Samedi 18 juin dernier, le magazine HEY ! fêtait joyeusement son 6ème anniversaire à l’Arts Factory . Pour l’occasion, le Cerveau est allé à la rencontre de Anne et Julien, créateurs et rédacteurs en chef de la revue, pour revenir sur le parcours de leur magazine hors-norme.
Qui a dit que toutes les revues d’art se ressemblaient ? Certainement pas Anne et Julien ! Commissaires d’exposition, artistes, auteurs, metteurs en scène ; le duo œuvre dans l’avant-garde artistique et la promotion de l’art figuratif sous toutes ses formes depuis 1986, analysant les subcultures qui les passionnent tant. Une passion, un savoir faire et une connaissance inégalable du milieu de l’art qui les a conduits à mettre en place une revue à leur image, HEY ! modern art & pop culture, qui paraît de manière trimestrielle sous le Label 619 d’Ankama, dont nous avons déjà parlé dans un précédent article.
Spécialistes des arts en marge et outsider pop, le commissariat d’Anne et Julien, notamment responsable de la très belle exposition Tatoueurs Tatoués qui s’était tenue au musée du Quai Branly entre 2014 et 2015, est reconnu pour son habilité à dévoiler de nouveaux talents et ouvrir des champs d’exploration ignorés jusque-là. HEY ! est ainsi devenue, au fil des années, une référence en matière d’art figuratif. Une revue à laquelle font écho des expositions uniques en leur genre au musée de la Halle St Pierre de Paris, en 2011, 2013 et 2015.
En seulement 6 ans d’existence, la revue d’art bilingue français/anglais HEY! créée par Anne et Julien a ouvert une véritable brèche en présentant un panorama d’œuvres pop et singulières : peinture, bande dessinée, sculpture, illustration, travaux d’atelier d’artistes tatoueurs ; elle est aujourd’hui la seule en Europe à proposer un tel contenu spécifique. Véritable manifeste pour l’art figuratif autonome, autodidacte et souvent ignoré du grand public, HEY ! a su devenir une revue proprement incontournable.
Mais qui de mieux que les créateurs eux-même pour parler de leur revue au contenu si particulier et original ? Le Cerveau vous propose de découvrir la Brainterview de Anne, rencontrée à l’occasion des 6 ans de la revue ; un anniversaire fourmillant d’activités et d’œuvres sonores, photographiques, vidéo et éditoriales originales qui avait lieu la semaine passée à la galerie Arts Factory, située au 27 rue de Charonne du 11ème arrondissement de Paris.
Quand j’ai eu 6 ans, j’entrais en primaire, et ma mère ne cessait de me dire « maintenant, tu es dans la cour des grands ! ». Alors, à l’occasion de vos 6 ans, j’ai envie de vous demander : c’est comment, la cour des grands ?
Tout d’abord, 6 ans, c’est très dur à tenir ! Et j’en suis donc très reconnaissante. Quelque part, il y a du merveilleux dans cette histoire. Beaucoup de gens attendaient cette revue. Aussi, il n’y avait pas de désir particulier de la faire, mais plutôt une nécessité.
Avec Julien, on est sur le terrain depuis 30 ans ; la création de HEY ! s’est donc faite assez naturellement. La conséquence de tout cela, c’est que dès les premiers numéros, la revue a trouvé son public. On s’est rendu compte qu’il y a beaucoup de gens comme nous, amoureux de cette frange de l’art qui sait se défaire des codes ; bien que HEY ! mélange malgré tout des univers plus mainstream et d’autres plus novateurs. Avec le premier numéro, on ne faisait qu’exprimer ce que l’on ressent dans la vie, avec la volonté d’exposer un art sans expérience, incompris.
Dans cette entreprise, notre grande connaissance du monde de la presse, dans lequel nous avons travaillé, a été un réel atout, car les difficultés inhérentes à la création d’une revue comme HEY ! ne nous étaient pas inconnues.
