Petit retour en arrière pour faire un état des lieux (d’où on vient tout ça tout ça). Fait qu’il ne faut pas oublier, le jeu vidéo a été créé dans les années 70 par des hommes et pour des hommes. Donc s’attaquer aux premiers jeux sur leur manque de considération pour les femmes, c’est comme accuser les premiers super-héros de patriotisme : ils sont des produits de leur époque et s’adressent aux mentalités de l’époque. Le pouvoir du contexte en somme.

Explicable sans être excusable. Là où ça l’est moins, c’est dans leur évolution en marge de la société. Alors que le débat sur égalité des sexes prend de l’ampleur, socialement et institutionnellement, le jeu vidéo reste cloîtré dans ces représentations archaïques et stéréotypées des femmes. La demoiselle en détresse, le personnage qui n’est défini que parce que c’est une femme… Depuis les années 70 où l’on a vu les premiers jeux grands publics avec un scénario (même simpliste) et où la technologie permettait enfin de détailler les personnages, malgré certaines tentatives, force est de constater que les choses n’ont pas trop changé. C’est très beau tout ça (euh vilain pardon) mais on a autant ces clichés à la télé que dans les films ou les romans. Les jeux vidéo sexistes ? Dans leur esthétique, oui. Plus sexiste qu’un autre média ? Pas plus, voire moins, de par son jeune âge.

Stéréotypes VS Femmes dans la Jeux Vidéo : la chaîne d’Anita Sarkeesian


Le Gameplay avant tout

lara croft nathan drake

Les personnages féminins sonteffectivements représentés avec des tenues légères et dans des situations vues et revues de détresse ou de dépendance face aux hommes. Rien de nouveau sous le soleil, tout cela a déjà été répété des millions de fois. Mais et si au lieu de rester sur esthétique, on grattait un peu plus la surface pour voir ce qu’il en est de la spécificité même de ce médium : le gameplay. Note-t-on une réelle différence à jouer un homme ou une femme ?

Si l’aspect de Lara Croft était changé pour mettre un homme à la place, ça donnerait quoi ? Nathan Drake, en effet. Un bon point pour celui du fond qui se réveille, pour une fois. Et même, si l’on compare la jouabilité entre les anciens Tomb Raider et la saga des Uncharted, on se rend compte que Lara a de nombreuses capacités que Drake n’a pas, comme effectuer des roulades ou des acrobaties diverses et variées. Choix intentionnel ? Non, bien sur. Puisque cela dépend une fois de plus du jeu en lui-même. Le choix que fait un Game Designer entre un personnage féminin ou masculin n’a d’importance que s’il concorde avec le jeu qu’il veut créer. La cohérence de l’expérience de jeu passe aussi par ce genre de “détails”.

Si mon but est de sauver le monde, battre un vilain pas beau, sauver quelqu’un (qu’il soit homme, femme ou flan aux quetsches), le genre du personnage importe peu. C’est l’approche que pourraient avoir ce qu’on appelle les “ludologues”, à savoir les créateurs pour qui l’histoire vient servir le gameplay. Si Mario saute sur des champignons, ce n’est pas parce que ça a du sens d’un point de vue scénaristique (Miyamoto n’ayant pas de haine viscérale envers les fongus) mais parce qu’ils ressemblent à des tremplins sur lesquels il est logique de sauter. Idem pour les tuyaux dans lesquels notre instinct va nous pousser à descendre.

Extra credits : un vrai personnage féminin


Le scénario avant tout

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Un autre courant de pensée habite le monde du Game Design, celui des “narratologues”. A l’inverse de leurs confrères, pour eux, le gameplay vient servir le scénario. Ici, les expériences de jeu ne sont pas au centre de l’oeuvre, mais l’expérience en général. Le plus célèbre d’entre eux serait David Cage. Ce Game Designer français s’est basé, notamment pour Heavy Rain et Beyond : Two Souls, sur des sentiments à exprimer à travers un jeu, à travers ses mécanismes.

