Claire Wendling à la Paris Comics Expo : La Brainterview

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À l’occasion de la Paris Comics Expo 2016, le Cerveau est allé à la rencontre d’une dessinatrice de talent et unique en son genre, Claire Wendling.

Ne vous fiez pas à son allure discrète et longiligne : Claire Wendling est une dessinatrice au caractère bien trempé et qui n’a pas sa langue dans sa poche !

Repérée en 1989 dès sa troisième année aux Beaux Arts d’Angoulême où elle reçoit l’Alph Art Avenir du Festival International de la BD, elle s’est d’abord fait connaître en tant qu’auteure de Bande Dessinée, au travers de sa participation à des ouvrages collectifs, comme Entre Chat, dirigé par Frank, mais surtout grâce à sa première et unique Bande Dessinée, Les Lumières de l’Amalou, publiée à partir de 1990 aux éditions Delcourt, en collaboration avec le scénariste Christophe Gibelin. Cependant, Claire Wendling s’éloigne rapidement des bulles et des cases pour s’épanouir dans ce qu’elle aime le plus : le dessin. Cover, artwork, recueils de croquis et d’illustrations – dont le très beau Desk – collaborations et tributes – On notera notamment la très belle participation de sa patte à l’univers de Sky Doll, de Barbara Capena et Alessandro Barbucci – son champ d’action est vaste.

Souvent décrite comme une personne à la production rare mais qualitative, Claire Wendling est avant tout une dessinatrice indépendante et qui n’hésite pas à exprimer le fond de sa pensée.

Nous arrivons au terme de cette 4ème édition de la Paris Comics Expo. Qu’avez-vous pensé de cette PCE 2016 ? Avez-vous pu avoir un moment privilégié avec vos lecteurs ? Y-a-t-il des personnalités que vous aviez envie de rencontrer dans le cadre de cette Paris Comics Expo 2016 ?

CWJe n’ai pas vraiment eu le temps d’aller faire un tour dans la convention. Lorsqu’on est auteur, illustrateur, graphiste, scénariste ou éditeur, on ne peut pas profiter de ce genre d’événements, au sens où le public l’entend. C’est assez difficile de se rendre compte, mais nous sommes là avant tout en tant que professionnels. Pour nous, on n’est pas en week-end, on est au boulot ! Après, comme dans n’importe quelle journée de travail, on peut malgré tout rencontrer des collègues, voir des amis, mais cela reste assez succinct. Par exemple, j’ai quand même pu retrouver Scott Campbell et Arthur Adams. Au final, avec ce type de conventions, on se rend compte qu’on connaît toutes ces personnes sans vraiment les connaître, nous sommes de simples collègues. Lorsque l’on vient ici comme auteur, on vient pour travailler et parler travail. On est socialement présent, mais on l’est avant tout pour là le business. Je pense que ceux qui peuvent le plus apprécier la Paris Comics Expo, ce sont surtout ses visiteurs.

Heureusement qu’il y a l’afterwork… Oui heureusement  ! (rire)

Cette année, on vous a vu aux côtés d’Alan Moore et de Hermann en finalistes du Grand Prix du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Comment avez-vous vécu cette nomination, surtout après la polémique autour de l’absence de femmes dans la liste des nommés, alors même qu’Alan Moore ne souhaite plus recevoir de récompenses en festival ? Ne pensez-vous pas que cette liste de finalistes était quelque peu absurde ?

 Absurde, ça, oui ! Pour parler de l’événement en lui-même, j’ai l’impression que le Festival d’Angoulême aujourd’hui, c’est un peu comme une « grande foire ». On ne peut pas rencontrer les gens véritablement, ni même en profiter. Personnellement, cela ne me fait plus envie. Ce n’est plus le meilleur endroit pour rencontrer des auteurs et découvrir leur travail. Sur internet, il est beaucoup plus simple de cibler les artistes qui nous intéressent.

Pour en revenir à cette sélection au grand prix Festival d’Angoulême, très honnêtement, je me suis un peu retrouvé « comme une conne ». Bien sûr, cela m’a fait plaisir d’être nommée parmi les finalistes, car le vote était le fait des auteurs. C’est la profession qui a voté pour moi, qui a trouvé que j’avais de la valeur. Mais si je m’attendais à de telles réactions… Je n’avais rien demandé à personne et je me suis retrouvée dans une position délicate. Plusieurs journalistes, bloggeurs, ou de simples inconnus en sont venus à remettre en question ma nomination. « Mais qu’est-ce qu’elle fait là celle-ci ? », « Elle n’a pas fait de BD depuis des années et on la retrouve dans ce classement », etcJusqu’à certains internautes venus m’insulter directement. Après cela, on se pose beaucoup de questions, on doute, on se remet en question. Je me suis même demandé : « est-ce que j’ai été utilisée ? ». Sincèrement, je ne pense pas. Les auteurs qui ont voté, je les connais, ce sont mes collègues, pour certains mes amis. Le problème ne vient pas de là.

