Hannibal s’est éteinte dans une troisième saison à l’image de la série : inégale, lente, prétentieuse et déstabilisante. Retour sur une série arrogante. Bilan.
Le consensus général voudrait que l’on dise d’Hannibal que de bonnes choses : que l’on encense ses images, couleurs et son esthétique travaillée, que l’on salue l’audace de son créateur, que l’on soit subjugué par le jeu de ses acteurs, enfin, principalement de Mads Mikkelsen (pourtant loin d’égaler Hopkins dans le même personnage), et glorifier ses images gores et la sublimation de l’horreur qui a été offerte aux téléspectateurs ces trois dernières années. Au-delà de la célébration de la qualité de sa production, Hannibal devrait être une série de légende, élevée au rang d’autres cultes du petit écran.
Mais ce n’est pas ce que le Cerveau fera. Il ne va pas non plus jouer la carte de la mauvaise foi pour se distinguer du consensus, comme pourrait l’accuser certains fervent admirateurs de l’œuvre de Fuller. Il va tout simplement exposer pourquoi Hannibal s’est ratée, et pourquoi cette annulation de la part de la chaîne est justifiée.
Etalage visuel
Le point fort d’Hannibal est sans conteste son esthétique léchée et sans pareille en télévision. Même si certains n’aimeront pas cette comparaison, Hannibal, depuis son arrivée sur NBC, apparait comme un ovni visuel face à ses consœurs. Une série qui semble réinventer les codes de son genre à la TV, surtout avec cette réalisation proche d’un cinéma indépendant. Un cinéma artistique, axé sur l’image et son impact, au-delà du script et ses acteurs. Hannibal redonne sa place au visuel, chose rarement autant mise en valeur en télévision. Un choix qui se salue mais qui est aussi le plus grand défaut d’Hannibal.
Le présupposé d’Hannibal est la beauté du macabre. Thématique principale de la série qui s’inspire d’un culte cinématographique. La célébration du gore, le classicisme de l’art mis en parallèle avec tout ce que notre culture qualifierait d’horreur, sont l’essence d’Hannibal. Une sublimation de la mort dépassant les frontières et l’ordre établi, pour prouver que la beauté est là même dans l’inévitable.
Too Much
Malheureusement, Hannibal en a trop fait. Quand on lui reprochait en saison 1 de faire trop de foodporn pour illustrer cette beauté macabre, Hannibal a enfin embrassé le gore, surtout en saison 2, avec ses tableaux macabres à foisons. En saison 3, on pousse ses tableaux vers la macro : des images de sang et autres muscles et visages dépouillés au plus proche de la caméra, brouillant le spectateur dans sa perception des choses et la réalité.
A l’excès. Ces images finissent petit à petit par prendre le dessus sur l’intrigue, et sur les personnages. Au point de perdre le spectateur dans leurs méandres, notamment dans la première partie de cette ultime saison de la série. Parfois hypnotisantes, souvent gratuites, et presque inutiles, les close-up, les séquences musicales, les chirurgies ou autres noyades dans son bain finissent par ne plus avoir l’effet attendu auprès du spectateur. Elles exaspèrent. On pourrait même dire que ces « tableaux » de l’image du Cerf en saison 1 à celui du Dragon Rouge, finissent par perdre en intérêt, puisque le spectateur n’est plus dupe au bout trois saisons, surtout quand on les ressert, sans limite, au fil des épisodes.
Verbe et bavardage
L’arrogance d’Hannibal réside principalement dans son écriture. Les dialogues des personnages travaillés au possible, qui finissent par être des bavardages, entre mysticisme et psychologie humaine. Des bavardages sensés questionner le genre humain, la nature de notre espèce et la frontière entre le bien et le mal. Bavardages qui perdent en authenticité et intérêt au fil des épisodes.
En effet, Hannibal étant psychologue, les scénaristes ont usé d’étalage de notions et principes de psychologie basiques histoire de définir la nature d’un monstre et de ce monstre. La frontière existante entre ce qui peut pousser la plus innocente des âmes à devenir un assassin, ce qui nous différencie d’un animal… des principes philosophiques et psychologiques basiques, présentés comme complexes dans un étalage de joutes verbales lentes et hypnotisantes, sensées rendre Hannibal plus compliqué qu’il ne l’est, et surtout fascinant.
Une grosse erreur de la part de Fuller et son équipe, puisque cette masturbation intellectuelle n’a pas l’effet escompté. Pire, le spectateur a l’impression d’être pris pour un ignorant qui va se nourrir de ces joutes verbales, une fois de plus à l’excès, avec l’illusion d’une intelligence sans pareille en télévision. Les plus aguerris bien évidemment ne se feront pas avoir.