Ainsi, dans Heavy Rain, le joueur incarne Ethan Hawk qui mène l’enquête pour retrouver son fils. Les mauvaises langues rétrogrades auraient peut être vu ici une femme dans ce rôle puisqu’instinct maternel etc. Hé bien non, Cage voulait que le joueur expérimente ça du point de vue d’un père, puisque contrairement à ce que Kratos de God of War ou autres Marcus Phénix de Gears of War veulent faire croire au monde, les hommes aussi peuvent ressentir des choses. Idem dans Beyond : Two Souls : la démarche de Cage était de sensibiliser le joueur à la mort de son prochain. Sauf qu’en plus de cela, il a axé le scénario, et donc les mécaniques, sur les challenges rencontrés par Jodie, l’héroïne. Selon les choix du joueur, cette dernière deviendra une femme forte et indépendante ou tombera dans les bras du premier venu. Certaines scènes assez crues mettront le joueur dans des situations déplaisantes qu’il n’a pas forcément l’habitude de voir surtout s’il est un homme. En parlant de scènes traumatisantes, le Cerveau ne pouvait pas parler du sujet sans aborder la polémique ayant entouré le dernier Tomb Raider.

Beyond : Two Souls – Scène du bar


Idée à la comm

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Recontextualisation : lors de la sortie du jeu, le buzz avait été créé par le département marketing de Square Enix autour d’une scène en particulier dans Tomb Raider. Lara Croft se faisait plaquer contre un mur par un pillard et commençait se faire peloter sans vergogne. Hola de la part de la presse et du public qui foncent tête baissée en criant au sexisme et autres accusations rapides.

Curieux, le Cerveau a donc testé ce jeu dans son intégralité pour vérifier par Lui-même. Lors de cette fameuse scène, Lara se fait bien acculée par un affreux à la mine patibulaire. Celui-ci tente un quart de seconde une main vers le derrière de l’aventurière avant que le joueur ne réagisse lors d’une séquence de Quick Time Event pour reprendre le dessus sur l’assaillant.

Ici, un ludologue serait outré du manque d’inventivité de la part des Game Designers, le QTE étant un cache-misère en matière de gameplay. Les narratologues, eux, y verraient une juste représentation de l’impuissance ressentie par la population féminine lors de ce genre d’événements, les QTE ici, s’ils sont réussis, étant gratifiés d’une nouvelle scène de lutte. Elle se débat pour survivre, le joueur se débat avec elle. Et au final, ils triomphent de leur ennemi et Lara tue pour la première fois. Le symbolisme de la scène, inscrit dans la totalité du jeu est particulièrement fort. Certes, il est bien plus aisé de la retirer de son contexte et de crier dessus que de la resituer pour comprendre l’intention de l’expérience.

Il s’agit d’une étape charnière dans l’évolution de Lara. Après, le choix de ce genre de scène peut être contestable. Mais cela aurait-il été aussi fort s’il ça avait été un simple combat ? Et même, doit-on interdire ce genre de scène sous prétexte que ça peut plus influencer que sensibiliser ? Si le jeu vidéo veut grandir, il doit aussi passer par là, parler de sujets qui existent tels que la culture du viol, que des gens expérimentent réellement, aussi crus soient-ils. Ils doivent d’autant plus le faire, comme n’importe quel autre produit culturel (et par extension oeuvre d’art), puisque le jeu vidéo s’inspire du réel. Sauf que ne pouvant et n’ayant aucune raison de le faire (qui voudrait jouer à sa propre vie avec les mêmes règles ? Et les menteurs qui disent « moi », pourquoi jouer à des jeux vidéo ou voir des films dans ce cas ?), il se doit d’aller dans l’emphase et l’exagération. Comme un acteur qui surjoue pour faire passer une émotion.

Tomb Raider : la fameuse scène dans son intégralité


Hyper-sexualisation

bayonetta vs kratos

Si on censure les traits propres aux genres, restons dans ce cas sur des personnages lambdas. Qu’ils soient hommes ou femmes, il n’y a aucune différence, si ce n’est dans la forme. Nions les différences qui font notre interdépendance (et là, ne dîtes pas qu’on a jamais besoin de personne dans sa vie, homme, femme ou flan aux quetsches). Et si la solution n’était pas dans l’opposé ? Et si des personnages hyper-sexualisés au point de n’être plus des stéréotypes mais des stéréotypes de stéréotypes prenaient le pas sur l’absence de distinctions ?

