Réalisation : Guillermo Del Toro
Casting : Oscar Isaac, Jacob Elordi, Mia Goth, Charles Dance…
Genre : Science-Fiction,Fantastique, Horreur
Titre Original : Frankenstein
Durée : 2h38
Pays : Etats Unis
Année de Production : 2025
Distribution : Netflix
Sortie en salle le 7 Novembre 2025
Découvrez la critique du Cerveau pour une oeuvre littéraire mythique que seul Guillermo Del Toro pouvait transposer à l’écran d’une beauté et tragédie hypnotique comme il sait le faire : Frankenstein.
Il y a des films qui vous saisissent par la gorge. Certains qui vous hantent pour la beauté intrinsèque de l’œuvre, d’autres pour leur narration riche et poignante, ou qui vous prennent par la main pour simplement vous divertir avec ou sans fioritures.
Le Frankenstein de Guillermo del Toro, qui vient d’être mis à disposition des abonnés Netflix fait partie de ceux qui vous arrache le cœur pour mieux vous montrer qu’il bat encore.
De chair et d’âme
Une réinvention forte d’une œuvre que l’on pensait pourtant connaitre sur le bout des doigts, dans ce qu’elle raconte et propose. Pourtant ici, le cinéaste de renom, adepte de la féerie et du macabre, arrive à réinventer le mythe sans le dénaturer.
Après cinquante ans d’obsession et vingt-cinq années de tentatives avortées, le cinéaste mexicain parvient enfin à donner chair à son rêve le plus viscéral. Celui d’adapter le roman de Mary Shelley non pas comme un énième récit de monstre, mais comme ce qu’il a toujours été : une tragédie shakespearienne sur le besoin de création, l’hubris, la paternité ratée et l’amour impossible.
Une symphonie visuelle entre ombre et lumière
Del Toro ne fait pas que filmer Frankenstein et son histoire. Dans cette œuvre, il le peint, le sculpte, l’électrise. Chaque plan est une toile expressionniste où le clair-obscur devient langage.
Les laboratoires de Victor Frankenstein ressemblent à des vestiges victorien, des monuments désolés, à l’image de la perte du savant fou dans les méandres de sa créations.

Des espaces où le sacré et le blasphématoire se confondent dans un ballet de cuivre oxydé et de verre fumé. Une symphonie steampunk visuelle qui vient se heurter à une photographie qui oscille entre les bleus glacials des nuits scandinaves et les bruns et ors putrides des lampes à gaz, créant une palette chromatique qui évoque des tableaux de grands peintres baroques.
Le froid solitaire
La neige, omniprésente, est un personnage à part entière dans le film. Elle recouvre le monde comme un linceul, métaphore visuelle de la froideur émotionnelle qui entoure la créature. Un froid qui se manifeste dans les couleurs prédominantes du film, du bleu au vert, contrastées par l’omniprésence de rouge, symbolisant le sang, fluide vital nécessaire à toute vie.
Mais c’est dans les éclairs que le film trouve sa poésie la plus pure : les décharges électriques qui transpercent les ténèbres ne sont pas de simples effets visuels, mais la manifestation physique de l’ambition prométhéenne qui consume Victor. Une ambition funeste pour le personnage, campé par un Oscar Isaac plus habité que jamais par celui qu’il incarne à l’écran.
Deux voix, une tragédie
La structure narrative du film est d’une audace rare. Del Toro fait le choix radical de diviser son récit en deux chapitres distincts, chacun porté par la voix narrative de son protagoniste.

