Label 619 : Rencontre avec RUN, Mirion Malle et Florent Maudoux

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A l’occasion de la 43ème édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, le Cerveau est allé à la rencontre du Label 619, la collection décalée et sans concessions des éditions Ankama.

Le FIBD d’Angoulême est un événement très dense où il est possible de découvrir de nombreuses maisons d’édition et auteurs. Aussi, le Cerveau a choisi de vous parler cette année de l’atypique Label 619. Cette collection des éditions Ankama, que l’on connaît notamment pour des séries telles que Love, de Fredéric Brrémaud et Federico Bertolucci sous le Label Étincelles, ou plus récemment leur adaptation en BD du jeu vidéo Dofus, se démarque par son caractère pop et moderne, lorgnant du côté des cultures urbaines et laissant à ses auteurs une grande liberté d’expression.

Le Cerveau a donc bravé la fièvre du Festival pour aller rencontrer trois membres du Label 619 : RUN, auteur de Mutafukaz et responsable du Label 619, Florent Maudoux, auteur de Freaks Squeel, et Mirion Malle, dernière arrivée dans le Label et auteur de Commando Culotte, une adaptation en BD de son blog éponyme.

Mirion Malle, culottée !

Une fois n’est pas coutume, nous commençons cette excursion au sein du Label 619 par la fin. En effet, notre première entrevue se fait avec Mirion Malle, dernière auteure à intégrer la collection avec sa BD, adaptée de son blog éponyme, le Commando Culotte, paru le 15 Janvier 2016.

Commando CulotteNous sommes ici à la 43ème édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Étiez-vous déjà venue à ce Festival avant ? À cette occasion, avez-vous des personnalités que vous voudriez rencontrer ?

Si ce n’est pas mon premier Festival d’Angoulême, c’est la première fois que je m’y rends en tant qu’auteure ! Je suis très heureuse d’être ici, bien que je n’ai malheureusement pas beaucoup de temps pour moi… Le peu dont je dispose, je le consacre à retrouver mes amis présents sur place.

Qu’est-ce que cela vous fait d’être éditée pour la première fois ? Avez-vous reçu des propositions d’autres maisons d’édition ?

Je suis ravie d’être éditée ! Et d’autant plus chez Ankama, au sein du Label 619 qui m’a laissé carte blanche pour mon travail sur Commando Culotte. Cela m’a permis de mener une large réflexion sur les notes que j’ai souhaité aborder. Au final, je suis très fière de cette Bande Dessinée. J’ai vraiment le sentiment d’avoir pu évoquer les différents sujets dont j’avais envie de parler sans aucune contrainte.
J’avais reçu des propositions de la part d’autres maisons d’éditions avant, mais ça n’avait jamais rien donné. Jusqu’au jour où j’ai reçu un mail de RUN, m’invitant à le rencontrer pour parler d’un projet d’adaptation de mes notes de blog en Bande Dessinée. Je ne savais pas à quoi m’attendre. Aussi, quand il m’a proposé d’être éditée au sein du Label 619 au terme de notre entretien, j’ai été très agréablement surprise ! Ce fut une très belle expérience.

Éloignons-nous un peu de votre travail pour revenir, brièvement, sur la polémique qui a frappé cette 43ème édition du FIBD d’Angoulême, par rapport à l’absence de femmes parmi les nommés pour le Grand Prix. Quelle a été votre première réaction lorsque vous avez pris connaissance de la liste des lauréats ?

Ma toute première réaction, ça a été la colère. Bien entendue, j’étais contente de constater que la voix des auteures était de plus en plus facilement entendue dans le milieu de la Bande Dessinée, et même au-delà. Malheureusement, comme Diglee l’expliquait dans une note sur son blog récemment, je suis déçue de constater qu’il faille que des hommes, parmi lesquels Riad Sattouf, dont je salue l’initiative, réagissent pour faire enfin bouger les choses. De manière générale, cette 43ème édition du FIBD aura soulevé de nombreuses questions concernant la place de la femme dans la Bande Dessinée. Entre la polémique très médiatisée sur l’absence de femmes nommées pour le Grand Prix du Festival, ou encore la critique de l’artiste et bloggeuse Tanxxx à Yan Lindringue, à propos de la création du prix « Couilles au Cul », je me dis qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Quels sont vos futurs projets ?

J’ai de nombreux projets en tête. D’abord, j’aimerai créer une Bande Dessinée qui s’attaquerait aux « Conseils de Drague », et s’adresserait aux adolescents. On voit de plus en plus de sites internet qui délivrent des « conseils » pour aborder quelqu’un. Ils s’adressent principalement aux garçons qui ont des difficultés à aller vers les filles. Le problème, c’est qu’ils ont souvent tendance à véhiculer des propos sexistes, voir à encourager des attitudes très dangereuses. J’ai déjà commencé à discuter de ce projet avec une amie dessinatrice et sexologue. En parallèle, je travaille sur un projet de fiction, qui s’adresserait également aux adolescents.

