Pour fêter dignement l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, le Cerveau revient sur le comics Evil Empire, chez Glénat Comics, qui a presque prédit cette présidence qui fait froid dans le dos.
Certes, il n’est pas coutume pour le Cerveau de parler de comics dont la sortie remonte déjà à plusieurs mois. Pourtant, lorsque l’actualité vient se frotter à la thématique d’un comics relativement récent, il est difficile de ne pas faire le lien.
Lors de la sortie des tomes 1 et 2 de Evil Empire, parus respectivement en février et juillet 2016 chez Glénat Comics, plusieurs critiques se sont élevées contre la dystopie politique et sociale décrite par le scénariste Max Bemis et retranscrite graphiquement par les dessinateurs Ransom Getty, Andrea Mutti et Joe Eisma ; jugée beaucoup trop exagérée, voir totalement improbable.
Et pourtant, bien que romancée, le médium oblige, cette satyre conserve des relents de réalité, à la fois proche et éloignée de notre situation actuelle. Les États-Unis ne viennent-t-ils pas d’élire un homme qu’une partie de la population mondiale juge fou, raciste et violent ? Un délinquant sexuel dépourvu de programme en dehors de son obsession pour une Amérique “meilleure” dans le sens où lui l’entend ? Avec l’élection le 9 novembre dernier du 45ème président des USA, le Cerveau est allé se replonger dans Evil Empire et, malgré une situation de guerre civile apocalyptique qui semble clairement relever de la fiction, certains aspects soulevés dans ce comics n’en sont pas moins révélateurs.
Futur dystopique
Dans un futur pas si éloigné que ça, Evil Empire traite de l’arrivée à la tête des États-Unis de Sam Duggins, un homme fou, un meurtrier aux mœurs déviantes (et pas de la déviance à la 50 shades of Grey, là on parle de sadisme et d’inceste) qui va faire basculer une population divisée dans une tornade de haine et de violence où chacun est libre d’appliquer à sa conduite ses propres notions de “bien” et de “mal”. Vous trouvez que votre voisin est un sale con ? Butez-le. Votre femme vous trompe ? Une balle dans la tête, ça lui apprendra. Votre camarade de classe vous a volé votre goûter ? Tabassez le à mort, c’est un sale voleur de toutes façons… Les USA sombrent alors dans un chaos total et institutionnalisé par un président qui use et abuse du diktat de la liberté absolue.
A ce stade de la présentation de Evil Empire, il est aisé de se dire qu’il est extravagant de penser qu’une telle situation puisse advenir dans l’avenir, que personne ne laisserait cela arriver. Pourtant, avant que les résultats ne tombent, il était absolument impensable pour une majorité de personnes que Donald Trump accède à la Maison Blanche. Sans parler d’un ouvrage réaliste, puisqu’il s’agit d’une dystopie et que Max Bemis cherche plus à faire réfléchir qu’à mettre en garde, les parallèles entre fiction et réalité sont légion dans Evil Empire.
Après tout, avant de devenir officiellement le leader de la première puissance mondiale, Donald Trump n’avait-il pas lui-même été le sujet de dystopies où il serait à la place qu’il occupe actuellement – coucou Matt Groening ?
C’est sur ce principe que le Cerveau vous propose aujourd’hui de mettre en relation deux présidents des États-Unis ; Donald Trump, qui a su dépasser la fiction, et Sam Duggins, se cantonnant encore – et espérons le pour longtemps – à l’imaginaire de Max Bemis. Attention cependant, il n’est pas question ici de rentrer dans un débat politique, mais simplement de relever des similarités “cocasses” entre un scénario de fiction et une situation réelle.
Sam Duggins vs Donald Trump.
Avant de s’attaquer à la société en elle-même, on peut déjà relever des points communs entre le discours d’un Sam Duggins et du nouveau président des USA. Sans parler d’homologue fictif pour autant, il y a des thèmes récurrents et chers à Sam qui se retrouvent dans la politique de Donald Trump.
