Retour aujourd’hui sur l’un des jeux les plus obscurs et profonds de la Nintendo 64, The Legend of Zelda : Majora’s Mask.
Avant toute chose, Hannibals Lecteurs, excusez la brutalité du Cerveau, mais veuillez cliquer ici et laisser la playlist pendant la lecture du dossier. Non pas que ça soit obligatoire ou quoi que ce soit, mais le Cerveau ne plaisante plus quand on parle d’une de ses oeuvres préférées. Donc GO !
Il est des légendes qui se répètent sans cesse. Celle d’un garçon vêtu de vert parcourant le temps à la recherche d’une princesse. D’un artefact. D’un but. Mais ce dont on parle moins, c’est de l’humain derrière le héros. Et la série des The Legend of Zelda, maculée d’une aura divine du fait de son histoire éditoriale et légendaire, abrite un épisode sombre et parfois dérangeant. Pour certains, il s’agit du meilleur jeu de la série (le Cerveau en fait partie), pour d’autres, ce n’est qu’un opus parmi tant d’autres, perdu dans les limbes de la saga. A l’occasion du Throwback Thursday spécial jeux vidéo, le Cerveau n’a pu s’empêcher de vouloir replonger dans Majora’s Mask, le jeu qui a marqué une génération de Zelda fans.
J’irai mourir chez vous
Faisant suite au néanmoins sublime Ocarina of Time, Majora’s Mask est sorti sur Nintendo 64 en 2000, soit 2 ans après. Nous retrouvons notre héros du temps perdu dans les bois, à cheval sur sa fidèle Epona. Que fait-il dans cette forêt lugubre ? Nul ne le sait. Soudain, il se fait attaquer par surprise. Son assaillant, un petit être étrange portant un masque effrayant, rit en lui dérobant son précieux ocarina. Ni une, ni deux, notre héros lui court après jusqu’à tomber dans un passage sombre ouvert dans une souche d’arbre isolée. Sa chute semble interminable alors que de curieux symboles fluorescents défilent autour de lui. L’expérience étant trop intense, il s’évanouit.
Quelque instants plus tard, alors que Link reprend connaissance, il se retrouve face au ravisseur, flottant et riant comme si de rien n’était. Il le chahute un peu et l’insulte avant de s’enfuir, non sans laisser derrière lui l’une de ses deux fées, Taya. C’est alors que notre héros se rend compte avec stupéfaction qu’il a été transformé en Peste Mojo. Furieux, il poursuit de nouveau l’étrange bonhomme. Au fur et à mesure qu’il avance dans le dédale, il se retrouve dans une tour. Au centre de celle-ci se trouve un personnage mystérieux répondant au nom de Vendeur de Masques.
Majora’s Mask : Intro
Ce dernier explique au héros du temps défiguré que le masque que porte le garnement n’est autre que le Masque de Majora, un puissant artefact qui lui a été dérobé. Il charge alors Link d’aller le lui récupérer sous trois jours, date à laquelle il doit partir. Déconcerté, le Héros du Temps pousse la lourde porte devant lui… Pour se retrouver sur une place inconnue dans une ville inconnue, au centre d’un pays inconnu. Seule chose qu’il peut constater, c’est que la Lune est dangereusement proche et que l’expression sur son “visage” est tout sauf rassurant…
Suit le Masque Blanc
A la lecture de ce bref (si si) résumé des 10 premières minutes du jeu, il est encore compliqué de démontrer l’aspect réellement dérangeant qui règne en Termina (pays où a lieu l’action). Mais rien que cette succession de scènes, de la forêt embrumée, au personnage du Vendeur de Masques en passant par le changement total de décors au fil de la course poursuite… Nous avons clairement affaire à un cas de Carollisme aiguë. Passage d’un monde à un autre par une chute interminable, découverte d’un monde parallèle qui semble pourtant si identique au nôtre, le tout en suivant un personnage peu fiable… La série de jeux qui avait pour habitude de nous glisser dans la peau d’un héros infaillible sans peurs et sans reproches serait-il en train de nous faire basculer nous aussi dans une métaphore sur une épreuve de la construction du héros ?
Ça, pour le coup, c’est une litote.
Une nouvelle ère avec du vieux
Mais avant de continuer avec l’analyse de ce titre, petit retour sur la production. Depuis la sortie du premier Zelda sur NES en 1986, c’est l’illustre Shigeru Miyamoto qui s’en occupait. La légende autour de la création de la saga reste encore imprécise mais certaines histoires comme celle des longues balades que Miyamoto-sama faisait dans la forêt quand il était gosse et l’inspiration du film Legend de Ridley Scott avec Tom Cruise ont été confirmées à plusieurs reprises. Après le succès d’Ocarina of Time sur Nintendo 64, Shigeru s’est vu promu et il fallut le remplacer. C’est Eiji Aonuma, alors simple designer sur le précédent opus qui se voit en charge du projet. Initialement, Miyamoto voulait une nouvelle version d’Ocarina of Time avec des donjons plus complexes.
