Ryan Gosling passe derrière la caméra avec son premier film, Lost River, une sorte de déjà-vu maladroit.

Passer d’acteur à réalisateur, c’est un procédé assez courant de nos jours. Encore faut-il en avoir le courage et les moyens. Si on observe bien, cette transition s’opère à un moment crucial dans une carrière, après avoir exploré de nombreux genres ou au contraire, après s’être affirmé dans un bien particulier. Pour Ryan Gosling c’est un peu le deuxième cas de figure puisqu’avec les deux films de Nicolas Winding Refn où il a tenu le rôle principal, il s’est créé ce personnage violent mais silencieux mi-conceptuel mi-expérimental et re-mi-conceptuel derrière. C’est en partant sur cette base qu’aujourd’hui, il sort sa première réalisation Lost River.

Baignade interdite

Lost River illus3Billy est une mère célibataire qui lutte dans une ville qui tombe en décrépitude. Saisies, abandons, déménagements soudains, la ville se dépeuple peu à peu par manque d’opportunités professionnelles et l’augmentation de la criminalité. Malgré tout ça, elle cherche à rester par tous les moyens, tout en essayant de répondre aux besoins de ses deux fils. L’aîné, Bones, parcourt la région pour trouver de pièces de cuivre à revendre à la décharge pour se faire un petit pécule afin de s’acheter les pièces nécessaires pour réparer sa voiture et fuir cette vie misérable. Seul problème : un sociopathe du nom de Bully s’est auto-proclamé roi de la ville et fait régner la terreur parmi ceux qui oseraient lui voler « ses » ressources. Désespérés et poussés jusque dans leurs derniers retranchements, Billy et Bones vont devoir affronter les démons qui ont pris possession de leur ville pour tenter de survivre à tous prix.

Reflets

Lost River, de par sa patte graphique et son univers, fait directement référence à la filmographie de Refn. Ambiance étrange et sordide, nombreux plans fixes sans action, scènes très colorées… L’influence du réalisateur se ressent tout le long du film, au point qu’il est assez compliqué de trouver où Gosling a pu réellement s’investir dans la direction artistique. Cependant, du fait de cette première expérience, le travail reste assez sommaire et sans grande originalité, semblant parfois être un peu bâclé, voire incomplet. C’est joli, certes, mais il manque quelque chose qui vient faire ressentir la détresse des personnages. On croirait à de l’esthétisme pour l’esthétisme. Ce qui est assez symptomatique de la réalisation en général : malgré un travail poussé sur l’image, tout le reste semble être passé à la trappe.

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Noyade totale

Lost River illus1La volonté de Gosling de faire du cinéma entre le conceptuel à la Refn ou même parfois à la Lynch et grand public est tellement évidente que le ton oscille entre ces deux mondes distincts sans changer de référent. Autant, si le procédé avait été utilisé entre la ville bien réelle et celle engloutie par la rivière, une dichotomie à la Grand Meaulnes aurait pu être appréciable. Seulement le mystère de cette cité sous la rivière n’est pas du tout utilisé ou alors très peu, pour rester dans un réel à l’allure fantastique mais dans lequel il ne se passe pas grand chose au final. Les seuls qui arrivent à réellement tirer leur épingle du jeu, autant dans l’intrigue qu’à l’écran, sont les personnages de Bully (Matt Smith) et Dave (Ben Mendelsohn). L’un violent et imprévisible, l’autre démoniaque et calculateur, ces antagonistes sont la véritable force de Lost River. Portés par deux acteurs complètement à l’aise dans leur rôle, ils crèvent l’écran par leur folie et la façon dont ils persécutent les héros. Enfin après réflexion, est-ce que ces personnages sont réellement réussis, où c’est la comparaison avec les autres totalement vides qui les font ressortir ? La réponse semble être à l’appréciation de chacun.

Lost River partage beaucoup. Personnages principaux creux, sentiment de vide permanent, faux raccords et manque d’implication dans l’intrigue d’un côté, antagonistes dérangeants, atmosphère graphique réussie, musique prenante et instauration d’un univers qui ne demande qu’à être découvert, les arguments sont nombreux. Pour une première réalisation, le résultat est en demi-teinte, voire même très maladroit. Reste plus qu’à espérer que ce coup d’essai servira de leçon pour la suite de la carrière de Gosling.

Lost River : Bande-annonce

Crédits : ©Le Pacte