Stéphane Goddard nous parle du premier tome de sa Bande Dessinée Blackfury : La Griffe du Styx, un titre prometteur et graphiquement unique.
Que se passe-t-il lorsqu’une Bande Dessinée s’échappe du crayon d’un directeur artistique chevronné et exigeant, dont les jeunes années furent bercées par les comics américains ? Ni plus, ni moins qu’un OVNI graphique percutant, illustrant avec élégance un récit de science fiction efficace.
Dans cet univers futuriste, raffiné et minimaliste, l’UPO – Ultimate Peace Organisation – veille à ce que l’hégémonie de l’impératrice adulée Meisha ne soit pas mise en péril par la dangereuse alliance du Styx et sa ténébreuse chef de file, Datura. Pour se faire, l’UPO se repose sur des héros aux capacités exceptionnelles, dont les meilleurs éléments sont l’agent Sky, intelligente et téméraire, mais surtout la force brute de sa plus probante expérience, Blackfury, seul survivant d’une confrérie de chamanes guerrières.
Paru chez Ankama le 16 septembre dernier, Blackfury est un titre remarquable à bien des égards. En surface, on a affaire à une Bande Dessinée aux inspirations multiples, tant cinématographiques que littéraires, arborant une identité visuelle très personnelle composée de lignes claires fines et dynamiques, relevée de teintes or soutenues de noir. Mais à la lecture, on s’étonne d’un récit tentaculaire et prometteur, emmené par le dessinateur lui-même, Stéphane Goddard, ainsi que Henscher, à qui l’on doit les scénarios du Banni ou encore Le seigneur des couteaux.
Pour vous présenter ce titre unique, le Cerveau est allé à la rencontre de Stéphane Goddard. Retour sur une interview riche où l’auteur nous expose ses projets relatifs à l’univers étendu de Blackfury.
On vous connaît principalement en qualité de designer, évoluant dans les milieux de la mode, du sport et de la publicité. Qu’est-ce qui a conduit vos pas vers la Bande Dessinée ; vers Blackfury ?
Ce n’est pas vraiment la première fois que j’explore le monde de la Bande Dessinée. En effet, à 17 ans, j’avais remporté un prix à Angoulême, dans une catégorie réservée aux jeunes auteurs.
De manière générale, j’ai toujours aimé dessiner. C’est pour cela que je me suis dirigé vers des études d’arts appliqués, d’abord à La Martinière, puis à Olivier de Serres. Par la suite, j’ai monté plusieurs agences dans le domaine de la publicité et, après 4 ans de carrière dans ce milieu, j’ai décidé de prendre un agent pour mon travail d’illustrateur. J’ai donc eu l’occasion d’évoluer dans plusieurs secteurs simultanément, que ce soit en tant que créateur d’agences, de directeur artistique ou d’illustrateur… Mais j’ai toujours conservé un attachement à la Bande Dessinée, et plus particulièrement aux comics que je lisais plus jeune.
Lorsque je me suis lancé sur Blackfury, il a fallu que je me remette dans le « mood ». J’ai dû réintégrer dans mon travail des éléments de narration spécifiques à la Bande Dessinée, bien sûr, mais pas seulement. Dans ma carrière de directeur artistique, j’ai été amené à faire de la réalisation, du storyboard ; autant d’éléments qui ont marqué mon approche assez cinématographique, filmesque de Blackfury. C’est quelque chose qui m’est venu assez naturellement, dès le début de mon travail. D’ailleurs, je dois avouer que j’appréhendais un peu le découpage : j’avais peur que cela soit trop contemplatif. Heureusement, ce ne fut pas le cas ! Le résultat est un bon dosage de moments zen, et de scènes hyper dynamiques.
À un moment donné, la question s’était posée de prendre ou non un storyboarder pour m’épauler sur le projet, mais je sentais que je pouvais le faire. J’ai donc passé l’été 2015 à concevoir le chemin de fer pour m’atteler dès septembre à l’éxé pure et dure, en full time. Il fallait tenir les délais, or, les images produites pour Blackfury m’ont demandé beaucoup de temps. En effet, je cherchais à mettre en valeur un graphisme sophistiqué, demandant beaucoup de soin et d’attention. La plupart des fresques que j’ai créées peuvent être déclinées en affiche. Ayant toujours travaillé en grand format, il m’a semblé naturel de faire de même pour Blackfury. D’autant que cela me permettait de rentrer dans les moindres détails, de peaufiner au maximum chaque image. J’ai beaucoup d’exigences vis-à-vis de mon propre travail. J’avais envie de pouvoir donner une seconde vie à mes images, d’où la nécessité de soigner chacune d’elles.
Blackfury, ce n’est donc pas exactement quelque chose de nouveau pour moi, mais plutôt un retour aux sources, à mes premières amours. C’est véritablement une expérience dont je retire beaucoup de plaisir et de fierté. Même s’il s’agit d’un préalable à l’existence d’un univers plus complet, d’une « marque », puisque j’ai vocation à étendre cet univers à d’autres médiums que la Bande Dessinée, notamment le jeu vidéo et l’animation.
