A l’occasion du Comic Con Paris, le Cerveau a rencontré Aleksi Briclot, cofondateur des studios Dontnod Entertainment à qui l’on doit le jeu vidéo Remember Me, sorti le mois dernier sur Playstation 3, XBOX 360 et PC.
Aleksi Briclot est un illustrateur et directeur artistique de jeux vidéo français. Il a notamment contribué à l’illustration du jeu de cartes à collectionner issu du jeu en ligne World of Warcraft ainsi qu’à la création de couvertures de nouvelles pour les éditions Bragelonne et Calmann Lévy avec entre temps un passage chez Marvel Comics et Asmodée.
Depuis 2009, il est cofondateur des studios Dontnod Enterntainment et assure le poste de directeur artistique pour le premier jeu créé par le studio intitulé Remember Me. De passage à Comic Con France, le Cerveau s’est installé à la table ronde de cet homme aux allures de surfeur californien (d’une planche a dessin à une de surf, il n’y a qu’un pas !) pour discuter des réalités et contraintes de devenir entrepreneur dans ce milieu, en donnant quelques conseils, de la position de la France dans le monde du jeu vidéo, de son amour pour les zombies et de l’avenir de Dontnod.
Qu’est-ce qui vous intéresse le plus quand vous vous lancez dans un projet ?
Le fait de proposer une alternative à ce qui se fait dans le jeu vidéo. C’est difficile d’en parler là parce que il y a tout un truc à réaliser, c’est-à-dire qu’à l’époque, on n’avait rien, pas de fonds, pas d’équipe, et c’était plus de l’ordre du rêve. On s’est réuni avec mes 4 associés, en général c’était le mercredi soir, on discutait autour du projet sur lequel on voulait travailler, le projet rêvé auquel on voulait jouer, le jeu rêvé sur lequel on avait envie de travailler et avec le temps ça s’est concrétisé. C’est devenu sérieux avec Remember Me qui vient de sortir, publié par Capcom.
Le plus compliqué pour vous, c’était de transformer le projet en quelque chose de concret ?
C’est intimement lié. A savoir, si vous voulez réaliser un projet comme ça, il faut une équipe, une structure ou tu ne peux pas développer un jeu. Dès le début, ce qu’on voulait c’était un gros jeu, triple A, pas un truc sur téléphone mobile même si je ne suis pas du tout péjoratif en disant ça, mais on avait envie de faire un gros mais ça ne se fait plus à l’ancienne à 5 dans un garage. Il y a tous les corps de métiers, beaucoup de choses que pour ma part je ne connaissais absolument pas. Les premières années on a dû passer le tiers de notre temps à recruter des bonnes personnes en même temps sur les compétences et le profil humain, voir si on était complémentaires avec elles et toutes sortes de choses. Travailler sur la direction artistique, avoir une vision des choses, ça va beaucoup plus loin.
Vous avez travaillé sur d’autres jeux vidéo, ça vous a aidé cette expérience ?
Bien sûr. Mais comme je le disais, ça n’est pas du tout le même investissement d’être demandé en tant que concept artist ou directeur artistique et de monter un studio ex nihilo à partir de rien, juste à 5, trouver des fonds, discuter avec l’investisseur, le ramener dedans, ensuite avec un éditeur, un publisher, avec le marketing, travailler sur la stratégie, la boîte complète. Ça va du petit exemple que je sors souvent : statuer sur la hauteur des tickets resto, quand vous avez passé votre vie à réaliser des concepts arts, vous n’êtes pas préparé à ça.
Du point de vue artistique, quel a été votre plus grand défi sur le jeu ?
Pour resituer, la direction artistique on l’a faite à deux avec Michel Koch qui fait un travail fabuleux et avec qui on a une super complémentarité, on est sur la même longueur d’ondes. On a nos différences mais on vient justement se compléter donc c’est très intéressant, le jeu vidéo c’est un travail collectif, une vision à avoir, mais parfois j’aime bien alterner, me rafraîchir, travailler sur de la bande dessinée, tout seul, écrire mon histoire, développer un vase clos. Un jeu vidéo, il y a tellement de paramètres, de corps de métier qui sont interdépendants : le game design va avoir une influence sur l’animation, l’histoire va avoir une influence sur le character design et inversement. Et après il y a aussi des contraintes de production, des contraintes de marché… C’est la réalité, savoir comment faire avec.
