Esmera : une histoire de fesses entre ZEP et Vince.

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Abandonnez votre dinde de Noël et laissez-vous plutôt tenter par l’envolée pornographique de Zep et Vince, Esmera, paru chez Glénat le 25 novembre dernier, une BD à offrir pour les fêtes à tout ceux qui ne sont pas forcément des pervers.

Pour toute une génération de jeunes gens, dont le Cerveau fait partie, ZEP, c’est avant tout le papa de Titeuf, ce pré-ado à la mèche blonde inimitable et aux insultes qui font toujours mouche, quelques soit l’époque, pourvu qu’on se trouve dans une cour de récré d’école primaire. Objectivement, le Cerveau mettrait sa main à couper que parmi ses aimables lecteurs, rares sont ceux qui n’ont jamais entendu un petit « C’est pô juste » habilement placé, ou encore n’ont jamais étudié le cas du Zizi Sexuel, une notion de sexologie absolument éminente.

Et c’est peut être là qu’on aurait dû commencer à avoir la puce à l’oreille : l’humour de ZEP, à la fois tordant et touchant, n’hésite pas à passer du côté porno de la force quand il le peut, pour notre plus grand plaisir. Le Cerveau avait notamment adoré son très drôle (et très lubrique) Happy Sex, paru chez Delcourt le 14 octobre 2009.

Plus de profondeur

501 ESMERA[BD].inddCependant, avec Esmera, paru chez Glénat le 25 novembre dernier, l’humour de ZEP cède sa place à une Bande Dessinée plus profonde (sans mauvais jeux de mots, s’il vous plaît), avec un scénario plus sérieux et un propos résolument pornographique. Pour l’occasion, il fait équipe avec l’excellent Vince, un dessinateur qui nous a lui aussi habitué à une littérature bien différente. Entre Godkiller, une BD de science-fiction qui retrace la traque « du plus grand serial killer de tous les temps : Dieu. » ; et Metalfer, où il s’agit d’une guerre entre importants industriels et exosquelettes de combat, s’attendait-on vraiment à le retrouver aux commandes graphiques d’une évasion pornographique ? Rien n’était moins sûr.

Pourtant, le résultat est là : sulfureux, exaltant, aussi sensuel qu’érotique, Esmera est un très beau voyage au cœur d’une sexualité particulière, « plurielle » comme nous dit même l’héroïne au début du récit. À l’instar de la pornographie blême que nous offre trop souvent à voir l’internet mondial, ZEP et Vince nous livrent avec Esmera, au delà d’un rêve charnel, une réflexion sur l’ambiguïté d’une sexualité nouvelle, contemporaine, pleine de recherche, de doute, et parfois de difficultés.

L’histoire derrière la fesse.

Pour parler de fesses, rien de tel qu’un petit passage par derrière l’ouvrage. Ainsi, on peut lire sur la quatrième de couverture que nous tenons entre les mains « un vertige pornographique imaginé par ZEP et Vince » ; mais qu’en est-il en substance ?

Au milieu des années 1960, on fait la rencontre de Esmera, une jeune femme élevée dans une école pour filles où elle reçoit une éducation très pieuse. Elle partage sa chambre avec sa meilleure amie, Rachele, avec laquelle elle parle comme beaucoup de jeunes adultes du sexe opposé, mais surtout, de sexe, tout simplement. Au fur et à mesure qu’Esmera se forge son expérience et son identité sexuelle, elle s’aperçoit qu’elle a la capacité exceptionnelle de changer de sexe à chaque orgasme.

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Interloquée, mais bien décidée à en profiter, Esmera va connaître une expérience sexuelle unique, celle d’une femme qui aime les hommes, qui aime les femmes, qui est un homme, qui aime les hommes, qui aiment les femmes, qui aime la chaleur du coït, qui cherche une moitié qui acceptera son autre moitié inée. Une double vie sentimentale et érotique qui propose, au delà d’une aventure pornographique, une jolie réflexion sur la sexualité.

L’éveil d’une sexualité revisitée et moderne.

Le débat sexuel n’a jamais été aussi actif qu’aujourd’hui. Sans pour autant y revenir en détail, car ce n’est pas le propos principal de l’œuvre, Esmera explore l’idée d’une sexualité polygame, bisexuelle (qu’elle soit homme, ou qu’elle soit femme), libre et décomplexée, sans jamais tomber dans le cliché bête et réducteur d’un porno générique.

esmera_ext_1Qu’est-ce qu’un porno générique ? Monsieur rentre un soir, trouve sa femme pendue aux lèvres (nous ne préciseront pas lesquelles) de sa gourgandine de voisine qui venait lui demander du sel et, le plus naturellement du monde, vient se joindre à la partie fine, sexe fier et tendu vers l’avenir ; à noter que l’avenir est souvent représenté par un trou noir béant, aussi bien dans des ouvrages romantiques qu’en pornographie. Nul besoin de vous préciser que ce type de scénario « classique », digne d’un grand Jaquie et Michel, semble factice et sans fond (encore une foi, évitons les jeux de mots douteux).

Pourtant, Esmera, avec un postulat aussi fantasmagorique qu’intéressant, propose des interactions entre ses personnages infiniment plus fines et vraies. Plus réaliste ? Presque, et cela alors qu’on parle d’une personne qui change de sexe à chaque orgasme. Ici, la jeune femme doit faire face au jugement, à la difficulté de mener une relation normale avec un amoureux ou une amoureuse, la conduisant à de véritables moment de détresses sentimentales. Son « don » n’en est pas toujours un à ses yeux. Esmera, c’est une quête d’identité sexuelle, une recherche de soi. Enveloppée d’une évasion pornographique fort bien relatée, certes, mais tout de même. Il est trop rare de lire le sexe sous un angle aussi libre et multiple pour ne pas le soulever.

L’art du dessin callipyge.

Pour ne rien enlever au charme de l’histoire qui nous est ici narrée, il est à noter que, graphiquement, le lecteur est gâté. Vince met au service de ce conte pornographique son talentueux crayon, pourtant si habile à dessiner d’ordinaire des univers d’anticipation et de science-fiction.
Les expressions des personnages sont très bien traduites, les attitudes sont réalistes, le trait à la foi délicat et puissant. Au fil de la lecture, force est de constater que les scènes que l’on a sous les yeux font rapidement grimper le thermostat. Et, lorsque que l’on tourne la dernière page de Esmera, on se sent tout chose, pour rester élégant. La mise en scène y est par ailleurs pour beaucoup. Si Vince se permet des gros plans très explicites, il y a également des cadrages plus lointains, qui laissent facilement place à l’imagination. Encore une fois, on est très loin du cliché qui entoure aujourd’hui le terme « pornographie ».

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Pour conclure, Esmera est une bien belle Bande Dessinée, eu égard son propos résolument adulte. On prend beaucoup de plaisir à le dévorer, on se régale de ses scènes muy caliente mais on apprécie également qu’il ne s’agisse pas d’une pâle copie d’un Manara, vaguement dépoussiéré. Esmera est un ouvrage très frais et très vrai, qui se distingue du porno actuel, qu’il soit vidéo ou littéraire.


Pour les lecteurs aguerris et autres amateurs du dessin de Vince, il est à noter que Glénat nous offre, depuis le 16 décembre 2015, une version luxe d’Esmera, tirée à 999 exemplaires, numérotée signée, avec des bonus graphiques inédits.

Crédit : ©Glenat

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