A l’occasion de son passage à Paris pour sa nouvelle exposition, Citadel, le Cerveau est allé à la rencontre de l’iconoclaste Will Sweeney.
Comment décrire proprement le style d’un artiste tel que Will Sweeney ? Nul n’a encore su éclaircir précisément nos lanternes à cette heure-ci.
Et pour cause : iconoclaste, futuriste, illustrateur mais également fondateur de la maison Alakazam qui produit T-shirts et posters que ses fans s’arrachent, auteur de Bandes Dessinées riches et étonnantes comme la cultissime Tales of Green Fuzz, cet amoureux de l’univers de René Laloux ne rentre véritablement dans aucune case.
Avec sa nouvelle exposition, Citadel, qui se tiendra à la Galerie 12 Mail, Red Bull Space Paris, située 12 rue du Mail dans le 2nd arrondissement de la capitale, le londonien nous propose de découvrir sa vision d’une ville futuriste au travers de plusieurs illustrations vibrantes de détails. Un projet ambitieux et passionnant que l’ont peut admirer jusqu’au 26 août 2016.
Ainsi, c’est un Will Sweeney en plein travail sur une petite série de « caracter design » que le Cerveau est allé trouver pour un entretien, lors de sa résidence à la Galerie 12 Mail. Une interview passionnée et passionnante que nous vous proposons de découvrir aujourd’hui.
Comment est né votre projet Citadel ?
La première illustration que j’ai réalisé dans le cadre de Citadel, c’est celle avec les voitures sur de multiples routes qui se superposent. Je voulais faire une exposition qui représenterait une certaine vision de Londres, mais également transmettre la sensation de la ville elle-même, socialement, architecturalement et économiquement ; tout en évoquant certains problèmes liés à l’urbanisation de masse. En effet, on déplore depuis plusieurs années déjà la qualité extrêmement mauvaise de l’air que l’on respire en plein Londres.
Cependant, ma vision n’est pas réaliste, comme c’est très souvent le cas dans mon travail. J’ai cherché à créer une cité futuriste, une dystopie perturbante, qui mettrait en avant la façon dont cette dernière évolue, se métamorphose. Cela impliquait de faire référence aux nombreux problèmes socio-économique qui gangrènent nos grandes villes actuelles, comme le fossé qui ne cesse de s’accroître en riches et pauvres.
La métropole en elle-même est dominée par des compagnies, souvent étrangères. L’espace public ne l’est plus vraiment et il n’appartient plus à ceux à qui il devrait revenir de droit : les habitants de cette dernière. Pour autant, le point de départ de Citadel n’est pas de mettre en avant le réalisme social, c’est bien l’imagination qui est au centre de cette exposition et de mon univers de manière générale.
Dans cette exposition, on retrouve votre identité visuelle unique et fascinante. Quelles ont été vos inspirations lors de la création de celle-ci ?
Je pense que je n’ai pas eu d’inspirations particulière lorsque j’ai commencé ce projet, à part peut être une exposition que j’ai été voir en Mars dernier en Hollande. Elle portait sur le peintre Bosch, dont j’avais déjà vu plusieurs œuvres, mais jamais en « vrai ». Lorsque je me suis trouvé face à ses peintures, j’ai été frappé par le style incroyable de cet artiste. C’était vraiment très intéressant de découvrir ses dessins, de voir l’ensemble de son travail… ça va peut être paraître un peu prétentieux, mais je trouve que mon univers et ma démarche sont assez proches de ceux de Bosch. Il s’agit d’œuvres fantastiques, imaginaires, qui s’inspirent du monde dans lequel on vit.
Je pourrais également citer le design de certains flyers des années 70’s et 80’s, mais également le travail de Charles Burns. Sur certaines de mes illustrations, on retrouve plusieurs éléments très similaires à son univers personnel.
Une ville, c’est un corps en mouvement perpétuel. Vous qui avez produit des clips psychédéliques et très soignés pour Birdy Nam Nam, n’avez-vous pas envie de donner une vie animée à Citadel ?
J’aurai adoré ! J’aime développer mes projets dans plusieurs directions, et la perspective de créer un projet Citadel animé m’aurait beaucoup plu. D’autant que pour ce projet, je n’avais pas envie de me lancer dans un comic-strip, je voulais créer un monde avec une histoire. Par ailleurs, je pense qu’animer des design en noir et blanc, comme ceux que j’ai travaillé pour l’exposition, pourrait être très intéressant graphiquement. Malheureusement, ce domaine demande beaucoup de temps et de financements que je n’avais pas au moment de lancer le projet.