Aimeriez-vous adapter un jour vos notes de blog sous la forme de vidéo « éducatives », comme l’a fait Marion Montaigne avec son blog Tu Mourras Moins Bête ?

Je trouve qu’un projet de « vulgarisation scientifique » sur les thèmes que j’aborde avec Commando Culotte pourrait être intéressant. Je suis très admirative du travail de Marion Montaigne, elle fait partie des auteures qui m’ont inspiré, et étant moi-même étudiante en faculté de sociologie, spécialisée dans l’étude du genre, un projet comme celui-ci me plairait beaucoup.

Mirion Malle FIBD 2016

Quelles sont vos principales inspirations ?

Mes inspirations sont assez variées. Il y a aussi bien des auteurs de Bande Dessinée, que des artistes, notamment Tarmasz, qui est aussi une amie, Debbie Dreschsler, Angela Dalinger… Elles ont toutes un style à part entière et chacune représente une grande source d’inspiration pour moi.

Sur votre blog, vous nous parlez de séries et de cinéma. Quelle elle pour vous la série qui vous a le plus marqué ?

Hum…J’ai le droit d’en citer plusieurs ? – rires. En série live-action, je dirais Six Feet Under, qui m’a beaucoup marqué lorsque je l’ai découvert, surtout grâce à ses protagonistes que je trouve très bien écrits et variés. En séries animées, il y a bien sur Steven Universe, pour laquelle j’ai beaucoup d’affection malgré quelques défauts. Mais je te conseille vivement d’aller jeter un œil à des séries comme Jessica Jones, Bob’s Burgers ou Over the Garden Wall qui sont pour moi vraiment excellentes !

Florent Maudoux and the Freaks

Pour enchaîner suite à cette rencontre avec Mirion, le Cerveau a eu le plaisir e faire connaissance avec  Florent Maudoux, installé avec ses aquarelles, terminant une dédicace du dernier tome de sa série Freaks Squeele, A-Move & Z-Movie. L’occasion de revenir sur ses influences et ses oeuvres.

Freaks Squeel Tome 7Nous sommes au Festival d’Angoulême et, à cette occasion, avez-vous des personnalités que vous voudriez rencontrer durant le week-end ?

Si vous avez trouvé un moyen pour rencontrer Katsuhiro Otomo, je suis preneur ! (rires). Plus sérieusement, Otomo a été une personnalité très importante dans mon travail. Au-delà de l’influence qu’il a eu sur moi dans sa manière de raconter les histoires, très spécifique en matière de manga, il m’a enseigné la rigueur. Mais, si j’avais pu, j’aurais vraiment aimé pouvoir rencontrer Moebius. Si Otomo m’a apporté la rigueur, Moebius m’a donné l’ouverture d’esprit.

Avec A-Move & Z-Movie, vous arrivez au terme de votre série Freaks Squeele. Souhaitez-vous vous faire vivre cet univers au-delà de cette série et de ses spin-off ?

Je compte approfondir l’univers de Freaks Squeele au travers de ses personnages. Je trouve que mes Bandes Dessinées ne répondent pas à toutes les questions que peuvent se poser mes lecteurs concernant leurs origines. Par exemple, je fais référence à la jeunesse de Ange dans le tome 6, mais je ne parle pas de ses parents, d’où ils viennent, quels étaient leurs buts… Il y a plein de questions sur l’origine des protagonistes qui restent en suspens et auxquelles j’aimerai apporter des réponses. C’est pour cela que je me suis lancé dans un projet de roman qui aura pour vocation de développer leur histoire personnelle.

Qu’est-ce qui vous a conduit, à l’époque, à frapper à la porte d’Ankama pour éditer Freaks Squeele ?

Au début, j’avais été proposer mes planches à plusieurs maisons d’édition. Mais j’essuyais refus sur refus. Jusqu’à ce que j’arrive chez Ankama, où j’ai enfin trouvé chaussure à mon pied. Par rapport au format et au contenu que je proposais, c’était de loin la maison d’édition la plus appropriée. De plus, RUN avait lui aussi connu les mêmes types de refus dans sa carrière et souhaitait, avec le Label 619, proposer à ses lecteurs quelque chose de différent, que lui-même voudrait lire. En fait, ce sont ces envies mutuelles de comics, de manga, dans la narration ou le style graphique, qui ont forgé le Label 619. A l’époque, il y avait peu de production « métissées » en Bande Dessinée. Je pense que cela est dû au fait que le public n’était pas encore prêt à recevoir ce type d’œuvre. Trouver son public, c’est 50% de talent, 50% de chance.

Avec Freaks Squeele, vous avez exploré le domaine de la BD, mais également du jeu vidéo avec votre titre Call Of Cookie. Souhaiteriez-vous vous lancer sur un projet cinématographique ?

