A l’heure de l’apéro, le Cerveau s’est invité à la Slow Galerie pour un entretien avec l’artiste pop et coloré Léa Chassagne.
De manière aussi invariable que surprenante, les enfants d’hier sont devenu les adultes d’aujourd’hui. Certains ont fait de longues études, d’autres travaillent déjà depuis longtemps. Certains sont banquiers ou présidents – coucou Manu – d’autres ont choisi de travailler l’image. Ce qui est sûr, c’est que la Pop Culture est le reflet des différents éléments culturels qui ont marqués l’enfance et l’adolescence des adultes d’aujourd’hui.
Pourquoi représenter une madone de la Renaissance avec un side-cut, des Stan Smith et un Chaï Latte au lait de soja de chez Starbuck à la main ? Because we can, et because c’est Pop !
Cet art du mixage culturel entre le classique et le contemporain, Léa Chassagne, adulte moderne et enfant d’hier, en a fait son fer de lance. Cette artiste-graphiste ; qui nous vient de LISAA et que l’on retrouve sur des campagnes publicitaires ; a fait sien les codes de la Pop culture, organisant au travers de collages numériques colorés et foisonnant la rencontre entre la peinture classique et notre monde moderne, aussi improbable que grisante.
A l’occasion de son exposition Éternel Féminin ; que vous pourrez visiter du 11 mai au 03 juin 2017 à la très cosy Slow Galerie, située dans le 11ème arrondissement, à deux pas et demi de République ; Le Cerveau s’est offert une escale dans l’univers graphique fantasmagorique et chatoyant de Léa Chassagne.
Attrapez une perruque style la-gamine-qui-danse-comme-une-ouf-dans-le-clip-de-Sia (marque déposée), enfilez votre plus swag robe de bal style Renaissance et enfourchez un majestueux poney arc-en-ciel : aujourd’hui, le Cerveau prend l’apéro avec Léa Chassagne.
Qu’est-ce qui t’as Brain Damaged quand tu étais plus jeune ?
Alors, un petit tri mental s’impose ! Dans mon cas, je pense que ce qui m’a vraiment marqué, ce sont les affichistes publicitaires qui n’ont rien à voir d’ailleurs avec ce que je fais, puisque c’est beaucoup plus épuré. Je pense notamment au travail de Raymond Savignac, ou à des artistes comme Topor. Que ce soit leur ton particulier, leurs jeux visuels, ou leur humour qui est présent dans chaque dessin. Ce sont des inspirations que je garde particulièrement pour mes dessins de presse. J’aime quand c’est plutôt grinçant, quand il y a des petites choses qui dérangent. Après, je ne dis pas que j’y arrive forcément !
En fait, ce que j’aime dans l’affiche, c’est le côté immédiat : ce sont des compositions qui marche tout de suite. Quand je les vois, je me dis : “mince, ça c’est une super idée, j’aurai vraiment aimé le faire!”. Personnellement, j’ai commencé en publicité, et pour moi, ce rapport entre le fond et la forme, le texte et l’image, c’est un peu le challenge à atteindre. Ce sont donc des influences qui sont venues plus tardivement. Petite, mes parents m’emmenaient au Musée, mais je n‘ai pas eu le combo “papa designer et maman architecte” pour me guider dans mon éducation graphique : ils n’étaient pas du tout du milieu. Alors, bien sur, on faisait plein d’expositions, mais je n’ai pas eu de références spécifiques dès mon plus jeune âge, en dehors de la peinture classique.
Ce que je sais, c’est que toute petite déjà, j’aimais le dessin ; ça a toujours été mon truc. En fait, je voulais une galerie avec des poneys ! Du coup, pour faire plaisir à cette fillette en moi, je me suis représentée sur un poney dans cette exposition. Et nous sommes dans une galerie – la Slow Galerie. On peut dire que la boucle est bouclée !
Du coup, tu es plus poney que licorne ?
Eh oui ! Après les licornes, c’est merveilleux. C’est sympa aussi les licornes…
Au niveau de ton parcours, quel chemin as-tu emprunté pour te retrouver aujourd’hui à la Slow Galerie avec ce style si particulier ?