J’ai toujours beaucoup aimé l’animation de manière générale. Pour revenir sur ma collaboration avec Birdy Nam Nam, le choix de la musique à mettre en images animées tombait très bien car elle était narrative, avec un début, des péripéties, un climax et une fin. Pour moi, la musique est un élément clé du cinéma d’animation, car elle permet de raconter une histoire, de poser une ambiance. Dans La Planète Sauvage, de René Laloux, un film que j’ai particulièrement aimé et qui m’a beaucoup inspiré dans mon travail, si l’animation en papier découpé, les décors incroyablement imaginatifs, les couleurs et le récit sont prenant et transportent le spectateur, la musique de Alain Goraguer est elle aussi centrale. Elle donne le ton à cet univers fantastique et fait écho aux design inquiétants des décors et des personnages.
Avec Citadel, vous proposez votre vision de la ville du futur, une vision plutôt sombre. Pensez-vous qu’il y a encore une lueur d’espoir pour les citadins dans l’avenir ?
Et bien, je ne suis pas un pessimiste. Pour moi, dans mes dessins, il y a une certaine forme d’humour même. Donc je ne dis pas du tout qu’on est tous morts ! Le message pour moi, c’est que nous devons nous battre contre les choses qui font que la vie en métropole est compliquée.
Il est vrai que, dans un sens, j’ai toujours été attiré par ce « darkside ». Mais je ne pense pas que cela relève du pessimisme, ni que ce soit une mauvaise chose. C’est simplement une manière de s’exprimer.
Personnellement, la satyre et le cynisme font partie des modes d’expression qui me correspondent. À Londres, dans certains quartiers, on peut croiser une faune très particulière de personnes riches, qui ne savent bien souvent pas quoi faire de leur argent, et qui sautent aux yeux tant leurs tenues, les accessoires sont extravagants, importables pour le reste de la population. Cette observation met assez bien en évidence le fossé entre riches et pauvres dont on parlait plus tôt, selon moi. Ainsi, dans les illustrations que j’ai faite pour Citadel, j’ai voulu représenter ça en mettant en scène des personnages improbables, aux tenues incroyables, dans un quartier « chic » de ma ville futuriste, faisant du shopping.
Nous vivons une époque où la peur de l’étranger, de l’immigrant, est au centre de bons nombre de débats. Selon vous, la ville du futur est-elle plutôt multiculturelle ou, au contraire, renfermée sur elle-même ?
J’aime la diversité, dans la ville et de manière générale. J’espère sincèrement que nous arriverons à conserver ça, et ce malgré les événements récents … Le résultat du referundum sur le Brexit est quelque chose qui m’a beaucoup touché, d’autant que j’étais déjà en France à ce moment là.
Concernant les immigrants, je pense qu’on met sur leurs dos bien des maux dont ils ne sont pas responsables. L’état économique et social dans lequel se trouve l’Angleterre n’est pas lié à leur venue, cette situation est simplement la conséquence d’une austérité générale qui se traduit notamment par cet écart grandissant entre riches et pauvres. Nous sommes responsables de ce qui nous arrive en partie, pas les immigrants. Si nous continuons sur cette voie, la ville du futur finira par être un endroit clos et encadré à outrance.
Mais la population, la société de manière générale, évoluent, même si cela est long. Peut-être qu’un jour nous arriverons à vivre ensemble véritablement.
Quand on voit les œuvres que vous avez produites pour cette exposition, fourmillantes de détails, il peut nous prendre l’envie de déambuler nous même dans cette ville futuriste. Vous qui avez exploré beaucoup de domaine de production graphique différents, n’avez-vous jamais eu envie de vous frotter au jeux vidéo, et permettre ainsi à nombre de joueurs de se promener dans vos univers ?
Faire des jeux vidéos, c’est un rêve d’enfance pour moi ! Pour moi, c’est un domaine où on trouve beaucoup d’excellents designs, animations et même musiques. C’est quelque chose que j’aimerai vraiment faire. Le problème, c’est que je ne sais pas vraiment qui approcher. C’est un milieu dans lequel il est, malheureusement pour moi, difficile d’entrer.
Je trouve le jeux vidéo indépendant particulièrement intéressant. Il y a tellement d’innovations graphiques qui parviennent à se faire une place parmi les autres triples A aujourd’hui grâce à leur différences ! C’est vraiment génial.
Personnellement, je fais partie de la génération des jeux en 48k, et encore aujourd’hui, ces jeux trouvent encore le moyen de faire du bruit dans mon esprit ! Ces jeux avaient la particularité de faire travailler mon imagination d’enfant.
Parmi les derniers jeux qui m’ont particulièrement marqué, je pourrais notamment citer One Man Sky, qui permettait d’explorer un univers quasiment infini, ou encore Cuphead et ses design très inspiré des dessins animés des années 30.
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