Mysticisme et Massacre
Les œuvres de Thomas Harris ont pour but d’illustrer la fascination de la Mort. Cette choses inévitable de la vie, devenu art pour Hannibal, un moyen d’exister pour un tueur en série, et la traduction de la schizophrénie d’un agent du FBI. Dans Hannibal, on cherche le mysticisme au-delà de l’art. En effet, Bryan Fuller a voulu créer une symbiose entre ses deux personnages principaux, autour desquels vont graviter tous les autres. Une sorte de relation passionnelle, animée par la fascination de l’autre, et la mort.
C’est cette relation qui va animer le fil rouge d’Hannibal, qui à partir de la saison 2 deviendra une série entièrement consacrée à Hannibal Lecter, et non plus un cop-show autour de ce dernier. Une relation qui va venir nourrir les joutes verbales exacerbées de la série, dont le but est d’illustrer les différentes figures de la monstruosité. Celle d’Hannibal, celle de Mason Verger, celle du Dragon Rouge, mais surtout celle de Will Graham.
Cette relation est sans doute la seule chose qui a permis à la série de tenir debout en lui offrant un semblant d’intérêt. Deux personnages nourris par des meurtres chacun à leur manière, qui dans la série, deviennent deux alter-egos incapables d’exister l’un sans l’autre, encore plus quand il s’agira de chasser le Dragon Rouge. Une liberté de Fuller qui est bien la seule acceptable puisqu’elle donne un semblant de sens à tout ce qu’on a servi au spectateur, aux allures parfois brouillonnes.
Personnages très secondaires
Cette saison, Fuller a choisi de tenter de rajouter une couche de mysticisme en insufflant une réflexion autour de la religion et de la foi. Une décision incomprise, puisque la foi était déjà présente dans la relation de ces deux hommes. Une thématique très souvent reprise par Verger, Alana Bloom ou Zeller, les autres personnages de la série.
Les personnages secondaires d’Hannibal sont d’ailleurs insipides. Dans le sens où chaque personne n’est que le deus ex-machina d’une situation ou personnage, permettant aux deux personnages principaux d’avancer dans leurs quêtes respectives, entre fuite et chasse. Quand dans une série TV, les personnages se doivent d’être creusés et travaillés pour séduire le spectateur, dans Hannibal, ils n’ont qu’un but, servir l’intrigue de Graham et Lecter. Ni plus ni moins.
Que ce soit Bedelia Du Maurier avec Hannibal, Jack Crawford, Verger…. etc, ils ne sont que des satellites qui gravitent autour de deux soleils. Tout n’existe dans la série que dans le but de valoriser Graham et Hannibal, jusqu’au point culminant, la fin, l’union de nos deux hommes ensemble contre le Dragon Rouge.
Not enough
Ce que le Cerveau reprocherait avant tout à Hannibal, qui s’inspire des œuvres de Thomas Harris avant les films et qui le rappelle dans son générique, c’est de passer à côté des vrais motifs de Dragon Rouge. Celui de la perversion sociale, de ce qui crée un tueur en série et la menace que ce dernier puisse être. Un autre thème cher à l’auteur que l’on retrouve d’ailleurs au cinéma, est le rôle des médias dans la création du tueur et ce qui le pousse à exister. L’auteur étant journaliste de profession, cette thématique majeure devient inexistante dans la série.
Dans Hannibal ces thèmes importent peu. Ce qui importe c’est de flirter avec l’art, d’être une œuvre au sens noble et élitiste du terme, en étalant des plans dans des décors mythiques, jouant de notes classiques, illustrant la beauté romanesque à travers des plans travaillés, des diners chics et bourgeois, histoire de souligner un contraste flagrant avec le macabre.
Le tout servi avec lenteur, pour se délecter de chaque image, nourrir l’œil du spectateur, bercé, voire anesthésié par les dialogues, parfois plaisant par leurs fausses complexités. Une lenteur qui finit par devenir un personnage à part entière de la série, un élément qui la définit, dont le spectateur va s’accommoder au fil des épisodes.
Mais ce n’est pas suffisant pour faire d’Hannibal une série mythique. Elle est sans conteste atypique, jamais vue, exécutée avec finesse, mais elle n’est pas réussie. Pour preuve, elle n’a pas séduit les spectateurs et même perdu en audiences au fil de son existence. 1 million et demi de téléspectateurs ont disparus entre le premier épisode et l’avant dernier de saison 3 de la série. Seul 1 million et demi auront vu la révérence d’Hannibal. Ceux qui attendent une saison 4 peuvent faire leur deuil, même si Bryan Fuller se voit déjà réinventer Clarice Sterling, même au cinéma, il est certain que la tombe d’Hannibal est bien scellée. Et ce n’est pas plus mal.
Crédit photos : © NBC Universal
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