Le premier acte nous offre la perspective de Victor, le scientifique habité par une fièvre démiurgique après la mort de sa mère. Sa voix possède une qualité hypnotique digne des grands narrateurs de fables : on le suit dans sa descente aux enfers, fascinés et horrifiés à la fois. Comme un lecteur qui tourne les pages suivant les lignes du narrateur qui raconte le récit, Isaac conte avec effroi les évènements qui l’amèneront à sa perte, sur ce bateau en pleine désolation.
Le monstre plus humain que jamais
Puis, dans un renversement vertigineux, la créature prend la parole dans un second chapitre. Jacob Elordi, méconnaissable sous le travail prodigieux des maquilleurs, livre une interprétation d’une puissance dévastatrice.
Sa voix devient le cœur battant du film, transformant ce qui aurait pu être un simple monstre en une conscience torturée, dotée d’une éloquence shakespearienne. Une créature plus humaine que jamais, racontant son histoire dans une émotion rare, notamment lorsqu’il ère et trouve refuge chez un vieux sage, avant de confronter son créateur.
Une structure en miroir comme celle qui faisait la force du roman épistolaire de Shelley, qui permet à Del Toro de tisser un réseau complexe d’échos et de résonances. On comprend que créateur et créature sont les deux faces d’un même objet. Deux solitudes qui se cherchent, se repoussent, se détruisent mutuellement dans un ballet aussi terrible que sublime. Deux hommes, qui avaient pourtant besoin l’un de l’autre, finissent par se confronter au lieu de se trouver.
Le spectre du père, l’ombre de la mort
Au cœur de cette adaptation, un thème obsessionnel : la relation père-fils comme plaie ouverte. Un trauma au cœur de l’intrigue, qui se perpétue à travers les générations.

Victor Frankenstein ne crée pas un monstre, il enfante un fils qu’il rejette aussitôt venu au monde à l’image de son père (incarné par un Charles Dance toujours aussi dur). Guillermo Del Toro, qui a fait de la paternité manquée l’un des leitmotivs de sa filmographie (du Labyrinthe de Pan à La Forme de l’eau), trouve ici son expression la plus achevée.
La créature qui ne répète que le nom de Victor avec amour inné, avant que ce mot ne se transforme en malédiction sur ses lèvres pour son créateur, jusqu’à son acceptation. Le cinéaste mexicain comprend intuitivement ce que Shelley savait déjà en 1818 : abandonner un enfant ou ne pas lui prodiguer son besoin le plus essentiel, à savoir l’amour, est le crime originel, celui qui engendre tous les autres.
Poésie mortuaire
La terreur viscérale de la mort est aussi l’un des thème phare de l’œuvre que le cinéaste arrive à transposer avec justesse à l’écran. Victor cherche à ressusciter les morts, défier cette réalité immuable qui lui a pris sa mère.
Mais dans son laboratoire aux allures de tombeau, il ne fait qu’engendrer plus de mort. Del Toro filme ces scènes de création et recherches comme des expériences monstrueuses, gores, macabres et inhumaines, où la vie qui émerge est déjà marquée du sceau de la décomposition.
C’est là que réside toute l’ironie tragique du projet Frankenstein : vouloir vaincre la mort en créant la vie, mais ne produire qu’un être condamné à l’exclusion et la violence dès son premier souffle.

L’hubris scientifique de Victor est filmé avec une ambiguïté fascinante. Del Toro ne condamne pas simplement son Prométhée moderne mais montre la beauté terrible de son ambition, sa soif de transcendance et de réussite propre à l’humain, qui le mènera fatalement vers un destin funeste.
Oscar Isaac incarne magnifiquement cette dualité : son Victor est à la fois un génie visionnaire et un enfant capricieux, un savant illuminé et fils inconsolable. Mais fatalement un homme monstrueux, bien plus que la créature qu’il qualifie de la sorte, pour son manque d’empathie et d’amour.
Shelley ressuscitée
Ce qui frappe dans cette adaptation, c’est sa fidélité spirituelle au roman. Là où tant de versions précédentes ont réduit Frankenstein à un conte d’horreur simpliste, Del Toro retrouve la complexité philosophique et morale de l’œuvre de la jeune auteure, pourtant réinterprétée depuis deux siècles.
Il restitue notamment ce qui fait l’originalité du livre de Shelley : la créature n’est pas un monstre né monstre, mais un être qui apprend l’humanité avant d’en être brutalement rejeté.
L’apprentissage du bien et du Mal
Frankenstein explore avec finesse la question de la nature humaine et l’éducation qui traverse le roman. La créature découvre la langue, la littérature, la musique – elle s’éduque en lisant le Paradis perdu de Milton (référence explicite et centrale chez Shelley). A l’image de Victor qui lui aussi a reçu une éducation, mais dure, avec le poids des ambitions de son père.

