Batman & The Dark Knight Rises : L’Apologie

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Batman Outragé ! Batman Brisé ! Batman Martyrisé ! Mais Batman innocenté. Érigé en coupable, la presse relance le débat sur le pouvoir de la violence au cinéma et l’impact de The Dark Knight Rises dans cette histoire. Il est temps de défendre le cinéma et l’homme chauve-souris !

Batman est coupable et The Dark Knight Rises en est la cause première. Le crime perpétré par James Holmes, 24 ans, dans la petite ville d’Aurora lors de la projection du film The Dark Knight Rises, avec ses 12 morts et ses 54 blessés a relancé le débat de l’impact de la violence au cinéma, notamment celle des blockbusters américains, friands d’explosions et autres échanges de tirs d’armes à gros calibre. Débat qui ne cesse d’alimenter la presse digitale et papier. Quand certains dressent une analyse psychologique du super héros du film de Christopher Nolan d’autres reviennent sur certains meurtres qui auraient été inspirés par le cinéma, liens vérifiés ou tirés par les cheveux à plusieurs reprises et rarement confirmés par les coupables. D’autres tirent la couverture de leur magazine au simple titre de  Batman Assassin ?, avec un dossier dans sa publication papier revenant sur l’impact de l’image et la violence générée par cette trilogie et ses origines. Un article qui se veut comme une étude de fond pour un débat sous argumenté qui ne fait rien avancer. Comment rester de marbre face à la presse qui s’empare d’un fait divers afin de faire peur face au phénomène des super-héros de blockbusters qui prend de l’ampleur ?

Batman sur le banc des accusés

Quoiqu’on en dise, Batman vient d’entrer sur le banc des accusés. Et Télérama ne s’est pas fait prier pour lancer la polémique avec sa fameuse couverture de l’homme masqué. Dans cet article, pas une fois il n’est mentionné les antécédents psychiatriques de l’individu qui a perpétré cette tragédie. On préfère oublier que la folie à l’origine de ce massacre n’est autre que la folie d’un psychotique, d’un jeune homme mentalement instable, mal encadré ou suivi par son psychothérapeute, qui pourtant avait été alerté par l’état critique des propos de son patient. Une pathologie qui aurait eu du mal à prévenir les dérives de celui qui en souffre, aux allures extrêmement intelligentes, qui n’a aucun lien direct avec un film qui n’était pas encore sorti, puisque ce massacre prémédité a eu lieu à minuit, jour de sortie du film aux USA.

Si corrélation il y a avec l’univers de Batman et de Nolan, cela va s’en dire puisqu’il est au cœur des débats, c’est dans l’imaginaire d’une personne mentalement instable. Une personne qui s’est inspiré de la nemesis mythique de ce super héros. Ni plus, ni moins. L’instabilité psychopathique d’un sociopathe en puissance, qui aurait pu s’inspirer de tout autre personnage, réel ou imaginaire, religieux ou non afin de perpétrer ce crime. Mais quoi de plus simple pour vendre un papier que de surfer sur cette tragédie et relancer la polémique du danger de la télévision et du cinéma, voire des jeux vidéo, comme on aime à le faire ? Nourrir la peur de la ménagère, persuadée que ces nouvelles passions générées par la pop-culture sont bien plus dangereuses que celles issues de la culture de nos ancêtres. Blâme-t-on les Beatles pour les meurtres de Charles Manson ? Blâme-t-on les scénaristes des Lone Gunmen d’avoir inspiré les radicalistes religieux à l’origine du 11 septembre ? Les Fleurs du Mal pousse-t-il à la dépression et au suicide ?

Ecran = Danger

Là où l’article de Telerama apparait comme dangereux est dans la rationalisation d’un discours élaboré conjointement entre les trois journalistes qui l’ont composé. Des théories basiques souvent sans arguments, agrémentées à coup de métaphores ou références à d’autres films violents dans l’unique but de réduire la complexité du psyché humain au simple fait de regarder un écran. Une réduction qui pousse au sein de cet article à presque créer un lien de cause à effet entre Batman et la mort de Heath Ledger, grand consommateur de drogue avant tout, victime d’une overdose. D’après eux, tout en référant à d’autres confrères de la presse people qui bien évidemment se sont fait quelques sous sur la mort de l’acteur, Ledger aurait été victime de l’aura psychotique du personnage qu’il incarnait, amplifiée par sa surconsommation de drogue, d’où l’overdose. Bien évidemment, l’acteur et ses déviances ne sont pas la seule cause de sa mort. Le Joker y est forcément pour quelque chose, comme il l’a été pour James Holmes. Un cerveau malade ou assommé par la drogue n’aide pas quand on regarde un film. Cette théorie dangereuse propulse un personnage qui peut être lu sur plusieurs niveaux, que ce soit dans les comics où il a été imaginé pour la première fois, dans les Batman de Tim Burton, ou chez Nolan, au rang de personnage réel avec une influence vérifiée sur la population. Un personnage qui au-delà d’exister dans la réalité, en devient, si l’on suit la logique exposée dans ces articles, un personnage qui séduit tellement au point d’inspirer certains à commettre l’innommable.

L’idéologie de l’horreur

Selon ces idées préconçues, l’horreur vue dans les films et encore plus dans les films du genre, pousserait toute personne y étant exposé, sans même parler de surexposition, à être enclin à la violence. Ainsi, si l’on a le malheur d’avoir une prédilection pour le gore et l’horreur, il serait fort probable que les spectateurs soient sujets à perpétrer ces même horreurs dans la vie réelle et que le goût prononcé pour les genres macabres soit générés par les méandres d’un cerveau malade qui pourrait à tout moment basculer dans l’horreur lui aussi. Toute une génération a grandi avec le culte de la trilogie Scream, d’autres ne jurent que par Destination Finale, Orange Mécanique, Kill Bill ou la saga Saw. Combien de faits divers associés à ces œuvres ? Imaginer que le cinéma serait à l’origine des dérives de certains comportements humains est bien simpliste. Le Mal n’a pas attendu le 20ème siècle pour s’immiscer dans l’inconscient humain, encore moins Nolan.