Comme ça fait un certain moment que vous travaillez dans le milieu du jeu vidéo, quel regard portez vous sur la scène du jeu vidéo français ? Et cette fameuse “French Touch” existe-t-elle vraiment ?
Je dirais Néo-French Touch parce que French Touch c’est un peu connoté années 90, avec des jeux qui ne sortaient pas du territoire français, qui étaient très beaux mais super chiants à jouer et les étrangers ne comprenaient pas ce qu’on branlait niveau gameplay. Sinon je dirais que c’est cool, il y a de grands studios comme Quantic Dream ou Arkane ou d’autres studios plus petits, je pense à Cyanide, à Spiders… Il y en a une petite tripotée et j’aimerais que ça continue, que ça suive.
Il y a énormément de talent en France mais on a une sorte d’ambivalence entre un côté extrêmement prétentieux et du mal à trouver notre place alors qu’on a plein de forces quelque part. J’y ai déjà été confronté par le biais d’un regard extérieur concernant la French Touch où il y a beaucoup d’artistes en France qui sortent du lot. Je pense à un exemple : je participais souvent à des ateliers entre artistes avec des gens géniaux dans des villes à l’étranger. Ça me permettait de rencontrer plein de gens et je me retrouvais souvent avec pas mal de Français et je me souviens d’un atelier en particulier où il y avait une quarantaine de personnes et on était à peu près 10 Français avec plein de profils différents et on se retrouvait parfois dans notre petit coin à discuter en français rien que nous. Donc je pense que oui, il y a quelque chose dont on peut être fiers et continuer à creuser dans cette voie-là. Et pour revenir à la question initiale, si avec DontNod on participe à ce mouvement-là, c’est génial.
Qu’est ce qui fait que parmi les studios français vous ayez réussi, d’après vous ?
J’ai lu un article qui m’a particulièrement touché. On a des histoires avec un super investisseur, il y a presque une dimension familiale. Et d’après la tournure de l’article, on avait l’impression qu’on était nés avec une cuillère en argent dans la bouche et qu’on a eu des facilités, ce qui n’est pas du tout le cas. On a démarré à 5, on avait pas de thunes, on avait que dalle, pas d’investisseurs, pas d’équipe et il n’y a eu aucun pistonnage, on avait juste nos compétences à tous, nos profils différents et on a dû tout monter (DontNod) à force de boulot. Et tout ce qui s’est créé, c’est 95 % de boulot, de dynamique qu’on a mis en place, et il n’y a rien qui s’est fait comme ça. Ça parait bateau mais j’en suis super fier, mais on ne peut pas monter une équipe de 75-100, signer un gros jeu triple A avec un éditeur comme Capcom comme ça. Je ne jugerai pas d’autres studios, je ne ferai aucune comparaison, je résumerai juste au fait qu’on a fait du mieux qu’on pouvait et on en est là où on est.
En parlant de choses à la mode, les zombies reviennent en force. Qu’est-ce que ces créatures vous inspirent et en quoi sont-elles intéressantes ?
J’aime beaucoup les zombies. J’ai travaillé sur beaucoup d’illustrations, c’était rigolo, sur un jeu de plateau qui s’appelle “Zombies” qu’on a créé à quatre mains avec un ami. J’adore la thématique, je suis un gros fan du comics The Walking Dead et de la série télé (que je trouve super bien réalisée). Après c’est une thématique très forte par rapport à la maladie, le rapport à l’autre. Je préfère ça à la thématique du vampire on va dire. Un truc qui me fait réfléchir aussi c’est la notion de cycle qui influence énormément la pop culture. Au début on a eu la magie avec par exemple Charmed, puis la thématique vampire que ce soit avec Buffy ou d’autres et enfin est arrivée la vague des zombies et ces thématiques là sont intemporelles, elles reviennent, elles sont cycliques. Il y avait toute une mouvance Alice au pays des merveilles avec les films ou les séries qui reprenaient les contes comme les Frères Grimm, Blanche Neige, le Petit Poucet… Il y a un truc qui marche, un gros bluckbuster, on suit derrière. Moi les zombies j’ai l’impression qu’on est arrivés… Pas vraiment à la fin d’un cycle, il y a encore plein de petits bijoux qui sortent que ce soit jeux vidéo, série télé… j’attends que ça se tasse un petit peu.
