Dernier bilan sur la conclusion plus pop-corn qu’épique pour l’une des séries les plus marquantes de la Télévision : Retour sur le final et la dernière saison de Game of Thrones, un carnage sans précédent pour une fin pas si amère que ça. Critique (spoilers)
Cette nuit, HBO et OCS en France ont diffusé le dernier épisode de la série la plus plébiscitée de tous les temps : Game of Thrones.
Une série de renom, qui aura été un avènement et véritable culte populaire. Un produit de rassemblement intergénérationnel et inédit jusque-là. Une série qui réussit à réunir ses fidèles lors de sa diffusion au fil des saisons en simultané partout dans le monde, conquis par la complexité de la fresque narrative adaptée de l’imagination de l’auteur à l’origine de ce succès. Un succès littéraire, mais aussi télévisé, signé George R.R. Martin.
Game of Thrones vient de tirer sa révérence dans un final loin de ce qu’on a vendu depuis un an et demi, ni doux, ni amer…ni doux-amer. Un fin qui se voulait nihiliste après l’épisode 5 et ce qu’il présageait, pour in fine, ne pas l’être du tout.
Un final à l’image des spoilers que beaucoup ne voulaient pas croire, qui ont fuité il y a quelques semaines. Sans surprise, ces spoilers se sont réalisés, favorisant la famille préférée des spectateurs : les Starks. Retour sur une saison 8 de Game of Thrones, de feu, de flammes, de dragons et autres séquences de blockbuster, mais surtout : de déception – pour un véritable carnage sans nom.
Série de niche, érigée culte populaire
En 2011, elle n’était qu’une série de niche, vu son genre. En 2013, elle devenait l’une des séries les plus choquantes et galvanisantes de la télévision, notamment grâce à son Red Wedding, d’une surprise et violence inégalée, pour un véritable ascenseur émotionnel comme on en voit rarement à la télévision. Une série surexposée, au point que tout le monde connaît désormais Game of Thrones, sans même l’avoir vu.
Avec sa narration maîtrisée, ses effets de surprises, sa production inégalée, une intrigue Shakespearienne sur fond politique, il n’était pas étonnant que Game of Thrones devienne le culte qu’elle est devenue ces dernières années, adulée de par le monde, pour une série comme jamais vue en télévision jusque-là.
Melting pot de genre sur fond de fantasy
Un pari réussi pour une série de fantasy, genre décrié et inattendu sur HBO. Pourtant elle aura été une série fédératrice bien au-delà de la fantasy pour une raison loin de sa production sans faille : la qualité narrative de son intrigue, des personnages extrêmement charismatiques et profonds, avec rondeur et intelligence dans leur construction, que ce soit en backstory ou motivations.
Game of Thrones et son intrigue tentaculaire, avec des personnages multiples, tous embourbés dans une histoire plus politique et médiévale inspirée par la guerre des Deux Roses pour l’auteur de Game of Thrones, étaient l’atout séduction principal de la série, qui pourtant pouvait faire fuir à son pitch. Game of Thrones, un véritable melting-pot de genre sur fond de fantasy qui a permis de séduire même ceux qui décrient le genre ou les plus récalcitrants aux mondes imaginaires.
Série de blockbuster populaire
Au fil de sa gloire, Game of Thrones sera devenue une vraie série de blockbuster. Une série écrasante. Un mastodonte de la télévision, pour un événement annuel qui dépasse souvent l’entendement, déchaîne les foules et les internets, ainsi que ceux qui la regardent. Une série de tous les records toujours servie dans une qualité indéniable, une mise en scène de plus en plus folle, une réalisation audacieuse pour la télévision, ainsi qu’une production toujours aussi léchée, des costumes à la musique en passant par les effets spéciaux.
Jusqu’en saison 6 ou 7. Prise dans la machine infernale de la gloire et du culte, Game of Thrones s’est oubliée. Portée à l’origine par les romans dont elle s’inspire et sans son auteur impliqué dans l’écriture ou en conseil (puisqu’il a arrêté sa collaboration avec les créateurs depuis la saison 4), la série s’est éloignée du matériel originel, posant les bases de sa dégradation au fil des épisodes et de la suite manquante, puisqu’en cours d’écriture par Martin.
