Et non, ce n’est pas parce que Bran est Roi de Westeros (quoi que ça n’aide pas)… Retour sur une saison de Game of Thrones source de toutes les colères…
Tous les hommes doivent mourir, mais toutes les séries aussi. Ce 19 mai, la chaîne américaine HBO a diffusé « The Iron Throne », ultime épisode d’une épopée lancée il y a presque une décennie.
Et tandis que certains fans célèbrent ce qu’ils considèrent être la conclusion magistrale de la meilleure série de l’histoire, d’autres sont beaucoup plus mitigés et détruisent la série à coups de critiques acerbes pour se sentir un peu mieux. Sur la Toile, ils sont des milliers à crier au gâchis, au scandale, déplorant une fin facile et illogique faites de choix bancals et d’arcs narratifs avortés.
Frustration
Sur les réseaux sociaux, sur les sites spécialisés, Game of Thrones déçoit. La frustration est telle que les fans ont même mené leur combat jusqu’au site Change.org. Sur la plateforme de pétitions en ligne, un internaute du nom de Dylan D. a lancé une pétition directement adressée à HBO. Son vœu ? Rassembler assez de mécontents pour que la saison 8 de Game of Thrones soit réécrite par des « scénaristes compétents ».
Une initiative bien naïve, presque risible, mais qui fait pourtant son effet. A ce jour, 1,3 millions d’internautes ont déjà signé la protestation. Un rassemblement d’une ampleur jamais atteinte sur la Toile pour une cause de cette nature.
Pourtant, la colère des fans n’est sans doute pas vraiment justifiée. Certes, David Benioff et Dan Weiss ont fait des erreurs. Certes, le coup de folie de Daenerys (Emilia Clarke) a été mal amené. Certes, l’arc de rédemption de Jaime (Nikolaj Coster-Waldau) n’a pas eu la fin méritée. Certes, il y avait probablement mieux que Bran (Isaac Hempstead-Wright) pour gouverner Westeros…
Mais Game of Thrones reste une série, et une telle colère (au point d’en oublier le respect de l’équipe de la série) reste injustifiée. Le cerveau s’est donc interrogé sur les véritables raisons d’une telle explosion de négativité de la part des fans. Et la vérité, c’est que leur colère (et la nôtre, on avoue) n’aurait rien à voir avec la qualité des derniers épisodes. Elle serait en réalité le reflet de l’une des étapes du deuil. Le deuil d’une série, tout d’abord, mais de beaucoup plus.
Les héros réduits en cendres
De Jésus à Hercules, en passant par Luke Skywalker ou Frodon Sacquet… Depuis la nuit des temps, le héros gagne. Les héros gagnent, les vilains perdent. Et lorsque les héros ont le malheur de perdre, ils tombent justement en ce qu’ils sont, en héros.
Pourtant l’héroïne qu’était Daenerys Targaryen n’est pas tombée en héros. Elle a laissé derrière elle son héroïsme pour devenir la Mad Queen, destructrice de Port-Réal et la meurtrière de milliers d’âmes innocentes. Daenerys l’héroïne, est morte avant même de mourir, et jamais une telle héroïne aussi charismatique n’était ainsi tombée dans la pop culture ( coucou le syndrome Trinity!).
Et même si on aurait pu le voir venir avec Game of Thrones, on ne peut s’empêcher d’en souffrir. Il est loin, le voyage du héros salvateur. Loin, le héros qui gravit, le héros qui se bat, le héros qui vainc, et qui sauve.
Codes brisés
Game of Thrones n’a jamais suivi un schéma standard ou les codes attendus d’une série. Dès son plus jeune âge, la série s’est débarrassée de ses héros, un à un, sans jamais privilégier ses personnages sous prétexte qu’ils étaient « indispensables » à l’histoire. Lorsque Ned Stark (Sean Bean) était considéré comme le héros, GOT lui a coupé la tête. Lorsque son fils Rob (Richard Madden) l’a remplacé, GOT l’a criblé de flèches. Mais en dépit de tout cela, les fans de la série n’ont jamais cessé de croire en la victoire de leurs héros. Quelques jours avant le final, la plupart des sondages indiquaient encore que Daenerys Targaryen et Jon Snow avaient, selon les téléspectateurs, le plus de chances de s’installer sur le Trône de Fer. Mais il n’en est rien, parce que Game of Thrones ne fait rien comme tout le monde.
Et c’est en cela, que le public doit désormais faire son deuil. Après des années de spéculation optimiste (malgré les mises en garde), des années d’espoir, les téléspectateurs doivent désormais faire avec l’idée que l’histoire ne finira pas nécessairement bien pour tous.
Que Daenerys Targaryen n’est ni Luke Skywalker, ni Harry Potter, et qu’aucun Avenger ne viendra sauver l’Annihilation de Westeros. Daenerys Targaryen et Jon Snow, les héros de Game of Thrones, ont perdu ( Enfin… Jon est encore en vie lui…). Il va falloir s’y faire. Il va falloir faire son deuil du happy ending pour ceux qui le méritaient ou non. Mais ça énerve.
Une icône brisée
Et la colère n’est pas seulement provoquée par la perte de Daenerys. Elle est nourrie par sa mort, oui, mais aussi et surtout par la mort de tout ce qu’elle représentait.
Introduite à l’écran le 17 avril 2011, la Mère des Dragons s’est imposée, ces dernières années, en véritable icône de la Pop Culture, symbole inébranlable d’empowerment et d’un féminisme à l’époque encore très timide à la télévision.
