« Sans scénario, il n’y a pas de film » . Aujourd’hui sort en salle Avril et le Monde Truqué, un film d’animation qui donne vie à l’univers du dessinateur de BD Jacques Tardi.

On serait tenté de rétorquer « élémentaire, mon cher ! ». Néanmoins, et en premier lieu, on ne s’adresse pas comme ça, sans mettre un minimum de formes, à Jacques Tardi. Le Cerveau ne s’y risquerait pas, en tout cas. Par ailleurs, cette affirmation ne va pas toujours de soit. Nombreux sont les films qui semblent se contenter de noms racoleurs à l’affiche ou de l’exploitation d’un univers connu et apprécié du public.

Avril-et-le-monde-truque-adapte-de-l-univers-de-TardiAvril et le Monde Truqué est à des années lumières de ce schéma. Les inconditionnels des œuvres de l’auteur de bandes dessinées Tardi, à qui l’on doit Le Cri du Peuple, Les Aventures Extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec ou encore Putain de guerre !, seront ravis de voir s’animer son univers et ses personnages au design si reconnaissable, tandis que les novices se trouveront enchantés de s’y plonger.

Quand le scénario de Benjamin Legrand rencontre le dessin de Tardi, le tout orchestré par les réalisateurs Christian Desmares, directeur de l’animation sur Persepolis de Marjane Satrapi, et Frank Ekinci, alors, on sait que l’on peut s’installer confortablement sur son fauteuil et simplement profiter du voyage.

Le Cerveau se fait donc tour opérateur et vous propose de découvrir cette épopée dans un monde steampunk où l’inexplicable disparition des plus grands scientifiques contemporains a figé la société du XIXeme siècle sous le règne du charbon et de Napoléon V.

Un résonance écologique, le manichéisme en moins.

Faire un film d’animation qui a une résonance environnementale, sans tomber dans une opposition manichéenne des gentils protecteurs des petits animaux de la forêt contre les méchants industriels, ce n’est pas forcément évident.

Le récit de Avril et le Monde Truqué prend place dans un monde à bout de souffle : dans cette uchronie, les scientifiques et inventeurs du siècle dernier ayant tous mystérieusement disparu, l’électricité n’a pas été encore découverte. Ainsi, ce monde reste bloqué à l’ère de la machine à vapeur et de l’exploitation du charbon de bois, coûteuse pour l’environnement.

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L’intelligence du scénariste Benjamin Legrand a d’abord été de ne pas axer l’intégralité des enjeux du film sur ce propos : l’impact de l’homme sur son environnement est un sujet qui se dessine en toile de fond, mais ne prend pas le pas sur le récit. La quête principale de l’héroïne, Avril, n’est d’ailleurs pas la sauvegarde de la planète, mais la recherche de ses parents et la poursuite de leurs recherches, eux-mêmes étant des scientifiques portés disparus. Ce qui est normal, puisque le monde dans lequel elle a grandi n’est qu’une éternelle révolution industrielle, les forêts françaises ayant déjà toutes disparues avant sa naissance. La réflexion n’est pas imposée au spectateur, que le film suppose assez malin pour penser par lui-même, mais suggérée par petites piques tantôt humoristiques, et on se surprend à rire de bon cœur à plusieurs reprises, tantôt tragiques.

Par ailleurs, on remarque que, sur cette question, il n’y a pas vraiment de « gentils » ou de « méchants » définis. Il n’y a que des groupes d’individus défendant des idéaux différents, un tour de force scénaristique que l’on trouve encore trop rarement dans le cinéma d’animation, à l’exception de certains comme Princesse Mononoké, de Hayao Miyazaki, qui explore une thématique environnementale similaire, mais une histoire très différente.

Une épopée rocambolesque dans un univers Steampunk

monde truqué_droite2Ce Monde Truqué éveille les consciences, mais reste avant tout une aventure palpitante : celle de l’intrépide Avril, passionnée de chimie, à la recherche de ses parents en compagnie de son chat parlant, Darwin, et de Julius, un jeune délinquant.

Les phases d’action mettent en halène et sont très agréables à suivre grâce à une animation en 2D soignée et dynamique, profondément ancrée dans le style reconnaissable de Tardi. Une énergie à laquelle les scènes de dialogues font écho avec des conversations entre les protagonistes teintées d’humour et toujours sincères. Ainsi, si parfois le récit un peu prévisible, on se laisse malgré tout porter par l’histoire sans jamais s’ennuyer. À ce propos, on se régale avec le choix des acteurs : Jean Rochefort campe ici un vieux scientifique excentrique et malicieux, fier grand père d’une Avril rebelle et indépendante, interprétée par Marion Cotillard, qui ne se sépare jamais de son chat Darwin, auquel le surprenant et terriblement drôle Philippe Katerine prête sa voix.

Beau Voyage

Si les environnements explorés ne sont pas spécialement variés (deux principaux), ils sont, en revanche, très bien mis en valeur. Les plans d’ensemble sont immersifs et très détaillés, donnant au spectateur le loisir de se perdre dans la multitude de petits éléments cocasses ou de références au siècle dernier qui fourmillent dans le décor. Encore une fois, la patte de Tardi fait son effet : l’ambiance est bien présente et on ressort de salle avec l’impression d’avoir fait un beau voyage.

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Quant à l’ambiance sonore et la musique, signées respectivement par Yann Lacan et Valentin Hadjadj, elle sait se faire discrète au besoin et plus présente pour souligner une scène décisive ou d’action. Sans être particulièrement mémorable, elle n’en est pas moins très agréable à écouter et colle très bien à l’atmosphère du film.

Tardi au Cinéma

Après 6 ans d’un travail collectif (avec pas moins de 6 studios d’animation et 4 producteurs, parmi lesquels Studio Canal et Je suis Bien Content, on assiste avec plaisir à la mise en mouvement de l’univers graphique de Tardi au cinéma, avec une atmosphère prenante et un récit aussi mouvementé qu’humoristique, et parfois même touchant.

Si le Cerveau a aimé ? « élémentaire, mon cher ! ». Il vous recommande chaudement de préférer à la grisaille automnale les salles obscures pour profiter de ce très beau film, lauréat 2015 du Cristal du meilleur long métrage du festival international du film d’animation d’Annecy. Et, pour prolonger l’expérience, de passer faire un crochet par le musée des Arts et Métiers afin de profiter d’une exposition fournie, basée sur l’univers de Avril et le Monde Truqué, qui se tiendra jusqu’au 6 mars 2016 (et si les références steampunk vous passionnent, profitez en aussi pour vous balader dans le musée). Se tiendra également en parallèle une seconde exposition sur le film à la Galerie Oblique, située dans le quartier du Marais, à partir du 17 novembre 2015.

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