Avec La Marche, Nabil Ben Yadir met en scène les événements de 1983 à travers un voyage initiatique et social.

Il est toujours compliqué de traiter d’un sujet aussi brûlant que le racisme en France, surtout de nos jours. Avant, c’était plus simple. Et pour cause, on n’en parlait pas. Difficile en effet de croire qu’il y a 30 ans, le débat sur l’identité nationale n’existait pas. Le problème était d’une autre nature puisque le combat se menait non pas culturellement mais institutionnellement. Et de cette nécessité de reconnaissance est née l’idée de la Marche, un mouvement pacifiste allant de Marseille à Paris, pour mettre en lumière la souffrance silencieuse dont les immigrés étaient victimes. Cette histoire, le réalisateur Nabil Ben Yadir nous la raconte aujourd’hui à travers son film sobrement intitulé La Marche. Docu-fiction sous couvert de devoirs de mémoire ou film à part entière ? Éléments de réponse.

Un kilomètre à pied, ça use

1983, dans la cité des Minguettes, Mohamed est témoin d’un accident au cours duquel il se prend une balle de la part d’un policier (le terme bavure n’existait pas encore). Après s’être remis, il sort de l’hôpital et court voir Monsieur Dubois, le curé de la cité et leader de l’association SOS Minguettes pour lui proposer un projet : une marche pacifique reliant Marseille à Paris pendant laquelle il compte sensibiliser les gens face au racisme ordinaire. Le curé approuve et accompagne Mohamed et ses amis Farid et Sylvain. Ils seront rejoints dans leur périple par de nombreuses personnes de communautés diverses et feront face à la haine et à la violence que l’ignorance peut engendrer.

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La communauté du Bicot

Un film comme La Marche, on l’attend au tournant. On connait le principe : prendre un événement important du point de vue de la morale et en faire un film. Après, qu’il soit bon ou pas, le principe est juste de rendre hommage. Et là, étonnement, on ne peut que saluer la franchise du réalisateur qui n’épargne rien de la réalité face à laquelle les marcheurs ont du se confronter. Certes, certaines scènes ont dû être romancée (cinéma oblige), néanmoins la sincérité qui s’en dégage touche le spectateur sans l’emplir d’une fausse compassion due au sujet. Pour appuyer cela, Nabil Ben Yadir a subtilement recours au Voyage du Héros (oui, encore, mais là c’est bien fait) pour montrer au spectateur non pas des faits et juste ça, mais bien une évolution. On se croirait presque dans un récit épique aux faux airs du Seigneur des Anneaux avec une communauté hétéroclite qui part en voyage avec en tête de cortège, un leader, ses deux sidekicks rigolos et le vieux sage qui va mourir mais en fait non. Recette vue et revue mais qui fonctionne parfaitement dans ce cadre et amplifie la portée de l’événement.

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Touche pas à mes pattes

Là où par contre La Marche se détache de cette structure classique, c’est sur la fin. Normalement, on suit le héros jusqu’à l’objectif de sa quête PUIS son retour dans la contrée qui l’a vu naitre, observant au passage les conséquences de son voyage. Or là, le film, qui jusqu’à maintenant nous promettait un dénouement plus audacieusement mis en scène qu’un simple documentaire, s’achève sur la rencontre des marcheurs et du président Mitterrand. Les mesures qui découleront du processus ne sont que brièvement exposées en fin de séance sous formes de brèves phrases purement factuelles. Quid de la suite des événements ? De la politisation du mouvement ? De la création de SOS Racisme par la Gauche de l’époque ? Le réalisateur choisit de laisser sciemment le spectateur sur sa faim. Et pour cause, le film ayant pour vocation de mettre en perspective les problématiques actuelles du débat sur l’immigration par rapport à ce qu’elles étaient il y a 30 ans, il se garde bien de prendre parti. Sans pour autant quitter le contexte propre au métrage, Nabil Ben Yadir inclue quelques passages (la relation entre Sylvain et Monia notamment) qui jouent le rôle de prédictions sur l’avenir du sujet, une sorte d’avant-goût de ce que leur marche va enclencher, socialement parlant.

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La Marche n’est donc pas un film “devoir de mémoire” de plus, tout comme il n’est pas là pour dénoncer ou accuser qui que ce soit. C’est un film cohérent avec son message et son temps, sans pour autant dénaturer son sujet initial, à savoir cette marche de 1983. Il y a des scènes clichées certes, et quelques longueurs peuvent se faire ressentir. Mais ces soit-disant défauts peuvent être compris comme étant une volonté du réalisateur de faire pleinement vivre le voyage aux spectateur. Et de montrer que même si du chemin a été parcouru, il ne tient qu’à nous de le suivre. Sans se tromper de route.

Bande-annonce

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