Brillante par sa puissance, sa complexité, sa détermination, Daenerys Targaryen est un personnage encore jamais vu à la télévision. A elle seule (quoi que grandement aidée par Arya), elle était la preuve que la femme pouvait vaincre, régner, conquérir, et pas seulement avec douceur et bonté, mais avec autant de hargne et de férocité que n’importe quel leader masculin. Cerseï aussi prouvera que la hargne féminine d’une antagoniste comme elle, brise certains monopoles dans ce secteur aussi.
Valeurs universelles
En parlant de bonté, la Mère des Dragons brillait également par ses valeurs. Frappée plus bas que terre à de nombreuses reprises, Daenerys s’est toujours relevée. Mieux, elle a fait de ses faiblesses ses forces, et a transformé les injustices dont elle-même était la cible en causes de changement. Elle a brisé les chaînes, rassemblé les opposés, appris à pardonner.
Elle a rêvé d’un monde meilleur jusqu’au bout de l’intrigue peu importe le caractère qui a changé. Et elle l’a créé. En tout cas jusqu’à l’épisode 5, où en seulement quelques secondes, la Khaleesi en qui tous croyaient est devenue la Mad Queen.
Avec elle s’en est allée la perspective de voir une femme conquérir à Westeros, et conquérir comme il faut. Avec elle est morte l’idée qu’une femme pouvait gagner sans un homme. Pire, est remontée l’idée qu’une femme peut devenir folle à cause d’un homme. Et que de tout façon cette intrigue allait être au service des hommes ( Vive le syndrome Trinity).
Certains diront que les signes étaient là, que Daenerys a toujours été destinée à devenir la Reine Folle. Mais quand même. Pas facile de faire un trait sur l’un des plus grands personnages féministes de l’histoire du petit écran. Pas facile du tout.
Quand la politique s’en mêle
Et le pire, dans tout cela, c’est peut-être que le monde a perdu Daenerys Targaryen au moment où il avait le plus besoin d’elle. A l’heure où la violence est partout, où la politique est bancale, où aux Etats-Unis, les femmes souffrent encore de nouvelles lois restrictives compromettant leurs libertés, le monde avait besoin de Daenerys Targaryen.
Le monde avait besoin d’une victoire, même fictive, de l’idée qu’une femme peut gagner, et que les valeurs de liberté et de tolérance peuvent l’emporter sur le reste, et que le pouvoir ne mène pas nécessairement à l’ivresse et la folie. Au lieu de ça, le monde a eu droit à la violence, la mort et la naissance d’un nouveau tyran au discours nourris de mensonges. On comprend que le monde soit en deuil. Et a fortiori, en colère.
L’adieu à Game of Thrones
Enfin, il est évident que la colère des fans est en partie provoquée par le deuil de Game of Thrones elle-même.
Présentée au monde il y a 8 ans, la série médiévale-fantastique s’est peu à peu immiscée dans le quotidien des sériephiles du monde entier, ainsi que dans celui de ceux qui n’avaient jamais vu une série de leur vie. En 2011, le premier épisode de la série n’avait attiré que 2,22 millions de téléspectateurs.
Ce 19 mai 2019, ils étaient 19,3 millions à suivre l’épisode au même moment. Et ce chiffre ne représente que l’audience états-unienne. C’est dire à quel point Game of Thrones est devenue une part importante de la vie des gens. Elle s’est introduite dans les salons, dans les chambres, dans les trains, dans les conversations… Game of Thrones faisait partie du monde, littéralement. Et c’est peut-être pour ça que les effusions de colères entre les deux clans de fans, les déçus et les satisfaits, peuvent être aussi violentes, et hors normes.
Rest in Peace
Car depuis le lancement de la série, des centaines de bébés ont reçu des noms inspirés par la série. Rien qu’en 2018, 171 petites filles américaines ont été baptisées Daenerys. D’autres s’appellent également Arya, Sansa, Theon ou encore Tyrion, et porteront ces prénoms jusqu’à la fin de leurs jours. Il n’est donc pas si surprenant que cela que le monde ait du mal à dire adieu à Game of Thrones, et doivent en faire le deuil.
Le deuil ne se fait pas aussi facilement, surtout quand on a eu l’impression d’avoir été violemment volé de choses qu’on aurait dû voir, pour mener à l’épilogue que nous connaissons tous. Une mort, aussi violente, même si annoncée depuis un an et demi, bien évidemment qu’elle est douloureuse, dans ces circonstances.
Douloureuse et inévitable. Si toutes les étapes ne seront pas franchies ou atteinte rapidement, autant embrasser la plus naturelle et celle qui vient tout juste après le choc, pour certains spectateurs : à savoir la colère.
Et puisque la colère est la seule étape du deuil à pouvoir être facilement exprimée sur les réseaux sociaux (on ne va pas tous se mettre à chialer), il fait sens qu’elle soit l’émotion la plus répandue ces derniers jours. Que ce soit du côté des satisfaits qui ne comprennent pas la déception de certains, ou des insatisfaits qui expriment leur mécontentement.
N’empêche, il va quand même falloir se reprendre. Dans le fond, Game of Thrones ne mourra jamais vraiment. Daenerys restera l’icône qu’elle est, et Bran… Bon, Bran sera toujours le Roi de Westeros. Mais ça, il n’y a plus qu’à tirer son épée, plier le genou et l’accepter.
Crédit photos ©HBO
Connecte tes Neurones à Brain Damaged sur