Le crime de l’orient-express : la musique du film « vue » par Kenneth Branagh

0

Kenneth Branagh revient sur l’importance de sa collaboration avec le compositeur Patrick Doyle au fil des ans et, plus particulièrement, sur ce nouveau chapitre de leur œuvre commune avec le Crime de l’orient-express.

Les images de l’un inspirent les mélodies de l’autre depuis leur première rencontre cinématographique sur Henry V en 1989. Déjà complices sur les planches, c’est en toute logique que le jeune réalisateur invite celui qui devient, dès lors, son compositeur attitré à travers une disco/filmographie aujourd’hui riche de douze long-métrages communs et ayant su, si brillamment, s’enrichir et s’adapter à des univers aussi (faussement) disparates que ceux de Mary Shelley’s Frankenstein, Hamlet, Jack Ryan, Sleuth, ou encore du premier volet de Thor.

Avec Le crime de l’orient-express, qui sortira ce mercredi 13 décembre dans les salles françaises, le tandem prouve à nouveau que l’art du romanesque, de l’ampleur symphonique et du sens de la mélodie n’est pas encore totalement mort et transforme, savamment, l’un des plus célèbres meurtres de la littérature britannique en la résurgence d’une tradition musicale bien loin d’avoir fait vibrer sa dernière note…

A l’issue d’une rencontre avec la presse pour Le Crime de l’orient-express, nous avons pu interroger Kenneth Branagh sur l’importance de sa collaboration avec le compositeur Patrick Doyle au fil des ans et, plus particulièrement, sur ce nouveau chapitre de leur œuvre commune.

Une fois encore, la musique est aussi importante que narrative et omniprésente tout au long de votre film. Quel regard portez-vous sur votre relation professionnelle, en perpétuelle évolution, avec Patrick Doyle ? Et, plus précisément, comment avez-vous abordé, ensemble, ce voyage à bord de l’orient-express ?

Dès que j’ai la confirmation que je vais bel et bien travailler sur un film, j’en parle à Patrick. Nous nous retrouvons généralement autour d’un repas et nous échangeons, instinctivement, nos différentes intuitions. Parfois, ces dernières nous mènent vers quelque chose de bien établi et parfois non. Par exemple, sur Le crime de l’orient-express, nous étions plutôt partisans de réduire la place accordée à la musique. D’ailleurs, la toute première chose que nous ayons fait fut d’écrire une chanson… Mais pas « Never Forget », interprétée par Michelle Pfeiffer et que vous pouvez finalement entendre sur le générique de fin.

C’était une toute autre chanson, qui na donc pas survécu au film bien que sa mélodie, quant à elle, ait été reprise et intégrée à la partition globale. A l’origine, nous pensions que le film revêtirait des couleurs un peu plus brillantes puisque nous avons tourné en 70mm et que le cadre rappelle ainsi l’héritage d’un John Ford, d’un David Lean, ou de tous ces films qui vous enveloppent totalement par la largesse de leurs grands espaces, particulièrement graphiques. Il a également été question d’y inclure une dimension plus jazzy…

Pas beaucoup de musique

Et même y compris pendant la phase initiale de post-production, nous restions persuadés qu’il ne fallait beaucoup de musique. Et puis, il y a eu un moment pivot… Le premier montage durait dans les 2h15 environ et je savais qu’il ne fallait surtout pas que le film soit plus long que réellement nécessaire. Je le voulais rapide et précis. En définitive, il dure 1h46… Et le simple fait de passer sous la barre des deux heures nous a poussé à ressentir le besoin de marquer un peu plus la tonalité. L’excitation du début… et la manière dont se diluent progressivement les différents niveaux de l’intrigue tandis que se révèlent les mensonges des personnages… Dès lors, l’histoire est soudain devenue beaucoup plus émotionnelle, personnelle. Si bien qu’un tout autre niveau de qualité s’est avéré nécessaire pour ce qui est de la musique.