Une dimension éminemment romantique, où le monstre est aussi et surtout un lecteur, le produit d’un Hermite bienveillant et sage, qui nourrit un esprit sensible broyé par l’injustice du monde.
Un casting d’orfèvre dans un écrin de ténèbres
Jacob Elordi vole littéralement le film. Le travail de transformation physique est stupéfiant – neuf mois de préparation après le départ d’Andrew Garfield ont abouti à une créature qui évoque les illustrations classiques tout en possédant une présence absolument contemporaine et typique de l’univers de son réalisateur. Elordi transcende le maquillage pour livrer une performance d’une humanité déchirante. Ses yeux, seule partie vraiment visible de son visage et sa voix rauque, deviennent le miroir d’une âme en quête désespérée d’amour et de reconnaissance.
Mia Goth, dans le rôle d’Elizabeth, incarne une féminité tout en retenue et en non-dits. Elle est la lumière que Victor ne peut plus voir, aveuglé qu’il est par son obsession. L’actrice, habituée des rôles dérangeants, trouve ici une élégance gothique qui ancre le film dans son époque victorienne.
Christoph Waltz et le reste de la troupe (Lars Mikkelsen, David Bradley, Charles Dance) apportent une gravité shakespearienne nécessaire à ce type de tragédie. Chaque acteur semble conscient de participer à quelque chose d’important et leur jeu collectif élève le matériau au rang de grande oeuvre cinématographique.
Un film-cathédrale
La production du film témoigne d’un perfectionnisme obsessionnel. Les décors entièrement construits – du laboratoire de Frankenstein au navire du Capitaine Walton – possèdent une matérialité tactile qui s’oppose aux green screens aseptisés du cinéma contemporain, chose rare notamment pour la plateforme qui produit le film.
On sent la pierre, le bois, la rouille. Le tournage entre Toronto, l’Écosse et l’Angleterre a permis de capturer des paysages désolés, des landes balayées par les vents qui sont autant de projections des tourments intérieurs des personnages.

Frankenstein respire une atmosphère gothique, la fascination romantique pour le sublime et le terrible, pour les ruines et les tempêtes, pour tout ce qui dans la nature dépasse et écrase l’humanité, à l’image des personnages.
La musique d’Alexandre Desplat, compositeur habituel de Guillermo del Toro, tisse une musique pour le film d’une mélancolie bouleversante. Loin des grandes envolées et mélodies horrifiques, Desplat compose une œuvre douce, féerique, intimiste, qui souligne la solitude fondamentale des protagonistes. Ses thèmes, construits autour de quelques notes baroques répétées comme une obsession, collent à la peau du film et ne vous quittent plus.
Le prix de l’immortalité
Le Frankenstein de Guillermo del Toro n’est pas qu’une simple adaptation de plus. C’est un film-testament, l’aboutissement d’une vie de cinéaste et de réflexion sur ce que signifie créer, enfanter, aimer et perdre. Del Toro réussit un tour de force rare : faire d’un mythe connu réinventé à foison quelque chose de neuf, de personnel, de viscéralement émouvant, voire hypnotique, mais surtout fidèle à l’œuvre originelle.
En filmant Frankenstein comme une tragédie familiale plutôt qu’un film d’horreur, le cinéaste mexicain rend au récit de Shelley toute sa puissance philosophique. Il nous rappelle que le vrai monstre n’est pas celui qu’on croit, que la vraie horreur naît du refus d’amour, de l’incapacité à reconnaître l’autre comme son semblable.
Del Toro signe ici un nouveau chef-d’œuvre en prise de vues réelles. Un film qui parlera au cœur des spectateurs, et qui hantera longtemps après la fin du générique. Un film qui vous rappelle la raison même du cinéma : donner forme aux monstres qui nous habitent, et peut-être, en les nommant, les apprivoiser un peu.
Frankenstein Bande annonce Netflix
Crédit photos : © : Netflix
























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