L’exemple le plus frappant étant celui de Bayonetta. Femme fatale aux attraits exagérés (non, des jambes comme ça, ça n’est pas humain), cette sorcière prend un malin plaisir à envoûter autant les protagonistes du jeu que le joueur lui même ! Alors qu’elle vient d’effectuer un combo ravageur et de massacrer des dizaines d’ennemis, la voila qui s’arrête, prend la pose et adresse un clin d’oeil moqueur à celui qui la “contrôle”. Il ne s’agit peut être que d’un détail, mais le trou béant qu’elle a laissé dans le 4ème mur dit plutôt “T’as vu ce que JE sais faire ? C’est gentil de m’avoir aidé mon mignon mais c’est MOI la boss ici.” Certes le joueur contrôle le personnage, mais ici, Bayonetta est tellement sûre d’elle, que même les ordres du joueur semblent l’amuser.

Étrange impression qui pousse la connivence entre un personnage qui AUTORISE qu’on la guide de temps en temps et celui qui tient la manette. Le joueur AIDE Bayonetta quand elle le VEUT. Et cette liberté s’exprime surtout par sa tendance à prendre des poses lascives avant de sortir ses flingues et tirer sur tout le monde. La différence profonde entre ça et un Kratos aux muscles huilés et aux lames ensanglantées ? Dans le fond aucun. Et pourtant, Bayonetta a fait polémique à sa sortie. God Of War ? “Trop cool, c’est gore et Kratos et trop badass.”

Non, la raison pour laquelle Kratos ne fait pas tache malgré l’imposition autoritaire de son physique au joueur, c’est parce que massacrer des gens quand on est un homme, c’est bien, c’est ce qu’il faut faire. La virilité par le sang. Je suis plus fort que mon prochain parce que j’ai réussi à lui faire manger ses rotules. Est ce que tous les hommes en 2014 aspirent à ça ? Autant que les femmes à sourire, être belles et faire la popotte ? Mais techniquement, dans le cadre du jeu vidéo, la séduisante Bayonetta serait-elle une parodie d’un genre trop bourrin (le beat em all) où les gros bras règnent en maitre ? Pourquoi les femmes n’auraient-elles pas le droit elles non plus de massacrer tout le monde avec style ? A quand un God of Cooking ?

Bayonetta : Compilations des exécutions


Alors au final : sexisme ou pas sexisme ?

Bayonetta gif

La question de la position des femmes dans le jeu vidéo est une fausse question. Elle s’inscrit dans une culture banalisée et institutionnalisée qui pousse chacun et chacune à avoir une vision de choses genrée. Mais depuis les années 70, beaucoup de barrières sont déjà tombées et de nombreuses encore peuvent l’être. Ne serait-ce que par l’originalité du médium, l’interactivité, qui a d’énormes vertus pédagogiques, pour faire vivre à un public parfois très masculin les insanités dont son victimes les femmes dans la réalité.

Combien de joueurs ont été victimes de harcèlement sexuel ? Comment réagiraient-ils si c’était eux les victimes du sexisme quotidien et permanent ? Inclure des scènes crues et trans-genres comme dans Tomb Raider ou Beyond : Two Souls où la protagoniste vit un intense moment d’impuissance et/ou d’injustice subie qu’un homme pourra difficilement expérimenter autrement que par le virtuel, ne serait-ce que pour le sensibiliser, est une vision prometteuse ! Tout est question d’expérience. Et là où le cinéma ou les autres médias auront encore du mal à avancer sur le sujet, le jeu vidéo peut changer les mentalités plus rapidement par ces expériences. Mais une fois encore, un jeu est un produit comme un autre et son utilité dépend de l’utilisateur. Sans parler de la manière dont on le vend. La responsabilité est partagée entre l’industrie pour ce qu’elle produit et le public pour ce qu’il y voit. Reste à savoir qui des deux va faire le premier pas.

Crédits : ©DR

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