Vagues indices et clés pour la conclusion
Si George R.R. Martin avait offert quelques clés concernant la fin potentielle de la série et la véritable identité d’un certain personnage, signification du prénom d’un autre, ou mort d’une héritière violente, les showrunners de la série, David Benioff et Dan Weiss (que le Cerveau surnommera « les opportunistes » à partir de maintenant) n’ont pas réussi à tenir le mas d’un navire beaucoup trop complexe à faire voguer sur les flots sans son capitaine à la barre. Un navire qui a lentement chaviré avant d’échouer depuis la saison 7, pour mieux sombrer dans les profondeurs abyssales de la facilité, des ellipses et du grand spectacle, dans cette saison finale de Game of Thrones .
Une saison 8 plus catastrophique que sa précédente saison, sans queue ni tête, tenue majoritairement par le fan-service, des dialogues sans intérêts et risibles, des séquences miroirs à la saison 1 (c’est la fin, il faut rappeler le début de la série visiblement autant que possible) ainsi que l’envie de conclure au plus vite cette saga hors-normes, peu importe les conditions de cette conclusion.
Fade, sans âme et grotesque
Et ce final est à l’image de la saison 8 de Game of Thrones : un final fade, sans âme ou émotion, servi par une narration sans substance et mécanique ou devinable. Oui, l’intrigue de Game of Thrones présageait la mort inévitable d’une certaine Mère des Dragons depuis plusieurs saisons, des mains d’un autre héros de l’intrigue, qui survivra bien évidemment à cette dernière. Une fin suggérée par le titre originel de la saga « A song of Ice and Fire », ou en saison 2 lors d’un songe. Un sort logique quand on sait que Game of Thrones est une histoire régie par un thème principal : le pouvoir et les méfaits du pouvoir dans les mains des élites.
Si le thème principal a été respecté, puisque visiblement l’auteur de cette saga melting-pot, entre récit historique fantasy, politique et tragédie, a révélé l’issue potentielle de son histoire aux showrunners, son exécution n’aura pas été à la hauteur de la résolution peut-être suggérée par Martin. La conclusion superficielle et grotesque de la série (digne d’une télenovela argentine dans certaines scènes, notamment dans ce final) prouve qu’une colonne vertébrale ne suffit pas pour maintenir un corps aussi complexe que peut l’être celui de Game of Thrones.
La Mad Queen caricaturale
Oui, Daenerys a été construite comme un personnage noble enclin à la dérive et l’ivresse d’une destinée ou d’un pouvoir comme celui qu’elle a acquis au fil des saisons de Game of Thrones. Mais dans la vision des créateurs de la série, David Benioff et Dan Weiss, cette ivresse se résume par la perte de sa conseillère la plus proche et sa solitude à Westeros, notamment suite à la révélation de l’identité de Jon et un rejet de la part de ce dernier. Ils argumenteront ce revirement soudain, en arguant que par le passé, elle a exécuté des sujets sans complexes ni remords, qu’elle a toujours eu un mauvais fond… mais elle n’est pas le seul personnage à l’avoir fait quand on y réfléchit réellement (souvenir d’un Jon Snow qui assoit son autorité et exécute un membre de la garde à Castleblack quand on lui résiste, pour ne citer qu’un exemple parmi beaucoup d’autres).
Une ivresse caractérisée dans cet épisode final par le discours de cette dernière, nourri par un « manque d’amour » qui justifie ses actes atroces auprès de ses troupes et montre qu’elle souhaite continuer de conquérir les peuples, quitte à les décimer comme elle l’a fait quelques heures plus tôt. Un revirement soudain pour un personnage qui souhaitait se battre et risquer sa vie pour sauver les vivants de la menace des Zombies des glaces, deux épisodes plus tôt.
L’ivresse du pouvoir aura été aussi soudaine qu’un voyage Winterfell- Port-Réal en saison 8 pour la Reine Targaryen, réduite à une caricature de folle hystérique prête à tout pour venger ou punir ceux qui ne lui donnent pas ce qu’elle veut. Ouch ! Que Daenerys passe du côté obscur est un choix intéressant et justifié, tant qu’il est exécuté avec cohérence et finesse. Ce qui n’est pas le cas ici…
Syndrome Trinity Activated
Mais le sort de Daenerys, ou sa descente dans la folie Targaryen d’un claquement de doigts (ou coupure de tête c’est comme on veut) n’est pas le seul problème de cette conclusion de Game of Thrones. Dans un précédent article, le Cerveau analysait les personnages de la série en remarquant que le syndrome Trinity était prévisible depuis la saison dernière.