Après quelques prises de becs entre les deux créateurs, Ocarina of Time : Master Quest sortit bel et bien, mais Aonuma obtint l’accord de développer un tout autre jeu avec les mêmes éléments qu’Ocarina of Time en simplement un an de production (contre trois pour OoT). C’est ainsi qu’en fonction des limitations techniques et temporelles, Aonuma réussit le tour de force de proposer un jeu totalement unique en son genre avec moins de donjons que les épisodes précédents et en justifiant la réutilisation des personnages d’Ocarina of Time avec un scénario qui donne encore aujourd’hui des frissons.
Beta 64 : Majora’s mask/ Zelda Gaiden
72h restantes
La grosse nouveauté de Majora’s Mask du point de vue du gameplay, c’est la limitation temporelle à 3 jours. En effet, beaucoup de quêtes ont comme deadline finale ces fameux trois jours, la plus urgente étant la principale bien entendu, à savoir empêcher la lune de s’écraser sur Termina. Ce système pousse le joueur à ne pas perdre de temps dans l’accomplissement de ses tâches.
Celles-ci sont d’ailleurs habilement référencées dans un journal de bord qui permet de garder le fil des différents rendez-vous à ne pas manquer pendant ces 3 jours. Sauf que passé ce délai, deux options s’offrent au joueur : laisser la lune s’écraser sur Termina ou remonter le temps à l’aide de son ocarina et perdre ainsi une partie de l’avancée effectuée (les personnages ne se souviendront plus de Link et certains objets auront disparu. Fort heureusement, pas les plus importants.) Le joueur va devoir donc jongler entre la foultitude de quêtes annexes et l’histoire principale pendant ces 72 heures, en gardant toujours à l’esprit qu’il n’est pas à l’abri de rater quelque chose d’important et donc de devoir recommencer sa quête.
The Mask
Autre gros changement dans le gameplay, l’apparition de la collection de masques. Alors que certains étaient déjà apparus à l’occasion de quêtes très secondaires dans Ocarina of Time, cette fois-ci ils sont au centre du jeu. Chacun des 24 masques possède des pouvoirs spécifiques plus ou moins utiles à utiliser à bon escient : le Masque du Lapin vous fera courir plus vite, le Masque du Géant vous fera grandir de façon conséquente, le Masque des Amoureux… Ah, celui-ci n’a pas vraiment de pouvoir mais c’est la quête qu’il faut effectuer pour l’obtenir qui lui donne toute sa valeur. Le Cerveau ne s’étendra pas sur le sujet mais les joueurs de Majora sauront de quoi Il parle.
PBG : 10 masques de Majora’s Mask
Crise identitaire
Cette mécanique du masque est tout de même bien étrange pour un jeu où on a l’habitude d’avoir un héros chevaleresque et sûr de lui. Sans partir dans un débat philosophique, la symbolique du masque est quand même très forte puisqu’elle montre le refus (le déni même ?) de celui qui le porte d’assumer sa propre personnalité (terme venant d’ailleurs du latin Persona, Personae désignant le masque porté par les comédiens. Si ça c’est pas de la culture). Ainsi, pendant toute son aventure, Link changera de visage comme de personnalité au point même parfois de devenir intégralement un autre. Certains masques comme celui des Gormanis est même une représentation parfaite du visage d’un des personnages du jeu !
Lors de son voyage en Termina (ou au Purgatoire pour ceux qui suivent le raisonnement du Cerveau), Link n’aura de cesse de fuir qui il est et l’inéluctabilité de son destin. Donc en plus de donner différentes capacités permettant d’avancer dans le jeu, ces masques ont une connotation symbolique forte qui entre en parfaite adéquation avec l’esprit et l’univers de Majora’s Mask. Mais revenons plutôt sur les masques particuliers.
Masques funéraires
Il en est cependant trois bien particuliers, autant dans leur pouvoir que dans leur histoire. Le Cerveau veut bien entendu parler des masques Mojo, Goron et Zora. Ces trois là, permettant de se transformer respectivement en Mojo, en Goron et en Zora, comme leur nom l’indique, sont obligatoirement gagnés dans la quête principale après avoir… récolté l’essence mourante d’un représentant de chacun de ces peuples. Le masque Goron est obtenu après avoir apaisé l’âme de Darmani, chef de la tribu et le masque Zora après avoir écouté les dernières volontés de Mikau, guitariste Zora agonisant sur la plage. Mais, et le masque Mojo direz-vous ?
Celui-ci n’est pas expliqué directement mais lors de la poursuite du début face à Skull Kid, le joueur croise une sorte d’autel en forme de mojo souffrant le martyr. Un peu plus tard, on rencontre le Majordome Mojo qui fait le deuil de son fils disparu. Enfin, lors du générique de fin, on peut apercevoir le Majordome pleurer devant l’étrange autel. De là en deviner que Skull Kid a sacrifié le fils du Majordome pour transformer Link en Mojo, il n’y a qu’un pas. Seulement voila, cette anecdote est symptomatique de tout le jeu, créant ainsi son aura si particulière.
