Altered Carbon saison 1 : Véritable héritier de Blade Runner (critique)

6

4.5

Adaptation du roman de Richard K. Morgan, Altered Carbon renoue avec une SF aussi luxueuse qu’intelligente ; comme on a rarement (voire jamais) vue sur petit écran et dont la première saison arrive demain (et intégralement) sur Netflix. Réaction garantie sans spoilers.

Quelques 300 ans dans le futur, le tissu humain est relégué au simple rang d’enveloppe interchangeable : « l’âme » d’un individu pouvant désormais être contenue dans une micro-puce stockée à l’arrière de la nuque et, donc, (re)transférée à volonté.

Aussi, lorsque l’ancien mercenaire Takeshi Kovacs (Will Yun Lee) se retrouve implanté dans un nouveau corps (cette fois incarné par Joel Kinnaman) afin de résoudre le meurtre d’un milliardaire d’ores et déjà « ressuscité » dans l’un de ses nombreux clones de rechange (James Purefoy), il se retrouve au cœur d’une guerre des classes et de pouvoir, aux enjeux aussi obscures qu’ésotériques, de même que dans un monde où il a tout à (ré)apprendre.

Une autre forme de rêves électriques

Reconnu comme l’un des auteurs majeurs dans l’art du cyberpunk, Richard Morgan s’est vu auréolé du Philip K. Dick Award en 2003, justement pour son roman Carbone modifié, publié un an plus tôt et premier d’une succulente trilogie consacrée aux multiples enveloppes corporelles de son héros : Takeshi Kovacs. La consécration ultime pour un écrivain dont l’univers est ouvertement (et respectueusement) inspiré par l’œuvre de celui qui a imaginé non seulement ceux de Blade Runner, mais aussi de Total Recall ou encore du Maître du haut château

Longtemps envisagé sous la forme d’un long-métrage, Altered Carbon est finalement devenu réalité grâce aux visions combinées de Skydance Media, Netflix, et la créatrice Laeta Kalogridis (productrice d’Avatar et coscénariste de l’attendu Alita : Battle Angel, d’après le manga plus connu sous le nom de Gunnm). Et, à la lecture du/des livres, il devient assez vite évident qu’une approche sérielle était bien plus appropriée pour mieux rendre justice au matériau d’origine…

Complexe, violente, diversifiée, haletante… l’intrigue d’Altered Carbon a résolument tout pour ravir aussi bien les habitués du genre que les novices prêts à se perdre dans les rouages d’une enquête multi-facettes ; flirtant autant du côté de la SF pure (aussi bien au sens littéraire que spectaculaire du terme) que du Film Noir ou de l’aventure d’action musclée et sans concession.

Renaître… Ou ne pas renaître ?

Telle est LA question… Celle qui, d’ailleurs, divise les humains du futur, partagés entre les défenseurs de l’élévation de l’âme et ceux désireux de tendre vers la vie éternelle ; à l’image du couple que forment Miriam et Laurens Bancroft (Kristin Lehman & James Purefoy).

Richissimes, ils peuvent se permettre tous les caprices, toutes les fantaisies. Clones de rechange pour paraître éternellement « jeunes », soirées clinquantes avec combats à morts pour summum de divertissement, mépris des classes populaires… Ils incarnent à eux seuls l’entendue des déviances morales qui creusent le fossé entre « ceux du haut » et « ceux du bas », entre la divinité et la dispensabilité.

Le simple fait de se « payer un mercenaire » pour élucider un meurtre auquel on a, en fin de compte, survécu suffit à lui seul à exprimer l’étendue de l’arrogance naturelle qui accompagne cette notion de vie sans limite(s)… À quel moment nous perdons-nous nous-même, dès lors que tout nous devient possible ? A-t-on réellement le droit de vie et de mort sur quelqu’un dont on a payé le corps ? De même, peut-on rester soi-même lorsque que l’on occupe l’enveloppe d’un autre ? Le stockage de l’âme est-il réel… ou n’est-ce plus qu’une banale copie de données ?