Mais, malgré le fait qu’après les deux premiers numéros, les lecteurs étaient ravis, ils nous disaient tous : « Vous ne tiendrez jamais ! HEY ! est beaucoup trop riche, multiple. ». Pour moi, cette réaction était assez étrange… En effet, depuis que j’ai 14/15 ans, je note absolument tout ce qui me plaît pour ensuite rechercher les artistes en question. Avec toutes ces références, on avait de quoi tenir beaucoup de numéros ! On s’est également rendu compte que la moitié de la population est, quelques part, artiste. Les gens, tous autant qu’ils sont, forme une source d’inspiration quasi inépuisable.
Ainsi, au bout de 6 ans, on peut dire que HEY ! signe le grand retour de l’art figuratif, dont nous sommes les pionniers. Selon moi, la revue dure car elle a un fondement historique et artistique réel. Le fait d’avoir toujours travaillé dans les avants-gardes nous a conduit à explorer des choses en marge de ce à quoi les gens s’attendent. Pour autant, on ne cherche pas à êtres des pionniers, on le devient par la recherche, la curiosité.
Plus encore, depuis 3 ans, on fait face à un véritable appel d’air du côté de l’apprentissage des arts graphiques. Beaucoup d’étudiants en art viennent à nous, mais également des professeurs qui souhaitent transmettre notre expérience. Je pense qu’on a quitté définitivement l’avant-garde en terme d’art figuratif, car on bénéficie aujourd’hui d’une visibilité de plus en plus importante.
Il reste cependant un dernier bastion en terme de pouvoir : le marché de l’art. Or, de notre côté, toutes les formes d’art que l’on défend sont autonomes et ne répondent pas aux exigences de ce dernier.
Aujourd’hui, vous êtes la seule revue d’Europe à mettre en avant une culture pop qui sort des sentiers battus. Comment expliquez-vous que, malgré l’engouement pour vos productions et expositions, si peu de revues artistiques se lancent dans pareille aventure ?
À vrai dire, je ne me l’explique pas… C’est un fait. On est les seuls à proposer ce type de parution.
Il est indéniable que HEY ! est une revue difficile à faire. De la fabrication en elle-même aux tests de mise en scène… C’est 5 mois de travail, beaucoup d’amour et de soins.
Je pense que l’on évolue aujourd’hui dans un monde où tout va très vite – trop vite. Avec HEY ! et dans notre travail de manière générale, nous avons choisi de faire tout l’inverse, de prendre notre temps, d’aller en profondeur. Là encore, notre longue expertise sur le terrain nous a été très utile, autant que notre différence.
Je suis très curieuse, je l’ai toujours été. Mais, au-delà de ça, je cherche aussi à comprendre pourquoi j’aime telle ou telle forme d’art. Je suis toujours en train d’analyser. Ce sont nos rencontres et notre soif de découverte, notre ouverture d’esprit, qui fait de nous ce que nous sommes. Et qui m’a appris ça ? Moebius et Bizot.
Mais notre revue a aussi des raisons politiques et militantes. C’est un engagement quotidien. Nos valeurs vont à l’encontre de la façon dont la société veut que nous soyons. Tout geste n’a pas besoin d’être obligatoirement rentable ! Tout n’a pas besoin d’être instrumentalisé ! Ainsi, on créé nos propres valeurs. C’est très exactement ça qui est au cœur de notre travail avec HEY ! De prime abord, ce n’est pas rentable, et on y défend ce qui n’est pas monnayable. Chaque numéro de cette revue est, en soit, un manifeste sur l’art pour lequel on se bat.
HEY ! Est autant hors-norme dans son fond que dans sa forme : on a l’impression de visiter un cabinet de curiosité artistique à chaque nouveau numéro ; de lire un manifeste sur l’art dans la contre-culture. D’où vous vient cet engagement vis-à-vis de ce domaine à la fois si bouillonnant et si particulier ?