Après avoir éliminé les personnages les plus dangereux de l’intrigue, féminins de surcroît, réduit Jon à son destin honorable : celui de devoir tuer la Mad Queen pour le peuple (seule réelle décision prise en 8 saisons, enfin pas vraiment, puisqu’elle a été soufflée par Tyrion), il rejoindra la troupe des grands vainqueurs de l’intrigue des showrunners de la série : « Les pénis » comme le dit si bien Varys dans l’épisode 4.
Pour une série qui avait proposé des personnages féminins bad-ass et tout en nuances, comme rarement vues jusque-là, le revirement soudain, sans réélle logique, pour mettre les hommes au pouvoir est plus que violent. Seule Sansa ressort avec les honneurs, mais à quel prix pour le personnage (qui n’est que le résultat d’un viol pour les scénaristes, chose honteuse)? Une pâle copie d’une certaine femme détestable bien connue de cet univers.
Conclusion politique
Bran, Roi des 6 Royaumes, par choix honorable comme présenté dans l’épilogue et dans les mots de Tyrion, est la plus grosse incompréhension de ce récit. Celui qui est censé être hors de ce monde et créature mystique désormais – malgré ses réticences depuis toujours à être un héritier Stark – est érigé Roi, soi-disant par choix logique et d’honneur… pour le peuple (insérer rires ici).
In fine, il ne sera que le pantin de Tyrion, à nouveau Main du Roi. Il n’assiste même pas au premier conseil en fin de cet épisode. Une sorte de retour à la case départ pour l’un des personnages les plus aimés de Game of Thrones, faisant ce qu’il sait faire de mieux : gouverner un Royaume malgré son handicap et avoir été rejeté par son clan pour son infirmité. Joli Happy End numéro 1 pour les Stark et le Nain le plus détesté de Westeros.
Starks For The Win
L’autre Happy End favorisera toujours les Stark : Sansa sera proclamée Reine du Nord, l’imposant aux élites présentent lors du conseil en épilogue par elle même. Elite qui décidera, comme 8 saisons plus tôt, de l’avenir de ces royaumes sans ceux qu’ils dirigent, pour bien évidemment garder le pouvoir. Et visiblement cette élite aurait, selon elle, « brisé la roue » du pouvoir… (faudrait expliquer comment, quand des élites continuent de se partager ce même pouvoir comme depuis toujours…)
Des élites qui balayent du revers de la main l’idée de la démocratie participative de Samwell Tarly (d’une logique implacable quand on analyse le récit de Martin), proposant que le peuple choisisse son dirigeant. Pour des leaders soi-disant concernés par le peuple, de Sansa à Tyrion, jolie blague et incohérence de la part des scénaristes.
Une forme de démocratie serait instaurée, Bran ne pouvant procréer visiblement : les élites choisiront leur Roi à main levée. Pour mieux revenir à la case départ, avec une gouvernance comme nous l’avons connu, dans les mêmes codes et avec les mêmes postes au pouvoir. Pour des personnages qui souhaitaient un monde meilleur sans carnage et sans roue des élites, sacré serpent qui se mord la queue, non ?
Une fin plutôt heureuse et facile
Jon, malgré son acte meurtrier bien qu’honorable (pas vraiment son choix puisque soufflé, voire convaincu par Tyrion, le meilleur marionnettiste de Westeros, disons-le une fois de plus – jusqu’au bout Jon aura été un personnage qui subit son destin d’ailleurs…) finira lui aussi Roi du Nord, mais du Grand Nord aux côtés du peuple qui lui aura été fidèle depuis le début : les Sauvageons. Quant à Arya, la jeune femme devient comme elle l’avait rêvé en saison 5 avec Lady Crane : une aventurière à la recherche d’une découverte au-delà du monde qu’elle connait, à l’Ouest de Westeros : Arya Stark / Christophe Colomb, même combat !
Martin nous avait vendu une fin douce-amère. Une fin inspirée par la saga au cœur de ses inspirations : Le Seigneur des Anneaux. Une fin qui ne serait pas qu’un Happy End. Mais à vu de ce final et de cette saison expéditive, le Cerveau ne note aucune amertume si ce n’est celle du spectateur peut-être.