Lorsque l’on se penche sur votre travail de directeur artistique, on a le sentiment que vous aimez raconter des histoires, pas seulement créer de l’image. Comment vous est venu le récit des aventures de Blackfury ?
Avant même que je ne devienne directeur artistique, j’étais profondément marqué par l’envie de raconter, bercé entre autres par la mythologie des comics et la popculture.
Lorsque j’étais petit garçon, j’adorais les histoires de Tarzan. Les univers narratifs d’auteurs comme Edgard Rice Burroughs ou H.G.Wells m’ont en effet beaucoup touché. Puis, le jeune lecteur que j’étais est devenu plus aguerri : je me suis alors plongé dans l’univers de Hugo Pratt, de Moebius mais aussi des comics des années 70 et 80. Cependant, je ne puise pas seulement mes inspirations dans mes lectures. Je m’intéresse beaucoup au cinéma, en particulier celui des Frères Coen ou [David] Lynch. Je me suis donc inspiré d’éléments très variés pour concevoir BlackFury.
À ce propos, j’ai une petite anecdote : je cours beaucoup ; et j’ai remarqué que c’était justement en courant que j’arrivais le mieux à mettre en forme mes idées. On peut donc dire que Blackfury a été fait de séances de jogging ! Mais aussi de la musique que j’écoute et qui m’envoie dans un autre univers. Quand je cours, je me transporte réellement.
En y réfléchissant, je pense que la Bande Dessinée est peut-être le domaine qui m’a le moins influencé sur ce projet. Je ne suis plus un grand consommateur de ce type de lecture, même si ces derniers temps, je m’y suis remis pour voir ce qui se faisait, notamment en termes de formats.
Ainsi, Blackfury est le résultat d’inspirations très variées. J’ai donc rapidement ressenti le besoin de gérer moi-même l’identité visuelle globale de ma Bande Dessinée, afin qu’elle reste cohérente, en adéquation avec mon idée d’origine. C’est difficile de laisser à quelqu’un d’autre le soin de faire le logo de sa création. Un logo, ça raconte déjà quelque chose, c’est une partie de l’histoire à part entière. Pour cela, je dois remercier mon assistante Caroline Desse qui a été globalement d’un soutien indéfectible tout au long du projet, et en particulier sur le design graphique de l’ouvrage.
Que retirez-vous de cette expérience d’auteur de Bande Dessinée ?
J’en ai retiré beaucoup de plaisir. Je suis ravi de la manière dont s’est déroulé le projet, de la qualité visuelle et narrative du produit fini. De plus, le feedback, avec les professionnels du milieu, a été excellent ! Que ce soit avec Ankama, mon éditeur, avec Little Empire, mon producteur, ainsi qu’avec la presse. Mais aussi avec mon public, puisque j’ai eu l’occasion de rencontrer les premiers fans de Blackfury lors du Salon de la rentrée littéraire de Nancy et lors de l’exposition dédiée à la galerie Arludik.
C’est quelque chose qui est vraiment important pour moi dans la mesure où le projet n’était pas de produire une Bande Dessinée en soit. J’en parlais plus tôt, mais, à mon sens, ce premier tome de Blackfury n’est qu’une étape dans le processus de création d’un univers élargi. Même si créer une Bande Dessinée restait pour moi une véritable curiosité : je ne savais pas du tout comment les gens allaient la recevoir ! Pour moi, tout cela est à la fois nouveau et très agréable. Si ce n’est pas un rêve d’enfant que je viens de réaliser, ça n’en reste pas moins une expérience plaisante, un plaisir authentique dans le sens où j’aime la Bande Dessinée en tant que moyen d’expression. On a parfois tendance à reléguer ce médium au rang de simple divertissement, alors qu’il s’agit du 9ème Art. Avec ma carrière de directeur artistique, je ne savais pas si j’aurai un jour l’occasion d’y revenir, et finalement ce fut le cas.
Ainsi, Blackfury n’est que le début d’une aventure d’une plus grande envergure ?
Tout à fait, puisque dès le début du projet, j’avais envie de le porter sur d’autres terrains, en particulier le jeu vidéo et l’animation, qui s’y prêtent le plus naturellement, mais pas seulement.
Selon moi, une fois qu’on a mis en place un univers assez riche et vaste, il est intéressant de le développer sous différents angles, du moment que cela reste cohérent avec les intentions que l’on met derrière. Personnellement, je m’imagine bien voir décliner les personnages de BlackFury sous la forme d’art toys ou de jeux de plateau. En poussant le concept plus loin, on pourrait même imaginer des choses plus atypiques, qui relèveraient du domaine du design ou de la mode, d’autant qu’il s’agit d’un milieu que je connais bien.
Je pense que Blackfury possède ce potentiel, et ce serait l’occasion de créer de nouveaux partenariats avec des professionnels de qualité. Le principal restant bien sûr que cela ait un sens. Car, au final, c’est vraiment cela qui importe lorsqu’on travaille sur un concept aussi large : conserver l’âme du projet.
Crédits photos ©jpbouix / Ankama / Little Empire
Connecte tes Neurones à Brain Damaged sur