Sans parler de la polémique sur l’absence de femmes dans la liste originelle. Parmi les remises en question de ma présence dans cette liste de finalistes, certaines visaient explicitement mon sexe. Certains se sont demandés si ma place dans ce classement était légitime du fait que j’étais une femme. Mais je ne me suis jamais posé la question de savoir si j’étais une fille, je n’ai pas eu le choix !

Claire_IMG2 Et cette situation n’est pas si exceptionnelle en France. J’ai souvent dû justifier ma place, mon travail, mes compétences parce que j’étais une femme. « C’est qui cette nana, là ? Qu’est-ce qu’elle fout là? », cette phrase, je l’ai déjà entendue. Alors, je sais que l’herbe n’est pas toujours plus verte chez le voisin, mais je n’ai pas été confrontée à cela lorsque j’ai travaillé aux États Unis. Par exemple, l’Academy of Art University de San Fransico m’a diplômé Docteur Honoris Causa. Lorsque que je suis passée, avec ma toge, après le directeur de l’Academy, devant des centaines d’étudiants pour faire un discours, personne n’est venu me demander si ma place ici était bien légitime. Personne n’est venu remettre en question mon discours avant que je ne le prononce. Personne ne s’est levé dans la salle pour dire «C’est qui cette nana, là ? » !

Concernant la Bande Dessinée de manière générale, bien qu’il s’agisse d’un milieu où j’ai des amis que j’apprécie, je ne veux plus y mettre les pieds ni y être rattachée. Alors, lorsqu’on me demande encore : « vous allez refaire des Bandes Dessinées ? », j’avoue en avoir un peu marre.

Vous vous êtes déjà frottée au monde du jeu vidéo, à l’occasion de votre participation pour Alone In the Dark 4. Avec l’évolution du monde vidéo-ludique, notamment l’émergence du jeu vidéo indépendant et l’apparition de nouveaux modèles de financement collaboratif, ce domaine laisse de plus en plus de place à ses artistes, mettant en avant leur univers visuels, toujours plus créatifs. Est-ce cela ne vous donne pas envie de participer à nouveau à un jeu vidéo?

Claire_IMG3Je ne connais pas trop le milieu du jeu vidéo au final. Chaque fois que j’ai eu l’occasion de travailler sur un projet vidéo-ludique, c’était par le biais d’un ami, ou d’un collègue qui me proposait de participer au travail de recherches graphiques. Finalement, je n’ai pas approché ce domaine-là depuis bien longtemps… Je ne suis pas vraiment à jour ! Et je ne suis pas une joueuse de manière générale – même pas de jeux de cartes, c’est dire. Cependant, je reconnais que le jeu vidéo sous certains aspects va dans un sens intéressant. C’est très frais, très novateur. Je pense notamment à Child of Light, que j’ai découvert récemment et qui est particulièrement beau. Donc, bien que je ne sois pas grande connaisseuse dans ce domaine, je trouve qu’il s’y passe de très belles choses.

On vous dit souvent discrète, publiant peu, mais ayant un lectorat très fidèle. Vous êtes d’accord avec cette description, ou pensez-vous qu’il s’agit plutôt de la partie émergée de l’iceberg ?

Alors, si je dis que je suis discrète, c’est surtout parce que j’aime bien qu’on me laisse tranquille ! Non pas que je sois contre toute communication, bien sûr. Seulement, quand vous vous ouvrez à la communication, on vous répond par la même, et au fur et à mesure, on se retrouve dans une spirale où l’on est contraint à un certain degré de communication. Personnellement, j’aime pouvoir la maîtriser et conserver ma tranquillité.

Vous comptez parmi vos lecteurs de jeunes dessinateurs qui se destinent à l’illustration et à la Bande Dessinée. Qu’est-ce que vous auriez envie de leur dire, à la lumière de votre propre expérience ?

Personnellement, je regrette de ne pas avoir autant appris que je le souhaitais durant mes études. Alors mon principal conseil serait : FAITES DES ÉTUDES ! Il ne faut pas hésiter à bachoter et à réapprendre, à se mettre sans cesse à niveau. Le dessin, c’est surtout de l’entraînement. Il faut savoir aussi remettre en question son travail, sinon, on ne peut pas avancer.

Il faut se préparer à être polyvalent, à défaut de pouvoir l’être directement. Prenez le lycée : on n’y apprend pas de données, on y apprend à penser et à travailler. Les données viennent après. Et pour le dessin c’est pareil. Je pense qu’il faut d’abord apprendre à travailler avant d’étoffer son répertoire. À chaque fois que l’on aborde un nouveau projet, on va avoir besoin d’aller se renseigner, chercher de nouvelles techniques, de nouvelles manières de faire. Mais avant cela, il faut d’abord savoir travailler.

Et ne jamais arrêter de dessiner.

Crédit photos : Droits réservés

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