The Completionist 90 : Majora’s Mask
Cartouche funèbre
L’ambiance générale de Majora’s Mask est une expérience unique en soi et le fait de la vivre et de relier tous les points comme avec le Majordome Mojo en fait un titre qui cache énormément de sujets graves. Déjà, jamais dans un jeu Nintendo la mort avait été abordée de façon aussi claire et répétée. Ne serait-ce déjà avec les masques Mojo, Goron et Zora, mais aussi dans l’ambiance même du jeu. L’une des analyses les plus célèbres et à laquelle le Cerveau attache beaucoup de crédits explique que Majora’s Mask est une métaphore du deuil. En effet, certains avancent que Link serait mort dès le début du jeu et que chaque donjon relatif à un peuple différent dont il triomphe serait une des 5 étapes du deuil :
– Bourg Clocher et ses habitants continuant à préparer le Carnaval malgré la menace de la Lune : le déni
– Les Mojos qui cherchent absolument un coupable à la disparition de la princesse : la colère
– Les Gorons où Darmani cherche désespérément à rester en vie le plus longtemps possible : le marchandage
– Les Zoras avec leur chanteuse vedette Lulu qui reste enfermée depuis la disparition de ses oeufs : la dépression
– La vallée Ikana qui est aussi appelée la Vallée de la Mort où le Roi mort-vivant accepte enfin son funeste destin : l’acceptation
Mais le Cerveau laisse ici la parole à MattPatt de Game Theory qui saura nettement mieux en parler :
Game Theory : Is Link dead ?
Némésis
Parler de Majora’s Mask sans s’arrêter sur le personnage le plus important et fascinant du titre, Skull Kid, serait une terrible erreur. Aperçu vaguement dans Ocarina of Time, Skull Kid était un enfant comme les autres avant de s’égarer dans les Bois Perdus et de se transformer en ce qu’il est maintenant. Espiègle et rieur, il est cependant activement à la recherche d’un ami. D’où son penchant pour les farces et autres tentatives d’attirer l’attention.
Si l’on voulait continuer dans les théories morbides autour de Majora’s Mask, on pourrait avancer le fait que le pauvre garçon est mort dans les Bois Perdus et qu’ayant refusé la sentence, il erre dans les limbes en attendant désespérément un ami pour le rejoindre. D’où là aussi le fait qu’il ait attiré Link avec lui. Mais cela voudrait-il dire que Skull Kid aurait tué Link pour ne plus être seul entre la vie et la mort ? Et ce purgatoire qu’ils parcourent, Termina, serait-ce une représentation basée sur les souvenirs du Héros du Temps, expliquant ainsi l’étrange ressemblance entre les habitants d’Hyrule et de Termina ? Le jeu ne cesse de poser des questions au joueur, le tourmentant encore et encore de ses interrogations morbides sur le lieu et la temporalité de l’action. Tout cela est libre à interprétation, mais un Zelda fan ne peut, même 14 ans après la sortie du jeu, s’empêcher de remettre tout cela en question.
Noyade
Si l’ambiance interne au jeu laisse l’imagination de certains envisager les théories les plus folles sur le sens présumé de ce chef d’oeuvre, il est aussi de nombreuses légendes extérieures au jeu du fait de la puissance de son aura. Pour ceux qui ont l’habitude de surfer sur les Internets et qui connaissent les creepy pasta (légendes urbaines montées de toutes pièces), ils ne seront pas étrangers à l’histoire de “Ben Drowned”. Le Cerveau pourrait s’étendre sur cette passionnante fausse légende initiée par Jadusable, mais Il préfère vous laisser le texte entier afin de ne pas dénaturer l’aspect effrayant de ce conte de la crypte. Voici par ailleurs, la fameuse vidéo sur laquelle se base toute l’histoire :
BEN.wmv
Résumer une oeuvre comme The Legend of Zelda Majora’s Mask n’est pass chose aisée. Elle relèverait même dans certains cercles de fans comme de l’hérésie, tant le spectre d’interprétations est large. Il reste cependant un OVNI tant par son propos en tant que jeu Nintendo mais aussi dans la lignée des Zelda qui depuis n’a plus jamais abordé de sujets aussi sombres. La mort, le déni, le Purgatoire… Tout cela ne sont que des théories de fans faites pour expliquer l’ambiance si particulière du jeu. Mais rien que cela, le fait qu’une mythologie si forte se soit créée autour de cet univers, démontre encore sa force aujourd’hui.
C’est pour cela que nombreux sont ceux à militer auprès de Nintendo afin d’obtenir un remake pour Majora’s Mask. mais cela vaut-il vraiment le coup ? Cela ne va-t-il pas au contraire entacher ce souvenir angoissant inextricablement lié à la réalisation, il ne faut pas l’oublier ? Corriger des bugs et améliorer les graphismes mènerait peut être à rouvrir une boite de Pandore que beaucoup regretteraient sûrement.
Crédits : ©Nintendo
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