Mythologie et cinéma

Mythologie nordique : dans son char tiré par ses deux boucs, Thor affronte les géants, M. E. Winge, 1872.

Les mots, le pouvoir des mots. On y mentionne aussi que le cinéma est au-delà des images, une histoire portée par des mots qui ont eux aussi un impact. Des mots, qui remplissent ces deux pages de Telerama, dans une rhétorique brillamment ficelée avec ses opinions portées en problématiques. Une rhétorique qui clairement emprunte le mythe de la République de Platon, transposant l’écran de cinéma et les films en lieu et place des ombres de la grotte. Ainsi, toute personne autour de nous serait capable de perpétrer un massacre aussi sanglant que celui de la tuerie d’Aurora, puisqu’exposé continuellement à des images de violence qui la banaliserait voire inspirerait ces pauvres pantins rêveur et ahurits. Que ce soit le cinéma ou le J.T, pour Telerama, c’est la même chose. Un débat presque aussi vieux que le cinéma des Frères Lumières qui oublie très souvent que le cinéma ou la télévision offrent aux spectateurs des mythes, souvent inspirés ou adaptés de l’histoire de l’homme, des arts, de la littérature, de légendes. Des mythes qui n’ont pas attendu un projecteur pour avoir leur impact sur le genre humain.

Le mythe a toujours fait partie de notre nature et est essentiel dans la construction d’un être humain, ou d’une communauté. L’Histoire de l’homme et le mythe ont toujours été indispensables à l’homme pour s’expliquer, se comprendre, évoluer et construire ce qui crée l’humanité. Comme l’explique l’écrivain Joseph Campbell, anthropologue et professeur d’université, dans Le héros aux milles et un visages : « D’un bout à l’autre du monde habité et de tout temps toutes les circonstances de la vie de l’homme ont été prétexte à la floraison des mythes et ce sont eux qui ont été la source vive d’inspiration de tout ce que l’esprit humain a pu produire ». Les mythes sont des «expériences significatives» des êtres humains, qui permettent à l’individu de se construire et s’inscrire au cœur d’une société. Et c’est bien pour cela que nous racontons à nos enfants des contes, aux morales évidentes, afin de les aider à se construire dès le plus jeune âge à travers le rêve et l’imaginaire. Un imaginaire qui inspire et instruit au-delà du simple fait de divertir. Que l’on veuille faire croire que le mythe peut pousser à la tuerie, peut être tangible, mais ce n’est pas son but premier. Le massacre dont nous en avons été témoins à Aurora peut être comparable à celui du 11 septembre, dans son origine ou mécanisme, mais blâmer Batman, l’imaginaire de Christopher Nolan avec The Dark Knight Rises, ou l’Islam est désigner un faux coupable, puisque religion et fiction n’en restent essentiellement pas moins que des mythes et non des propagandes qui poussent à la tuerie. Les véritables coupables restent ceux à l’origine de ces crimes, animés par la haine, souvent misanthropes et mentalement dérangés. La valeur essentielle d’un mythe est ancrée dans l’enseignement bien plus que l’idéologie ou la propagande. Omettre cela serait réduire le genre humain à l’animal impressionnable que l’on peut dresser rien qu’avec des ordres, quelques mots ou de belles images.

Le fond du débat

Si l’on veut prêter à Batman des valeurs politiques, puisque la trilogie de Nolan se veut bien plus humaine que les origines comics du personnage, autant parler des valeurs positives du héros philanthrope, dont la fortune – au-delà d’en mettre plein la vue avec ses accessoires High Tech qui en ferait rêver plus d’un – est mise au service de la justice. A ce héros abattu qui tente de donner un sens à son existence à travers des valeurs nobles, comme la protection des innocents. Le véritable fond du débat, serait l’impact véritable du cinéma dans notre société, des héros et super-héros portés sur grand écran qui touchent le spectateur sans pour autant le forcer à l’imitation, au-delà du simple fait de les divertir. Les images impressionnent certes, mais impressionnent bien plus souvent de manière positive le public, éduquent tout en divertissant, en signalant les dérives comportementales de certaines sociétés ou industries. The Truman Show avertissait, en vain, les dérives de la télé-réalité, ou Bienvenue à Gattaca, celle de la génétique et procréation assistée. Fustiger le Cinéma, fenêtre sur notre monde, comme origine de certains maux humains est une bien belle erreur. Tout comme désacraliser la fonction primaire du super-héros qui avec ses pouvoirs érige des valeurs nobles au rang suprême comme les chevaliers dans les récits médiévaux. Pourquoi se focaliser sur un fait divers, aussi tragique soit-il, pour faire trembler d’effroi ceux qui encore doutent du cinéma ? Un blockbuster, avec ses explosions, ses scènes d’actions et ses armes n’en reste pas moins qu’une fiction, bien loin de notre réalité, même si parfois cette fiction s’intègre à notre monde de manière sanglante et tragique. Quand on souligne qu’un tueur se prend pour le Joker, pourquoi ne pas souligner et mettre tout autant en avant ces victimes qui durant ce même drame ont péri sous les tirs de celui qui se voulait le Joker, protégeant leur petites amies des balles, en héros, comme un certain Batman, celui qu’ils étaient venus voir ?

Crédit photo : ©Warner Bros/©Reuters

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