Alors, pour remonter aux origines, j’ai emprunté une voie classique jusqu’à mon Bac ES. Après, en arrivant en études supérieures, j’ai fais les ateliers de Sèvres en prépa d’art. A cette époque, je ne savais pas du tout ce qu’était le graphisme, ou l’illustration. Ce que je savais, c’est que je ne voulais pas faire les Beaux Arts : je voulais faire un métier d’art, mais un métier d’art appliqué. J’avais besoin de quelque chose d’assez concret.
Et là, j’ai raté tous mes concours d’écoles publiques! Je ne voulais pas repasser une année préparatoire et perdre de temps, aussi, je me suis tourné vers les écoles privées et j’ai découvert LISAA. Ils parlaient de graphisme et l’illustration. ça avait l’air chouette. J’ai vu de la lumière, je suis rentrée.
Au bout de deux ans, c’était fini – pour moi qui voulais aller vite, c’était parfait. Il y avait aussi un cursus en 3 ans, mais je voulais rapidement travailler : je savais que la retraite ne serait plus à 60 ans, tout ça ! Plus sérieusement, j’étais persuadée qu’il fallait passer plus de temps en stage, qu’apprendre sur le tas était beaucoup plus formateur que de rester à travailler à l’école sur des choses très conceptuelles et qui ne servirait pas forcément plus tard. J’étais assez pragmatique, et, au final, je ne suis pas du tout restée longtemps en stage.
J’avais été engagée comme stagiaire chez Leg qui m’a engagé deux mois plus tard. Je suis restée assistante tout en continuant d’être freelance. Et ce jusqu’à maintenant. Même si la boîte a été rachetée et que désormais je suis sous l’égide de Jesus Agency – sacré nom.
C’est intéressant qu’une artiste qui insère dans ses œuvres beaucoup de références à la peinture classique, qui elle-même emprunte à la culture judéo-chrétienne, travaille également dans une entreprise qui s’appelle Jesus Agency !
C’est notre culture. C’est quelque chose de très présent dans l’Art de manière générale. Ce sont des choses qui me touchent visuellement, des images qui sont fortes avec des icônes, des poses très marquées qui me plaisent et m’inspirent.
Après, pour casser un peu le mythe, le nom de la boite ne s’inspire pas de la figure du Christ, mais bien du gros Jésus de Lyon. Soit, un saucisson, Jésus Agency étant spécialisée dans les budgets alimentaire … ce n’est pas tout à fait la même grâce ! Même si l’amalgame est volontaire, Jésus Christ étant un tout petit peu plus connu que le fameux saucisson lyonnais !
Dans tes œuvres exposée à la Slow Galerie, on a le sentiment que tu oscilles entre le kitch, le mystique et le très moderne : c’est une description qui te convient ?
Plutôt oui ! En fait, ça représente bien ce que j’essaie de faire et ce que j’aime. ça me plaît de mettre dans mes tableaux des couleurs un peu criardes, y insuffler une pincée de kitch des années 80s, le tout en reprenant des éléments d’œuvres classiques très mystiques ou représentant des mythes et des légendes de toutes les époques. J’aime me raconter des histoires, imaginer des nouvelles déesses, des nouveaux dieux, un nouveau panthéon en n’oubliant pas de rajouter ça et là des touches d’humour et des choses qui ramènent un peu du contexte actuel. Prendre la coupe de cheveux de Rihanna pour la mettre sur un personnage classique ou caler un petit Oréo dans un coin du tableau, par exemple. Pour moi, ça permet de recontextualiser et ainsi de mieux parler aux gens. Mélanger le contemporain et le classique, mixer les styles et les époques. C’est le principe même du collage. J’adore ça ! Et, pour ma part, je m’amuse bien.
Le collage, le photomontage, c’est donc ton arme graphique de prédilection. Est-ce que tu as parfois des envies d’ailleurs ?