Est ce que vous pensez que vous pouvez leur apporter quelque chose d’un point de vue artistique ?
Par rapport à ce que je disais juste avant, ça va paraître un peu paradoxal, j’attends la fin d’un cycle, mais j’ai mon beau-frère qui est romancier / scénariste qui travaille sur une série qui s’appelle Zombie et qui marche très bien. Et je pensais travailler avec un autre pote sur un livre de zombies. Je ne sais pas exactement ce que je pourrai leur apporter. Mais j’ai quelques idées et c’est surtout sur le challenge, je le prendrai comme un défi, c’est le genre de choses qui m’intéresse. Je le vois comme un archétype qui est présent et je chercherai comment l’aborder pour le rendre intelligent et là ce n’est pas seulement le look mais surtout sur le fond, comment le sujet est abordé, la thématique, le traitement qui fera la différence.
Est-ce que vous auriez des conseils à donner à ceux qui essayent de se lancer dans le jeu vidéo dans le cadre actuel ?
Pour monter une structure, à mon avis il faut avoir de l’expérience dans d’autres structures, engranger des connaissances, ça me parait essentiel. Ensuite bien calibrer son projet. Par rapport à notre expérience, le marché est super dur. Hier je suis tombé sur un article qu’un de mes associés m’a envoyé. Il y a 7 ans, au début du cycle de la PS3, il y avait 125 studios qui bossaient sur des triples A et là apparemment il y en aurait 25 (studios indépendants, j’entends) et il y a le même nombre de personnes qu’à l’époque des 125 studios. C’est-à-dire que pour faire des jeux maintenant on a besoin de plus en plus de personnes parce que les spécificités des consoles sont de plus en plus poussées, c’est pas la même chose que la génération précédente de consoles en terme de demande. Et du coup, c’est plus délicat maintenant. Il y a beaucoup de questions et d’incertitudes quant au prochain cycle de consoles. Certains analystes parlent même du premier cycle de consoles qui n’allait pas rencontrer les consommateurs, qui allait passer à la trappe. Il y a aussi la promesse du Cloud Gaming, la dématérialisation complète, pas seulement des jeux mais aussi des interfaces, des consoles.
Forcément, tous retardent l’arrivée de ça puisqu’on ne vendra plus de PS3 ou de Xbox donc ça pourrait complètement changer le marché. Il y a plein d’incertitudes. Je pense qu’il faut s’accrocher, bien cibler ce que tu veux faire, être en osmose avec ce que tu veux faire et ton public, le comprendre. Tu vas pas te dire : “Je vais faire un Angry Birds, un truc qui va claquer des millions comme ça”. Il n’y a pas de recettes. Il y a une grande part de passion.
Quels sont vos projets futurs ? Et justement, est ce que les nouvelles consoles vous ouvrent un nouvel angle ?
DontNod, je ne peux pas trop en parler. Pour les nouvelles consoles, elles ouvrent effectivement des possibilités, mais il faut changer la réflexion. Il y a beaucoup de questions qui se posent. Épisodique, pas épisodique ? Dématérialisé pas dématérialisé ? Les spécificités de la console, le gameplay, le coté Big Brother avec la caméra de la PS4 qui restera toujours allumée. J’aimerais bien me remettre à la bande dessinée même si le marché n’est pas super jojo et ne donne pas forcément envie. Je voudrais écrire mes propres histoires et aller jusqu’au bout. Je voudrais m’éloigner de ce que je fais habituellement, c’est-à-dire du fantastique. Et il y en a un autre qui est un peu différent, qui est en lien avec un autre projet pour lequel je suis au Comic Con, une collaboration autour d’une statue qui s’est faite avec le studio Tsume. C’est une création originale avec des prises de risques, ça touche à tout. On a essayé de développer notre propre truc à nous et moi j’aimerai bien pousser plus loin par rapport à mon projet de bande dessinée, créer une gamme, aller au-delà de tout ça.
Photos : © DontNod / DR
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