Critique de  A Most Violent Year, dernière surprise poignante et brutale de 2014, à voir.

La fin d’une année, c’est toujours l’occasion de faire le bilan. Qu’on soit allongés au coin du feu ou en train d’attraper froid à cause d’un chauffage en panne, le fantôme de la nostalgie d’une année accomplie pointe le bout de son terrible nez, comme si avant d’en commencer une nouvelle, il fallait refermer celle passée à travers un étrange rituel. Mais il arrive cependant, comme c’est le cas cette année, qu’un imprévu s’immisce et que le bilan prenne du retard tant ce petit grain de sable dans le blanc manteau de l’hiver n’est pas négligeable. Vilain petit A Most Violent Year qui a réussi à surprendre le Cerveau dans ses adieux à 2014.

En rouge et noir

amvy_day6-219.CR2Hiver 1981. Officiellement, cette année fut reconnue comme étant la plus violente jamais répertoriée à New-York avec un pic de criminalité dépassant tous ceux vus auparavant. C’est dans ce contexte dangereux qu’Albert Morales tente de faire prospérer son commerce de pétrole. Malgré les attaques répétées de ses cargaisons et la police le filant depuis son réveil jusqu’à son retour au lit, il a bon espoir d’acheter un terrain en plein New-York afin de devenir le négociant le plus indispensable de la ville. Mais pour ça, il a besoin d’argent et vite. Seulement, quand on veut gagner sa vie honnêtement dans une ville rongée par la corruption où les concurrents usent de moyens déloyaux et où la confiance se négocie à prix d’or, il est difficile de ne pas céder aux instincts primaires et à l’appel du sang.

Gangsta Paradise

Une fois n’est pas coutume, J. C. Chandor revient éblouir le Cerveau de son génie après le saisissant All is Lost avec un film noir sur la vie de gangster du quotidien dans le New-York des années 80. A la fois à la réalisation et au scénario, il nous narre une histoire à la fois angoissante et pleine d’humanité, brillamment soutenue par le jeu d’acteur irréprochable d’Oscar Isaac et de Jessica Chastain dont l’amour et la complicité déborde de l’écran. D’ailleurs les professionnels et la critique l’ont bien vu puisqu’A Most Violent Year a déjà reçu les prix du Meilleur Film, du Meilleur Acteur pour Oscar Isaac, du Meilleur Second Rôle Féminin pour Jessica Chastain et celui du Top 2014 aux National Board of Reviews Awards 2014. Belle performance pour un film qui chez nous risque de passer inaperçu.

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Scorsese habillé pour l’hiver

Mais outre cette batterie de prix, en quoi A Most Violent Year est un film qui sort du lot ? Parce que mine de rien, des films de gangsters, ce n’est pas ce qui manque. Pour le Cerveau, ce qui en fait sa force, c’est son parti pris qui va à l’encontre de ce qui a déjà été vu dans ce genre au cinéma. Là où Martin Scorsese nous a récemment habitué à voir des parrains et des petites frappes régler leurs comptes à coups de plomb et de punch lines, A Most Violent Year cherche l’Homme dans ses personnages. Abel n’est pas un truand avide et manipulateur, il en est tout le contraire. droit et respectable, il veut monter son entreprise et la faire prospérer légalement malgré le contexte de l’hiver 81. Et pourtant ce ne sont pas les tentations qui manquent. Ainsi, on semble retrouver un héritage de  Scorsese, à mi-chemin entre Taxi Driver pour le Monsieur Tout-le-monde qu’est Abel luttant contre son environnement, et les Infiltrés pour son ambiance de magouilles entre lobbies. Jamais prétentieux et toujours sur le fil du réel, A Most Violent Year pousse le spectateur à soutenir le couple Morales dans leur course au rêve américain qui finira certes par s’accomplir, mais aux prix de nombreux sacrifices moraux.

Moral-es

A most violent year illus1Car oui, il est possible de trouver une dimension cynique au film dans le fait qu’un homme d’affaire ne peut réaliser son ascension promise chez l’Oncle Sam en suivant les règles explicites. Poisson refusant de se noyer dans le verre d’eau de la pègre comme les autres, Abel lutte de toutes ses forces pour protéger ses employés et son capital contre les attaques qu’ils subissent autant par la concurrence que par les forces de l’ordre. Et paradoxalement, plus il suit la loi, plus il est acculé. Il ne trouvera au final la paix et l’accomplissement de son combat qu’en se résignant à suivre le modèle de son milieu. De la violence physique commise contre les conducteurs de ses cargaisons à celle psychologique infligée par le procureur Lawrence, c’est au final la brutalité avec laquelle sa morale se retrouvera écrasée qui fait d’A Most Violent Year une oeuvre intrigante et passionnante.

A Most Violent Year est une surprise de fin d’année comme on aimerait en avoir le plus souvent. Il est l’équivalent du sempiternel poney qu’on met en haut de la liste pour le Père Noël qu’on a jamais et qui arrive au moment crucial où on a failli arrêter d’y croire. Profond, humain, ambitieux, il redistribue intelligemment les cartes du genre pour offrir au spectateur une histoire poignante et légèrement cynique à propos de la société américaine. S’il ne fera sûrement pas (à tort) date dans le Top ciné de 2014 en France, il n’en reste pas moins un excellent film que le Cerveau recommande chaudement.

A Most Violent Year  : Bande-Annonce

Crédits : ©Studio Canal