Il y a en effet un projet d’adaptation en cours, mais je préfère me concentrer sur ce que je sais faire, la Bande Dessinée. Un film représente un énorme investissement, que ce soit en termes de budget ou de temps. De plus, pour faire un film, il est nécessaire de trouver LA bonne personne, le bon collaborateur avec qui monter un projet stable et en accord avec mes attentes et mes envies. Je pense qu’il faut d’abord exister par soit même pour convaincre les autres, avoir la maturité de faire des choix. Pour le moment, je souhaite mettre l’accent sur mes projets papiers.

RUN et Florent Maudoux FIBD 2016

RUN, mutafukerz !

Alors que notre entrevue avec Florent Maudoux touche à sa fin, le responsable du Label 619, RUN, prend place ses côtés pour répondre à nos questions.

Nous sommes au Festival d’Angoulême et, à cette occasion, avez-vous des personnalités que vous auriez aimé rencontrer ce week-end ?

(Regard complice entre Florent Maudoux et RUN ) Si vous avez trouvé un moyen pour rencontrer Katsuhiro Otomo, je suis preneur ! – Rires. Je suis arrivé mercredi 24 Janvier au soir, du coup, je n’ai pas vraiment eu le temps d’y réfléchir. Le Festival est un évènement riche en rebondissements et en rencontres, et j’ai très peu de temps pour moi. Cependant, j’aimerai beaucoup pouvoir enfin voir Mégaboy : on n’arrête pas de se croiser sans jamais réussir à se retrouver !

Lorsque l’on est face à vos créations, on sent assez clairement une inspiration qui nous vient de la pop culture et du street art en général. Y a-t-il des artistes qui ont influencé votre œuvre dans ces domaines, ou d’autre ?

S’il y a bien une « sensibilité street » chez Mutafukaz, le street art n’est pas ma principale source d’inspiration. Lorsqu’on a mis en place les premières ébauches en 1997, j’étais entouré de nombreux artistes très différents : le collectif 123Klan, Dany Boy, Rolito… Ils m’ont permis de découvrir des styles graphiques qui m’étaient étrangers, d’expérimenter de nouvelles choses. On dépendait les uns des autres créativement parlant. Mon style a donc été influencé par un ensemble d’artistes en collaboration, une émulsion commune qui à créer chez moi un univers multi référencé et éclectique.

Mutafukaz_tome_5Vous venez de terminer votre série phare et emblématique, Mutafukaz. Avez-vous de nouveaux projets sur lesquels vous souhaitez travailler ?

Je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir changé les choses avec Mutafukaz. Parfois, des admirateurs de la série viennent me voir pour me dire à quel point cette Bande Dessinée à changer leur manière de lire. Personnellement, je ne me préoccupe pas beaucoup de la réception de Mutafukaz, je préfère me concentrer sur Doggy Bags. Mais je n’en ai pas pour autant fini avec lui ! Au-delà des clins d’œil réguliers à Vinz ou Angelino dans Doggy Bags, j’aimerai explorer à nouveau les protagonistes et l’univers de Mutafukaz dans le futur. Par contre, je souhaite rester sur des projets graphiques, je laisse l’écriture de roman à Florent !

Un projet d’adaptation de Mutafukaz en film d’animation est en cours de production ; il est prévu sur nos écrans pour 2017. Quels sentiments retirez-vous de cette expérience d’adaptation au cinéma de votre BD ? Aimeriez-vous le voir transposé sur un autre support, comme le jeu vidéo ?

Lorsque le projet d’adaptation de Mutafukaz en film d’animation est né, j’ai eu l’impression de porter un costume trop grand pour mes épaules. Je ne me sentais pas légitime, mais je ne voulais pas manquer une opportunité pareille. On a donc commencé à travailler dessus avec le studio d’animation japonais Studio 4°C. Cette collaboration franco-japonaise a été une très belle expérience, aussi bien culturelle qu’artistique. On avait une relation pleine d’humilité partagée, de volonté de donner le meilleur de nous-même, tout ça avec la sensation d’être sur un réel pied d’égalité. C’était vraiment très enrichissant.

Je suis très enthousiaste à l’idée d’une possible adaptation de l’univers de Mutafukaz en jeu vidéo ! Je pense qu’une adaptation vidéo-ludique apporte plus de satisfaction qu’un film, puisque le plaisir s’étend sur la durée et permet au joueur de s’impliquer dans l’univers. Avec ce type de support, on peut faire se répéter une histoire différemment à chaque nouvel essai ou s’éclater à chercher des bugs pour se réapproprier les règles du jeu. Personnellement, j’avais adoré la fin de l’excellent Red Dead Redemption.

Le Label 619 possède un panel d’auteurs très variés. Comment faites-vous pour recruter de nouveaux artistes ? Quels sont vos critères ?

Mon principal critère de sélection, en dehors du talent et de l’univers graphique, c’est le feeling. Pour moi, c’est vraiment important que le courant entre les membres du Label 619 passe bien pour que chacun puisse travailler dans de bonnes conditions. Après, tout le monde est libre de proposer son travail au Label, même s’il m’arrive de contacter moi-même des artistes quand leur travail me plait, comme ça a été le cas pour Mirion.

Crédits : Droits Réservés

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