ÇA, Bienvenue à Derry : Entre nostalgie horrifique et héritage gore

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4.5

Le préquelle en série à la saga Ça, Bienvenue à Derry, s’est dévoilé cette semaine sur HBO Max, critique d’un retour qui fonctionne, entre horreur terrifiante et nostalgie sixties.

S’il y a bien un univers qui hante nos cauchemars depuis des décennies, c’est celui de Stephen King. Et plus précisément celui de son clown démoniaque.

La nouvelle série de HBO Max, prequel des films d’Andy Muschietti, intitulée Bienvenue à Derry  est arrivée cette semaine et nous plonge dans le Derry des années 60, période trouble et fascinante où tout a commencé. Une proposition horrifique ambitieuse, qui navigue entre excellence visuelle et tentation de l’excès.

Les sources sombres de Derry

ÇA : Bienvenue à Derry fait le choix audacieux de remonter le temps, bien avant les aventures du Club des Ratés  que nous avons découvert en 2017.

Nous voilà en 1962, dans une Amérique qui respire l’inquiétude et les non-dits. La série explore les origines du mal qui gangrène la ville, avec son cycle de 27 ans de terreur qui définit l’identité même de Derry. Un cycle funeste pour les enfants de la ville, mais pas que…

Une esthétique rétro de haut vol

Ce qui frappe d’emblée, c’est l’esthétique soignée de cette époque révolue. Les créateurs ont visiblement fait leurs devoirs : des costumes aux décors, en passant par la reconstitution d’une Amérique profonde, celle du Maine, l’état de prédilection Stephen King. Coincée entre prospérité d’après-guerre, tensions raciales, et la peur d’une guerre nucléaire en pleine guerre froide, peu avant la crise des missiles de Cuba, la ville de Derry semble paisible en apparence. Un voyage dans le passé de ce monde où tout sonne juste, tant visuellement, que dans l’intrigue de départ.

Une série préquel qui s’ouvre d’emblée sur une séquence horrifique de haut vol, terrifiante à souhait et dans la veine des films, mais bien ancrée dans la réalité d’un monde sixties et les grandes heures de l’American Dream. Les scénaristes de la série arrivent sans problème à rendre le passé à la fois familier et profondément dérangeant.

Quand l’horreur devient tangible

Là où ÇA, Bienvenue à Derry  surprend le plus, c’est dans son approche visuelle de l’horreur. Oubliez le clown rigolo des années 90 ou même la version plus terrifiante de Bill Skarsgård. Ici, Pennywise n’est qu’une des manifestations d’un mal bien plus ancien et viscéral. Une manifestation plus démoniaque, dans ses deux premiers épisodes, toujours portés par les visions d’horreurs cauchemardesques des marmots au cœur de l’intrigue.

Le Cerveau avait déjà apprécié dans les précédents volets de la franchise la volonté de puiser dans l’horreur corporelle, dans la veine des jeux Silent Hill. Les créatures ne sont pas simplement effrayantes, elles sont profondément dérangeantes, organiques, comme surgies d’un cauchemar lovecraftien. Des créatures viscéralement horrible, incarnations du Mal à l’état pur inscrit dans l’inconscient collectif. Chose que l’on retrouve – peut-être en pire – dans la série.

Bienvenue à Derry n’hésite pas d’ailleurs à montrer la chair qui se déforme, les corps qui se décomposent, les mutations corporelles, dans une tradition gore assumée qui rappelle les meilleurs moments du survival horror, ainsi que ce que l’on connait de la franchise.  Une approche visuelle basés sur des effets spéciaux qui fonctionnent, bien que perfectibles. Chaque manifestation du Mal possède une certaine qualité, presque palpable, qui retourne l’estomac.

L’origine du Mal qui fascine

La grande réussite de ÇA, Bienvenue à Derry  réside dans son exploration méthodique des racines du mal. Plutôt que de se contenter de jump scares faciles, la série prend le temps de construire sa mythologie.