Tout d’abord, lors de son investiture dans le récit de Max Bemis, Sam Duggins relève deux points phares de son Empire du Mal : il souhaite “briser cette fiction qu’est la morale” et relever sa “nation malade, rongée par l’hypocrisie sociale”. Or, ces deux points se retrouvent directement dans la démarche de monsieur Trump. Bien que cela se situe à des niveaux différents, il faut se rappeler que l’homme d’affaire, célèbre pour son théâtral “you’re fired” dans l’émission de télé-réalité qui lui était dédiée, ne s’est pas gêné pour se vanter d’utiliser des feintes afin de payer un minimum de ses impôts. Et si la révélation de cette affaire a suscité une vague d’indignation de la part du camp démocrate, cela n’a pas empêché une grande partie de ses supporters de reconnaître dans cet acte d’insubordination une sorte de génie des affaires, le fait qu’il ait réussi à éviter les instituts de contrôle américaines étant, en soi, une marque d’intelligence.
Donald Trump s’est toujours positionné à l’encontre d’une certaine « bien-pensance » de l’intelligentsia traditionnelle : difficile de ne pas voir de rapport avec la conception sociale de Sam Duggins lorsque celui-ci parle de morale et d’hypocrisie sociale. A ce titre, par ailleurs, le nouveau président des États-Unis n’a cessé, durant sa campagne, de reprocher aux médias et aux institutions en place cette même hypocrisie, se plaçant en victime d’un système qui œuvrerait contre lui. Là encore, Sam Duggins n’hésite pas à rappeler à ses supporters qu’ils seront décriés au sein même de leur patrie, ainsi qu’à l’international pour ces raisons précises. Un élément qui va conduire le peuple américain, dans la fiction de Max Bemis, à se refermer sur elle-même : une fois de plus, le lien avec la politique d’enfermement de Trump est palpable. Quant à la notion de “nation malade” qu’il faudrait relever, il suffit de se rappeler le slogan de Donald Trump : make America great again.
Opposition et violence à tout prix
Autre point commun entre Trump et Duggins, la volonté de faire taire à tout prix l’opposition. Si dans Evil Empire, cela prend la force de règlement de compte violents perpétrés par L’État, il n’en reste pas moins que le candidat républicain à souvent eu recours à de la violence verbale et à des arguments plus que douteux, en présence de ses opposants, ayant recours à la démagogie et aux insultes pour faire taire ses concurrents. Cependant, il est à noter que, sur ce point précis, Sam Duggins est véritablement extrême, liquidant purement et simplement les personnes qui se mettent sur son chemin, d’abord par le biais de la foule et de l’hystérie sociale collective, puis de manière institutionnalisée. Néanmoins, la violence, physique ou verbale, reste de la violence. Des mots aux actes, il n’y a qu’un pas, et lorsqu’on a face à soi une personne imprévisible et sanguine, difficile de savoir à quoi s’attendre… d’autant que certains supporters extrémistes du président américain élu n’en sont pas à leur coup d’essai en matière d’actes violents, décomplexés par un discours chauvin et nationaliste.
En parlant des électeurs de Donald Trump, il est intéressant de relever que lui et Sam Duggins sont deux grands orateurs, capables de manipuler les foules avec une grande aisance, bien que Sam soit plus subtile dans sa manœuvre durant les prémices du récit afin de mieux exploser par la suite. Dans les deux cas, ces personnalités fortes ont su gagner la confiance et le soutien d’une partie de la population en avançant un droit à la liberté, notion très ancrée dans le système de valeurs américain. Sauf que là où Trump revendique une liberté plus « classique », Duggins prône une liberté totale, dans la mesure où une personne qui s’opposerait à la liberté de quelqu’un d’autre – en l’empêchant de tuer par exemple – serait dès lors en infraction.
Il y a donc plusieurs similarités entre les discours de ces deux présidents des États-Unis, discours qui ont pour but de toucher une population qui, elle-même, pourra se reconnaître dans leurs idéologies. Un discours populiste en bonne et due forme.
La société du mal vs la société américaine.
Le nerf de la guerre en politique, que ce soit dans une fiction ou dans la réalité réelle du monde véritable, c’est bel et bien de toucher les foules, de propager ses idées pour que la société s’en inspire jusqu’à devenir un reflet satisfaisant de la vision qu’en ont les dirigeants. Ici encore, plusieurs éléments ont tendance à se ressembler entre la société créée par Sam Duggins et celle qui tend à émerger suite à l’élection de Donald Trump. Bien que, une fois de plus, la fiction soit bien plus extrême que la réalité – fort heureusement pour nos amis américains.