Nous restons, malgré tout, relativement plus dans la retenue que la plupart du temps. Lorsque nous avons enregistré, nous avons eu recours à moins de cordes que sur d’autres de nos partitions, souvent plus amples. Ici, nous avons préféré revenir à quelque chose où le matériel thématique reste plutôt aigre, même s’il y a énormément de morceaux. Nous voulions trouver le moyen de rester mystérieux sans pour autant être trop complexé ou, encore moins, de ne manipuler le public en aucune façon… Il est bien trop intelligent pour ça. C’était vraiment un processus très intéressant. Et parfois, nous nous retrouvons coincés dans une impasse.

La séquence du meurtre

Prenez la musique de la séquence du meurtre en lui-même, par exemple. Nous avons dû en faire une douzaine de versions… Une sans aucun son, une autre où l’on jouait avec les coups et les projections de sang de façon outrageusement prononcée et gutturale… Mais, pour une raison ou pour une autre, rien de tout cela ne fonctionnait. Connaissez-vous ce morceau d’Arvo Pärt, « Spiegel im Spiegel » ? C’est un morceau pour violon et piano vraiment très inhabituel. Cela nous a influencé dans une certaine direction.

En fait, nous écoutons beaucoup de choses… En nous disant : « On cherche plutôt quelque chose de ce style… ou pas du tout d’un autre ». Cette scène, ce moment, renvoie une forme de beauté cruelle. Et, en fonction de votre propre point de vue, vous êtes presque heureux que cet homme se fasse poignarder car vous voulez justice pour cette enfant. Pourtant, les personnages ressemblent soudain à une meute de chiens enragés… C’est l’instant où ils perdent leur humanité. Dorénavant, ils seront eux-mêmes des monstres. Rechercher la simplicité musicale adéquate pour cette séquence est l’exemple parfait de notre façon de travailler.

Processus créatif et collaboration

Notre processus n’est, en fait, qu’une longue et constante conversation. Et ce qu’il y a de si formidable avec Patrick, c’est qu’il corrige et recorrige tout ce qu’il fait. Il commence à travailler très tôt sur chaque projet. Il vient régulièrement nous rendre visite sur le plateau pendant le tournage. Et il parle à absolument tout le monde. Notamment avec Alexandra Byrne, qui a conçu les costumes. Nous nous connaissons tous très bien. Nous travaillons tous ensemble depuis de nombreuses années. Absolument chacun d’entre nous s’implique immédiatement et sans retenue. De plus, Patrick est quelqu’un de particulièrement émotionnel et cela peut, de temps à autres, compliquer un peu les choses…

Je l’aime profondément. C’est l’un de mes amis les plus proches. Et c’est d’autant plus difficile lorsque je dois lui dire que je pense que sa proposition ne fonctionne pas… Car avec lui, tout est déjà produit à base de sang, de sueur et de larmes. Il est profondément écossais, avec un accent très prononcé. Et le son que je déteste entendre… mais que j’ai moi-même produit à l’occasion… Et qui est commun à presque tous les créateurs lorsqu’ils vous présentent leur travail… est cette phrase qu’ils disent toujours : « Je crois que c’est génial. J’adore ça. J’adore vraiment ça ». Cela vous tue sur place !

Je trouve alors la meilleure façon de dire que je pense le contraire et c’est toujours à cet instant précis que sa tête tombe, littéralement, contre son torse et qu’il me dit (il force l’accent écossais – ndlr) : « « Put***, j’le crois pas » (rires). S’en suit généralement un petit moment de flou et, si je suis chanceux, je reçois un coup de téléphone le lendemain où il m’avoue : « Je pense que tu as peut-être raison ». Ou bien moi, à l’inverse, je peux tout à fait revenir vers lui en bredouillant que sa toute première proposition, basée uniquement sur l’instinct et que j’avais initialement rejetée, est en fin de compte celle qui me convient le mieux. Je m’excuse platement… j’admets que je m’étais trompé et je le supplie de la réintégrer (rires). Voilà le secret.

Crédit photos : ©20th Century Fox

Partager