Pas vraiment. La photo à la rigueur pourrait être une future étape. Cela me permettrait de créer au lieu d’aller chercher sur des références et des tableaux existants ma matière première pour mes collages. Notamment créer mes propres personnages, mes propres icônes. Après, sortir du collage, je ne pense pas. Cette technique me donne une contrainte, un principe qui est devenu au fil du temps ma façon de créer. Si je changeais de manière de faire, ça ne serait plus vraiment moi, ça donnerait des choses différentes où je n’aurais plus l’inspiration des tableaux de la Renaissance, des poses féminines très classiques… ça partirait ailleurs. Il y a une telle richesse dans les images que je trouve, qui sont de sources complètement différentes, que – entre guillemets – “je n’ai pas besoin d’aller voir ailleurs” pour apporter des variations à mon travail. Je n’aime pas faire la même chose, c’est pour cela que j’essaie de faire évoluer les sources et les ambiances d’un tableau à l’autre, mais avec le collage, j’ai pour le moment assez de matières pour faire ce dont j’ai envie sans me répéter, sans m’ennuyer. Après, ce n’est pas dit qu’à un moment j’arrive aux limites de cette technique ou que j’ai envie de changer … on verra cela à une prochaine exposition !
En revanche, concevoir des clips animés en collage, cela te plairait ?
Oui, pour le coup, ça pourrait être une future étape pour moi, créer quelque chose en mouvement, interactif. Ça m’est arrivé de le faire par petites touches : un personnage qui fait un clin d’oeil par exemple. J’aime quand ça reste simple. Il y a beaucoup d’éléments sur mes tableaux donc on peut être tenté de faire tout bouger, mais je préfère que ce ne soit qu’une petite partie qui s’anime. Il ne faut pas faire bouger les choses uniquement pour le plaisir de les faire bouger, il faut que ça ait du sens.
Faire un clip de musique avec ma technique, ça serait un énorme travail, mais ça serait aussi un très chouette travail. Les commandes musicales m’attirent de manière générale. J’ai déjà eu l’occasion de faire des pochettes d’album pour des groupes assez confidentiel – disons que tu ne les croiserais pas à la Fnac.
Question politique : Tu dois savoir que nous sortons d’une période d’élection présidentielle ?
Quoi !? Mais Chirac n’a pas été réélu ?? J’suis hyper déçue.
Rien ne va plus dans ce bas monde ! Mais si ça avait été toi, la directrice de campagne de Manu, quelle type d’affiche tu lui aurais fait pour sa campagne ?
Tu ne penses pas si bien dire, parce que l’agence de publicité dans laquelle je travaille est l’agence de publicité de Emmanuel Macron ! Alors, ce n’est pas moi qui ai fait l’affiche, mais du coup je l’ai vu faire de très près.
Je pense que si ça avait été moi, elle aurait été plus pop… et en collage ! On aurait bien rigolé, mais je ne sais pas si il aurait gagné les élections avec par contre… C’est très compliqué de faire ce genre d’affiche en fait, on a énormément de contraintes, on ne peut pas sortir d’un certain cadre. Tout est extrêmement codifié, ce qui en fait un exercice très particulier.
Mais, vu que tout va changer avec Manu, qu’on est “en marche” vers un “monde meilleur”, on n’est pas à l’abri d’affiches présidentielles plus fun à l’avenir !
Pour finir, est-ce que, dans cette exposition à la Slow Galerie, tu as un tableau qui te tient particulièrement à cœur – en dehors de celui où tu chevauche un fier poney ?
Ah le poney… c’est vrai que même si ce n’est qu’une toute petite pièce de l’exposition, je l’aime bien !
Sinon, j’ai toujours une touche d’affection particulière pour Origines, qui est le premier de cette série et qui a parlé à beaucoup de monde. Cette image a plu, elle m’a encouragé à continuer dans cette voie, c’est devenu ma guideline. Pour moi, ce tableau est rassurant.
Ton premier tableau s’appelle donc “Origine” ? Coïncidence …
Je ne crois pas !
Crédits : Léa Chassagne, Slow Galerie.
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