On découvre dans les premier et second épisodes, les personnages qui vont porter l’intrigue, avec quelques surprises d’ailleurs, ainsi que les enjeux des uns et des autres vis-à-vis de la créature que nous connaissons tous. Des personnages qui résident ou non dans cette ville, incarnation physique de la bête.

Une approche narrative qui rappelle les meilleurs moments de l’œuvre de King : cette capacité à faire d’une ville un personnage à part entière, à montrer comment le mal peut s’enraciner dans le quotidien jusqu’à devenir presque banal. Les habitants de Derry ne sont pas que des victimes, ils sont complices, par leur silence, leur lâcheté, leur volonté de préserver une normalité illusoire. Tout du moins les adultes. Une bonne manière de résumer l’Amérique.

Un équilibre parfois fragile

Là où la série pèche parfois, c’est dans sa tentation de l’excès. Si l’horreur gore fonctionne brillamment dans certaines séquences, elle peut aussi devenir répétitive. Après le troisième corps démembré ou la cinquième transformation horrifique, on ressent une certaine envie de trop en faire, comme si la série cherchait à rivaliser avec ce qu’on a déjà vu, ou tenter de surprendre le spectateur qui a pu s’accommoder de la licence.

En effet, les deux premiers épisodes sont moins dans la suggestion que ne l’a pu l’être Ça chapitre 1. Les scénaristes auraient parfois gagné à faire confiance à la suggestion plutôt qu’à la démonstration systématique.

Les moments les plus terrifiants ne sont pas nécessairement les plus sanglants dans le genre de l’horreur, ce qu’on semble oublier dans ce début de Bienvenue à Derry. Ce qui marche parfois mieux qu’un sang qui gicle ou qu’un jump scare peut être une ambiance, un bruit en hors champs, ou un souvenir audio, comme le faisait si bien le premier film, avec des scènes qui jouent sur l’ambiguïté, l’attente ou le malaise.

Une leçon que semble oublier Andy Muschietti, Barbara Muschietti et Jason Fuchs, les créateurs et scénaristes de la série, cédant à une surenchère moins subtile, mais surement efficace chez ceux moins coutumiers de l’horreur.

Le poids de l’héritage King

Adapter Stephen King reste un exercice périlleux. Pour chaque réussite (Misery, Carrie, Shining, pour ne citer que ceux-là), combien d’échecs ou d’adaptations décevantes ?

Bienvenue à Derry s’en sort honorablement en faisant le choix de l’expansion narrative plutôt que de la simple répétition. Ce qui a peut-être aidé à avoir l’aval et l’approbation du Maitre en personne, puisqu’il s’est exprimé sur la qualité de ce préquelle sur le réseau Threads en qualifiant le premier épisode de « terrifant ».

Le casting, composé majoritairement de nouveaux visages, apporte une fraîcheur bienvenue. Les enfants choisis pour porter l’intrigue incarnent avec justesse cette Amérique coincée entre apparences respectables et violence latente des années 60, une période de grande transformation sociale et culturelle.

Une proposition solide

Bienvenue à Derry est une série avec une véritable proposition horrifique solide qui mérite le détour. Son esthétique rétro impeccable, son approche viscérale de l’horreur et son exploration intelligente des origines du mal compensent largement ses excès occasionnels.

Pour les amateurs d’horreur qui cherchent quelque chose entre le survival horror japonais et le King classique, la série offre un terrain de jeu fascinant, suffisamment ambitieux et maîtrisé pour s’imposer dans le paysage horrifique contemporain.

Une belle surprise qui prouve que l’univers de Stephen King a encore des histoires à raconter, à condition de savoir où chercher. Et dans les égouts de Derry, il reste encore beaucoup de ténèbres à explorer.

ÇA : Bienvenue à Derry est disponible sur Max, avec de nouveaux épisodes chaque jeudi.

Crédit photos : ©HBO/Warner Bros

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