Les Stark, héros martyrisés, sacrifiés, torturés, éparpillés et volés de leur domaine sont au final les grands « winners » du jeu des trônes, ainsi que Tyrion, le grand favori des spectateurs et lecteurs de la série. Pour l’étonnement et la complexité digne d’une série de cet acabit… (soupir). Même Sam, censé être l’auteur de cette saga pour un méta à l’image de son homonyme dans le Seigneur des Anneaux, ne sera pas celui qui signe l’épopée de cette histoire que nous venons de voir, pour les archives de ce nouveau royaume, comme il a été suggéré dans les romans ou même la série, la saison dernière… (*sigh*)
Voyage du héros classique
Certes le voyage de ces héros aura été semé de sacrifices, d’embûches et de douleurs. Comme tout voyage du héros. Mais leur épilogue est plus qu’heureux, vu ce final qui les érige Rois et Reines de tous les territoires de l’intrigue maintenant que leur voyage initiatique est terminé. Arya pourrait même finir Reine d’un territoire qu’elle découvrirait, en conquérante guerrière telle que nous la connaissons.
Les grands perdants de cette intrigue télévisée resteront, sans nul doute, les spectateurs, ainsi que les personnages réduits au rang de stéréotypes au cours des dernières saisons de Game of Thrones, avant le carnage narratif de cette ultime, tel que venons de le voir. Une saison où le fan service et l’ellipse sont légion, en dépit de la cohérence du récit initial.
Épopée complexe bazardée
Game of Thrones, la saga littéraire, est une épopée tentaculaire bien plus complexe qu’une simple résolution comme nous venons d’en être le témoin.
La série, à défaut de faire honneur à l’intrigue des romans dont elle s’est éloignée, a fait le choix d’omettre des choses importantes (comme un certain Targaryen caché dans la Compagnie Dorée, qui n’avait sûrement pas que pour but de voyager à Westeros pour brûler sans même se battre, ou le retour de la Mère Stark, ainsi que les prophéties autour du Prince Promis et de la menace qu’il doit repousser). Pour mieux embrasser le grand divertissement sans vergogne en dépit de la narration. Le problème est qu’une série repose avant tout sur son intrigue et écriture narrative. Surtout Game of Thrones.
Un divertissement écrit sans réelle réflexion et cohérence vis-à-vis du matériel adapté ou de l’intrigue lancée dans les premières saisons. Un divertissement animé par le simple but de surprendre les spectateurs comme lors des grandes scènes imaginées par l’auteur de la saga Game of Thrones, de la mort de Ned Stark au Red Wedding ou Purple Wedding.
Scènes mythiques oubliées
Des séquences cultes qui resteront dans les annales de la télévision pour les émotions inattendues qu’elles ont pu procurer au-delà de la surprise. La surprise (facile) aura été l’enjeu principal de cette dernière saison de Game of Thrones, ainsi que le divertissement hors normes dans des batailles de surenchère visuelles. A défaut d’être l’intrigue et sa cohérence, ou l’émotion.
Une intrigue qui aura été balisée et expédiée, pour mieux permettre aux scénaristes de clore Game of Thrones, pour mieux s’engager dans leurs projets futurs (amis fans de Star Wars, le Cerveau vous souhaite bien du courage).
Carnage
La grande série de tous les records nous aura quitté dans la douleur, sans larmes, sans âme, ni émotions ; et sûrement avec des rires désabusés ou étonnés pour certains. Loin de ce qui nous aura réunis devant les écrans. Loin des intrigues Shakespeariennes, des personnages charismatiques et complexes, que l’on aime détester ou que l’on aime pour leurs valeurs. Loin de la qualité narrative qui primait sur la superproduction qu’est devenue Game of Thrones.
Et c’est bien dommage. La plus grande série de cette décennie méritait mieux, beaucoup mieux. Game of Thrones méritait mieux qu’une saison finale expédiée, cliché et aussi creuse que celle que l’on vient de voir, privilégiant l’explosion visuelle (pas souvent réussie d’ailleurs) à l’explosion narrative, alors que son essence tient sur une intrigue plus psychologique et politique.
Ce n’est visiblement pas que l’avis du Cerveau, puisque plus d’un million de spectateurs anonymes ont déjà exprimés leur mécontentement eux aussi. Les showrunners ont voulu sûrement offrir une fin pensant que les spectateurs n’étaient pas aussi intelligents que l’intrigue complexe de Game of Thrones. Des spectateurs qui voulaient sûrement que des souffles de dragons, des batailles et du sang.
Ils ont, sans nul doute, prouvé qu’ils n’étaient pas à la hauteur de leur public, car le spectateur est toujours plus malin qu’on ne le croit souvent… Bien plus qu’ils ne l’imaginaient, visiblement…
Crédit photos : ©HBO
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