Très vite, j’ai été gênée par ce que me proposait l’école et les schémas sociétaux. Je sentais, sans arriver vraiment à le verbaliser, que je ne pourrais pas y appartenir.
Qu’est-ce que c’est, réellement, que l’autonomie et l’indépendance ? Et, ensuite, comment sortir de ce schéma ? Comment créer un environnement que tu peux épouser de tout ton cœur ? Ce sont des questions auxquelles j’ai dû réfléchir.
Chez moi, ça a bâti, d’un côté, une vraie radicalité, avec en face, un réel désir des autres, une valorisation de la différence. La différence, c’est une chose magnifique que la société cherche à annihiler. Et, au centre de tout cela, de la combativité. Ceux sont tout ces éléments qui forment le moteur du projet HEY !
Là dedans, la chose que j’ai pu réellement expérimenter, c’est que la beauté rend heureux. Alors, j’ai décidé de la rechercher et de vivre dedans. Pas dans la finance ou le commerce, pas dans l’instrumentalisation de l’autre, mais dans l’échange. Et la peinture : j’adore cette forme d’expression ! Je suis commissaire d’exposition, et chaque fois que j’en conçoit une, que je me retrouve face aux œuvres, que je les vois accrochées… Cette sensation est incroyable, énorme. Incomparable. Et il en va de même pour la musique. Pour moi, l’image est indissociable de la musique.
Dans HEY !, vous présentez régulièrement des artistes qui se sont formés seuls, loin des normes artistiques. Êtes-vous passé par un cursus artistique vous-même ?
Je n’ai aucun « cursus » artistique, je suis 100% autodidacte.
Vous êtes vous même auteurs, commissaires d’exposition, artistes, metteurs en scène … Y a-t-il encore des domaines que vous n’ayez pas exploré et dans lesquels vous aimeriez vous lancer ?
Pas vraiment. On est déjà sur beaucoup de fronts. Nos papiers, nos revues, nos livres, nos expositions ; ça, c’est nous. Ainsi que le spectacle, bien sûr. Au final, cette circulation est une évidence. Elle n’a de cesse de se renouveler et ouvre tellement de possibilités qu’elle nous laisse comblés.
Avec HEY !, vous avez fait le choix d’une revue bilingue. Quel en était la motivation ?
Pour nous, il s’agit juste d’une réponse à une réalité. Le premier numéro est paru en 2010 et a vocation à s’adresser à tout le monde. Ça nous est donc apparu comme une évidence. Si on pouvait la traduire en 3, 4, 5, 10 langues, on le ferait !
Vous êtes à la base d’expositions très suivies, notamment la récente et très réussie Tatoueurs Tatoués, dont vous étiez commissaires. Travaillez-vous en ce moment sur de nouveaux projets d’exposition? éditoriaux?
Pour le moment, il m’est difficile d’en parler. Mais ce qui est sûr, c’est que nous travaillons sur plusieurs projets d’expositions actuellement, ainsi que sur un prochain numéro hors-série, 4°, qui se présentera sous la forme livre d’art de 224 pages et mettra l’accent sur notre engagement écologique (sortie prévue le 14 octobre 2016 pour 39.90€).
En effet, la revue se veut profondément en lien avec le monde dans lequel elle évolue sans cesse. Or, depuis 6 ans, on voit s’accumuler un nombre croissant de travaux – peinture, sculpture, dessin – mettant en scène ou en avant la flore et la faune ; avec cette particularité de remettre non pas la civilisation mais l’être humain au centre du débat, interrogeant l’interrelation végétal – animal – humanité. Cette constatation révèle en outre l’énergie que placent les artistes défendus par HEY! dans un discours pictural écologique. Notre futur hors série 4° a donc pour but de rassembler des pensées et gestes artistiques différents autour du thème de l’écologie. Ce sera également l’occasion de poser une série de questions composées sur la base des développements formulés par la Charte de la Terre, adoptée définitivement en 2000 à Paris, aux artistes.
Crédits Image : ©DR
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