Autant de questions qui font d’Altered Carbon la série que l’on espérait à la lecture du livre… à savoir une œuvre à la fois prestigieuse à l’image et profonde dans le ton. Rythmée et haletante. Parfaitement (re)orchestrée tout au long de ses 10 heures de programme et, malgré les apparences et les conventions actuelles, tout – mais alors tout – sauf un long film découpé en épisodes.

Des moyens colossaux

Tournée l’année dernière dans les nouveaux studios de Skydance Media non loin de Vancouver, la série propose des décors, costumes et accessoires tout simplement gigantesques ! Avec non seulement le Blade Runner de Ridley Scott mais également Les fils de l’homme d’Alfonso Cuarón pour principales références (et avec pour volonté assumée d’embarquer les spectateurs dans un voyage leur semblant déjà relativement familier), les équipes techniques et créatives se sont surpassées pour donner vie à un univers tangible, authentique mais non moins original à ce qui est définitivement devenu leur Altered Carbon.

Comme c’est le cas pour toute adaptation, quelques changements de taille ont dû être opérés pour passer des pages à l’image… à commencer par l’un des principaux apports à cette « métamorphose » : le personnage de Poe (oui, comme Edgar Allan), interprété par le comédien Chris Conner. En effet, faute d’avoir pu obtenir les droits relatifs à la voix et au visage de Jimi Hendrix (dont Richard K. Morgan avait initialement doté l’intelligence artificielle dirigeant l’hôtel le Hendrix ; justement), la créatrice s’est judicieusement tournée vers une autre personnalité, libre de droits celle-ci, en la personne du célèbre auteur horrifico-gothique.

Le choix est d’autant plus savoureux qu’il confère à la série une dimension rétro-futuriste finalement bien plus présente que dans le roman et autant propice à de magnifiques éclairages feutrés qu’à quelques traits d’humour savamment dosés ; dès lors que Poe intervient dans l’enceinte de son hôtel rebaptisé, pour l’occasion, The Raven, en référence directe au plus reconnu de tous ses poèmes.

Un épisode à la fois !

Dans le même registre, certains autres personnages secondaires du livre sont devenus une seule et même personne dans la série… et la chronologie narrative a été totalement repensée pour mieux ménager le suspense, notamment celui lié au passé de Kovacs, et ainsi proposer de réelles fins d’épisodes, avec climax et montée en puissance, finissant d’assoir (n’en déplaise à certains) Altered Carbon comme une vraie série TV ; se dégustant d’autant plus savoureusement si « consommée » avec parcimonie, en prenant le temps de la réflexion entre chaque épisode et en sachant en apprécier la foultitude de détails proposés.

Mais avant tout, Altered Carbon ne prend pas les téléspectateurs pour des idiots ! Entre ses différents niveaux de lecture (du simple divertissement à la plus viscérale des philosophies), sa radicalité et la complexité de certaines de ses situations (savoir qui est bel et bien dans le corps de qui n’est effectivement pas toujours aisé…), elle agrippe le public totalement par surprise et prouve, si besoin en était, que l’on peut encore créer l’évènement à partir d’œuvres presque totalement méconnues et détachées de toute franchise à succès.

A travers son environnement visuel de toute beauté, un casting aussi efficace qu’éclectique, et une enquête à double ou triple couches (et plus) renvoyant celle de Denis Villeneuve pour son Blade Runner 2049 au simple rang de fanfiction grossière et simpliste, Altered Carbon est la preuve qu’on peut faire de la véritable (et bonne) science-fiction à la télévision. Surtout quand on peut y mettre les moyens. Pour faire grand, il faut voir grand… Car c’est ainsi que naissent les « petits » miracles : un rendu digne du grand écran, jumelé au luxe du temps qu’offre une écriture sérielle et le sentiment d’addiction qui l’accompagne, et vous obtiendrez sans équivoque le premier bijou de l’année… Une empreinte carbone à ne surtout pas modifier.

Crédit : ©Netflix/Sky

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