D’abord, dans les deux cas, on note une division très nette de la société entre les pro et les contre. Les partisans de chaque camps sont virulents, certains plus que d’autre, et tout ce beau monde se met joyeusement sur la tronche dès qu’ils le peuvent. Cependant, dans la fiction de Max Bemis, peu de place est laissée aux personnes qui sont ni pour ni contre Sam Duggins, certainement afin d’accentuer l’aspect critique de la situation ; tandis que dans le cas de Trump, ces derniers se sont beaucoup fait entendre, préférant ne pas voter car incapables de se reconnaître dans « un sandwich au caca ou une poire à lavement » – coucou South Park. Mais cela mis à part, la violente division sociale dépeinte dans Evil Empire trouve dans la réalité quelques échos : en effet, depuis l’élection de Donald Trump, les manifestations contre le nouveau président fleurissent un peu partout, principalement dans les états à tendance démocrates ; tandis que de l’autre côté, on voit apparaître de plus en plus d’incidents liés à des partisans extrémistes pro-Trump.
Au dessus des lois
Cependant, les similitudes entre les deux sociétés créées par nos protagonistes ne sont pas toutes si évidentes. Si on prend le cas du chaos institutionnalisé créé par Sam Duggins, force est de constater que les États-Unis ne sont pas à feu et à sang et que le Gouvernement ne cautionne pas de règlements de compte armés au sein d’une population divisée. Pourtant, certains éléments précis n’en restent pas moins marquants.
Le fait que Donald Trump soit ouvertement accusé d’agression sexuelle sans se sentir inquiété plus que ça, poussant même le vice à dire qu’il n’est pas capable de se tenir lorsqu’il voit une belle femme, instinct primaire oblige ; qu’il passe outre un partie de la législation sur les impôts en s’en vantant ; ou encore qu’il puisse déclarer dans le plus grand des calmes que les mexicains sont des violeurs sont autant de signes d’une tendance à légitimer un droit à passer outre certaines règles sociales et étatiques parce que, en tant que personne, on ne les considère pas en corrélation avec sa vision des choses. C’est là que l’on retrouve les bases de l’Empire du Mal de Sam Duggins, bien que ce dernier ait officialisé cette situation. Il ne faut pas négliger que les partisans d’une personnalité politique ont tendance à s’inspirer de celle-ci. Reste à savoir si Donald Trump est un modèle positif ou néfaste, cette réflexion relevant d’une analyse subjective, qu’importe le côté où l’on se place sur l’échiquier politique.
Ambiance Instable
Enfin, dans la veine des rapports pas forcément évidents entre ces deux sociétés, on pourrait relever la violence extrême qui caractérise l’Empire du Mal de Sam Duggins. Une fois de plus, cela n’a rien de comparable avec l’actuelle situation des États-Unis. Pourtant, depuis que sont tombés les résultats des élections américaines, les internautes à travers le pays ont relevés de plus en plus d’actes de violence, d’appel à la haine, de menaces et d’agressions de la part des deux camps.
S’il est impossible de dire si cela est directement lié à l’élection de Trump ou si ces événements sont antérieurs, mais étaient simplement moins médiatisés, cette situation reflète néanmoins une inquiétude certaine de la part d’une partie de la population. Or, si le corps social se met à avoir peur, l’expérience montre qu’il a tendance à se diviser de plus belle, voir à réagir de façon violence en guise de “protection”. La haine et la peur se cultivent en cycle fermé ; une fois pris dans la spirale, il est difficile de s’en échapper.
En conclusion, Evil Empire est un comics récent et une caricature sociale et politique qui, s’il n’a pas vocation à être le miroir de la société américaine, n’en reste pas moins le témoignage d’un ressentiment quant à l’avenir de cette dernière. Une fois de plus, il n’est pas question ici de lancer un débat politique, mais plutôt de s’intéresser à une situation d’actualité grâce au prisme de la fiction. Nul ne peut savoir à l’avance comment les choses vont évoluer, et si l’incertitude est source d’inquiétudes, il faut garder à l’esprit que nous observons cette situation depuis un autre continent et qu’il nous est difficile de se figurer comment les choses se passent exactement sur place.
Aussi, plutôt que de mener bataille en commentaires, lisez des comics, réfléchissez et buvez de la tisane.
Crédits : Glénat Comics.
Connecte tes Neurones à Brain Damaged sur