Bilan d’une saison fondamentalement différente de Doctor Who, une saison presque sans âme. Spoilers
Samedi soir était diffusé le dernier épisode de la saison 8 de Doctor Who. Un épisode concluant une intrigue en deux parties qui réintroduisait un personnage mythique de l’univers de la série : le Maître, enfin la maîtresse, ou Missy. L’occasion de revenir sur une saison radicalement différente de ce que l’on a connu de Doctor Who depuis son arrivée sur les écrans britanniques en 2005. Une saison qui en aura déçu certains, ravis d’autres, mais qui sans conteste a changé l’univers de la série, pour le meilleur mais aussi pour le pire.
La saison qui change tout
Un changement bien au-delà du ton voulu pour ce nouveau Docteur, incarné avec beaucoup de classe par Peter Capaldi. Un changement qui a transformé la série comme le voulait Steven Moffat. Pourtant la saison 8 semblait offrir renouveau et fraîcheur avec son premier épisode, mais au final, on s’éloigne radicalement de ce qui a fait de cette série un plébicite de cette décénnie télévisuelle.
Pourtant ce changement était inévitable et prévisible depuis sa saison 7. Un Docteur plus vieux, plus sage, lunatique, plus bougon et versatile, comme une espèce de savant fou. Une évolution logique des bases narratives posées par le showrunner de la série depuis son arrivée à sa tête, pour des intrigues plus personnelles et « psychologiques » de ce personnage télévisé vieux de 50 ans. Et un renversement radical de son histoire, celle qui a fait de lui une légende.
La dualité du Docteur
Le Docteur, version Capaldi, allait bien évidemment jouer sur deux tableaux : celui du sauveur mais aussi celui de l’homme égocentrique presque misanthrope. Une thématique évidente et récurrente depuis A good Man Goes to War (saison 6) ou la réincarnation du Docteur en « Warrior », que Steven Moffat a choisi de filer encore cette saison. Le Docteur est-il un militaire ou un bienfaiteur ? A-t-il le droit de choisir qui doit vivre ou mourir ? Toujours les mêmes questions revues sous tous les plans, encore plus dans ce final, où une fois de plus on va le sermonner sur le même sujet. (Merci Danny Pink et Clara… River, Vastra et les autres ne l’ont pas déjà assez fait auparavant). Une thématique poussée au détriment du développement d’autres, aux résolutions bazardées ou faciles.
Exemple concret : Comment le maître a-t-il pu se régénérer à nouveau ? Réponse dans ce final en moins de 30 secondes et sans réelle profondeur. Le Maître est revenu parce que le Docteur a sauvé Gallifrey. C’est tout. Comme un cheveu sur la soupe, sans se soucier des conséquences d’une affirmation pareille, et les questions qui en découlent qui n’auront à coup sûr aucune réponse (on vous les épargnera, la liste est longue).
Quand il n’use pas d’ellipse narrative, Steven Moffat se contente du strict minima, et ce n’est pas la première fois. D’ailleurs le Maître sait que Gallifrey existe. Comment, pourquoi… ? La aussi, il faudra faire sans puisqu’il est décédé dans ce final, presque de la main du Docteur (qui l’aurait épargné 4 saisons plus tôt. Mais ceci est une autre histoire… ). L’épisode spécial 50ème anniversaire souffrait déjà des mêmes maux, rappelons-le.
Plus d’anthologie moins de mythologie
Docteur Who a toujours su proposer des intrigues singulières intéressantes, souvent épiques, pour des aventures extraordinaires tout en permettant un regard critique sur l’humanité. Le propre d’une série de science-fiction digne de ce nom.
Depuis l’avènement de la série au rang de culte international et un budget décuplé grâce à ses audiences phénoménales (encore plus de 5 millions pour ce final), Doctor Who s’est vu subir un lifting visuel qui n’est pas pour déplaire : décors travaillés, réalisation hors normes, monstres plus crédibles… Bref, ça envoie visuellement du lourd et n’a rien à envier aux séries américaines.
Encore plus cette saison avec des épisodes uniques, visuellement très fort. On pense à Listen faisant appel à une peur universelle (on lui excusera la fin, car l’épisode reste dans sa globalité effrayant), à Time Heist, l’Ocean Eleven version whovienne, ou Kill The Moon, l’épisode mettant en vedette Clara, qui enfin, tient tête au Docteur. Flatline et Mommy on the Orient Express (qui nous rappelle aussi un certain épisode à bord du Titanic à Noël) prouve que les scénaristes ont toujours beaucoup d’imagination quand il s’agit de mêler héritage historique et peurs issues de l’inconscient collectif. Des épisodes qui se concentrent aussi sur Clara, bien trop ignorée la saison dernière, le fantôme des Ponds planant sur elle comme une épée de Damoclès.
Sans âme
Des épisodes divertissants mais qui manquent cruellement d’un ingrédient majeur dans ce qui a fait le culte de la série : l’émotion. Est-ce que nous assistons à notre transformation discrète en cyberman devant notre téléviseur ? On pourrait se poser la question. Sous l’ère Davis et encore en saison 5, Doctor Who était un hymne à l’émotion, aux rires et aux larmes, à l’attachement, la compassion, l’altruisme. Ce qui a fait le charme et aidé la série à être plébiscitée partout dans le monde, malgré son esthétique kitch et ses monstres en papier mâchés, étaient bien les intrigues profondes et recherchées qui généraient quasi à chaque épisode, de l’émotion. Le Docteur, cet extraterrestre altruiste a subi un lifting, mais pas des meilleurs.
Steven Moffat, ce chirurgien plastique de la narration n’a pas réussi son opération dans sa globalité. Voulant donner une nouvelle perspective plus adulte et plus sombre de la série et conquérir un nouveau public, un peu comme sa vision de Sherlock, le Showrunner change radicalement le ton de la série voire sa nature au point qu’on ne la reconnait que dans les grandes lignes. Et ce malgré un Peter Capaldi au meilleur de sa forme dans un Docteur auquel adhère complétement le spectateur. Même la musique de Murray Gold toujours émouvante jusqu’ici, elle aussi, est dénuée d’émotions avec ses notes et orchestrations mécaniques, trés uniformes, et moins orchestrales.
Doctor Who est presque sans âme, si on ose le dire, favorisant l’image et quelques pointes de fanservice au détriment de l’écriture. Un Tardis, un tournevis sonique et les voyages interstellaires ne suffisent pas pour définir ce culte de la télévision, cette saison 8 le prouve. Doctor Who sans émotion est-elle vraiment Doctor Who ? C’est ce qu’on se demande.
Crédit photos : ©BBC
Connecte tes Neurones à Brain Damaged sur